On ne le reconnaissait plus. Où était passé le Stan brillant, efficace et fier de l’Australie? Avait-il oublié que, depuis sa victoire sur Djoko et Nadal à Melbourne, c’est lui le numéro un suisse, après treize ans de règne Federer? Lui le troisième mondial, devant Roger? Dans Palexpo transformé en court de tennis pour la Coupe Davis, il peinait, ratait. Pourtant, en face, des inconnus, des moins que rien dans le classement mondial.
Oui, mais voilà. Dans cette même halle, en train de le regarder jouer, encourageant, gentil, trop gentil, il y avait papa Federer. Celui dont l’ombre tutélaire a pendant dix ans empêché Stan le besogneux de progresser, son complexe de toujours, la coïncidence temporelle qui l’a toujours relégué au second plan, celui qui, planant dans son Olympe, empêchait que l’on voie qu’il y avait un autre Suisse qui jouait bien au tennis, qui raflait les contrats pub, posait en couverture des magazines…
Alors Stan perd le match qu’il ne faut pas perdre. Puis le lendemain, sur le terrain du double, avec papa Roger au filet à son côté, s’effondre, faisant perdre à la Suisse le match jugé imperdable. Il faudra qu’il gagne enfin, péniblement, le match du dimanche, puis que Federer finisse la journée dans une envolée magistrale, pour que le cauchemar s’arrête.
Lorsqu’on a un papa célèbre ou écrasant, avocat brillant ou star de cinéma, soit l’on marche sur ses traces et l’on devient avocat ou acteur en risquant chaque seconde la comparaison, soit l’on prend la tangente et l’on devient artiste, cuisinier, fleuriste. Difficile lorsqu’on est coincé sur un terrain de tennis et que, de plus, Federer n’est pas un vrai papa mais seulement un papa symbolique. Il faut quand même le tuer. Dans le cas présent, il aura fallu attendre qu’il décline tout seul, que l’on prononce les mots «fin de carrière», qu’il meure un peu pour qu’à son tour, enfin, Stan respire et gagne.
La preuve que cette psychologie n’est pas que de bazar? Il fallait entendre Federer après le double honteusement perdu: impérial, généreux, classe, il n’a pas dit un mot de travers sur fiston Stan alors qu’il y avait amplement de quoi. C’est à cela que l’on reconnaît un vrai père: l’amour, c’est sacré, même lorsque fiston vole des bonbons, croupit en prison ou perd un match de tennis.