L’émission «Porta dos Fundos»atteint des records d’audience sur YouTube, son canal de prédilection. Objectif: faire de l’humour tout en critiquant la société brésilienne.
Printemps 2013, la jeunesse brésilienne proteste dans les rues. La présidente est embarrassée. Elle convoque ministres et parlementaires pour une réunion d’urgence. «Cela va trop loin, on doit faire quelque chose, annonce-t-elle, exaspérée. Il va falloir cesser de piller les caisses de l’Etat.» Ses collègues la regardent, pantois. «Mais je ne peux pas arrêter maintenant! s’indigne un sénateur. J’ai beaucoup trop investi dans le Mondial… Qu’est-ce que je vais dire à tous ceux à qui j’ai promis de l’argent?» Un autre s’exclame, terrifié: «J’ai un accord avec les banques… Si je ne les paie pas, je suis mort.» La présidente essaie de les apaiser. La mesure ne sera que temporaire, assure-t-elle, histoire de calmer les foules. Après, tout pourra reprendre comme avant.
Publiée sur YouTube en juin 2013, la vidéo a été vue plus de 6 millions de fois. Elle est l’œuvre de Porta dos Fundos (littéralement, sortie de secours), un groupe d’humoristes brésiliens qui publie des minisketchs satiriques sur le web. Créée en mars 2012, leur page YouTube est l’une des plus regardées du Brésil. Sur le plan mondial, elle est la 25e chaîne avec le plus grand nombre d’abonnés, devant la NBA, le magazine Vice et le chanteur Bruno Mars.
Contourner les pare-feux. Les humoristes Fabio Porchat, Gregorio Duvivier et Antonio Pedro Tabet, le réalisateur Ian SBF et le spécialiste du marketing Gabriel Esteves se sont rencontrés chez Globo, le plus grand groupe médiatique brésilien, pour lequel ils travaillaient. L’équipe avait imaginé une nouvelle émission, plus subtile que celles habituellement diffusées sur la télévision brésilienne. Mais leur employeur a pris peur. «Nous l’avons donc lancée directement sur internet pour contourner les pare-feux de Globo», explique Gregorio Duvivier, petit brun de 28 ans.
En mars 2012, le premier spot est lancé. On y voit Fabio Porchat qui essaie d’annuler son abonnement de téléphone, en vain. Après une multitude d’essais, l’acteur décide d’abandonner, découragé par la complexité du système. Le but: critiquer l’absurdité kafkaïenne des services brésiliens. Publiée à 11 heures du matin un jeudi, la vidéo fait un buzz instantané. «A 14 heures, nous étions débordés par les coups de fil de journalistes et de fans, c’était démentiel», se rappelle en souriant Fabio Porchat, blond de 30 ans.
Maux du quotidien. Cette capacité à critiquer les maux du quotidien subis par les Brésiliens se trouve à l’origine du succès de l’émission. «Si un comique arrive à faire rire, c’est bien, précise Fabio Porchat. Mais s’il peut faire rire et réfléchir, c’est encore mieux.» L’équipe adore se moquer de la classe politique corrompue. Ou encore de l’importance de la religion au sein de la société brésilienne. Dans le plus grand pays catholique de la planète, ces attaques ne sont pas du goût de tous. Des politiciens les ont accusés à plusieurs reprises et une pétition en ligne a demandé le retrait d’une vidéo qui revisitait – avec ironie – la naissance de Jésus.
Aujourd’hui, l’équipe compte 35 personnes. Le show est financé par les recettes des publicités publiées sur YouTube, par les produits dérivés (DVD, T-shirts) vendus en ligne et par les spots publicitaires que Porta dos Fundos tourne pour différentes marques.
Leur émission a transformé la planète web au Brésil. «Ils ont montré qu’il était possible de réaliser des vidéos professionnelles pour internet et de gagner de l’argent grâce à elles, explique Federico Goldenberg, responsable du développement de programmes vidéo pour YouTube Brésil. Des entreprises ont commencé à tourner des publicités destinées uniquement au web et de plus en plus d’émissions télévisées sont créées exclusivement pour YouTube. Tout a changé. Ils ont professionnalisé l’internet brésilien.»