C’est le brin d’herbe qui les a rendus fous: «Victor Hugo il a quand même réussi a faire parler un brin d’herbe avec une tombe», tweete le plus poli d’entre eux. «Quelqu’un peux dire à Victor Hugo d’aller sfaire enculer et dles fumers ses bruns d’herbe» propose, en VO, un autre, plus proche de la tonalité générale. Laquelle se résume en quelques mots: nique ta mère Victor Hugo fils de pute.
C’était la semaine dernière en France, à la sortie des épreuves de baccalauréat. L’examen de français soumettait aux élèves trois poèmes assortis de questions et propositions de commentaire. Parmi eux, Crépuscule, cette sylvestre méditation de Victor Hugo sur l’éphémère de la vie: «L’herbe s’éveille et parle aux sépulcres dormants / Que dit-il, le brin d’herbe? Et que répond la tombe? / Aimez, vous qui vivez! on a froid sous les ifs.»
Le déluge d’insultes essuyées par le poète sur les réseaux sociaux a vexé les connaisseurs de son œuvre. C’était un rebelle, ont-ils rappelé, un agitateur qui voulait «effaroucher les bourgeois» et «réveiller le peuple». Mieux, un ennemi déclaré de l’enseignement officiel et de ce «stupide» baccalauréat: «Qu’est-ce que le vulgaire? L’école dit: c’est le peuple. Et nous, nous disons: c’est l’école.»
Hélas! le révolté d’hier fait aujourd’hui figure de poète officiel. Et le jeune peuple subit comme une torture ses «chefs-d’œuvre recommandés». Trois fois hélas, éphémère amant des Muses, que sont tes rébellions devenues? Une tweeteuse résume l’affaire en une formule cruellement efficace: «Victor Hugo (…) il étai just fashion avant.» Et comme l’analyse finement un autre réseauté, c’est d’abord dans le langage que se fait sentir le si cruel passage du temps: «Il peut pas parler normalement cmme les autres que i parle en message codé.» Oh verbe! que ta fraîcheur est fugace.
Alors, forcément, je me pose la question: quel rebelle d’aujourd’hui sera le Victor Hugo du bac de demain? Je cherche du côté des rappeurs racaille, qui me paraissent les plus crédibles héritiers de l’esprit antibourgeois. Je trouve La Fouine: «J’arrive en gamos avec mes rihannas / toi, t’arrives en vélib, ta meuf est âyana / A force de nous sucer, t’as les lèvres gercées / ouais, on a percé, toi, t’as que les oreilles percées.»
En voilà un enfin qui parle normalement. Pour les bacheliers 2165, ce s’ra easy.
