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Bébés suisses «made in Ukraine»

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Jeudi, 5 Décembre, 2013 - 05:55

Mères porteuses.Un rapport du Conseil fédéral le confirme: les femmes pauvres qui louent leur ventre ont aussi des clients suisses. Réalités d’un marché, dilemme éthique.

 

Oui, des couples suisses, nombreux, ont recours à des mères porteuses à l’étranger. Le rapport du Conseil fédéral qui le confirme a été rendu public vendredi dernier. Il est passé quasi inaperçu. Non que la gestation pour autrui (GPA) soit une réalité d’importance mineure. Mais c’est une réalité embarrassante. «Irritante», dit le rapport. Un vrai casse-tête éthique.

Touristes reproductifs. D’abord, combien sont-ils, ces couples suisses qui, pour échapper à l’interdiction de la GPA chez eux, s’adonnent au tourisme reproductif dans les pays qui l’autorisent? C’est la première question posée par la conseillère nationale Jacqueline Fehr dans le postulat qui a suscité le rapport.

Réponse: on ne peut rien dire avec certitude car les cas déclarés – dix à ce jour – sont minoritaires. Pour échapper aux démarches administratives qui les attendent s’ils jouent la transparence (la mère d’intention doit notamment adopter l’enfant), la plupart des couples préfèrent passer sous les radars des autorités et faire comme si un heureux événement les avait surpris durant leurs vacances en Ukraine – pays très prisé par les couples européens.

L’ambassade de Suisse à Kiev confirme ce «fait connu», note le rapport: «Les parents d’intention suisses évitent “soigneusement” une approche avec les autorités.» Et à leur retour au pays, personne ne leur cherche noise à moins d’indices massifs en leur défaveur (une mère trop âgée pour être crédible, par exemple).

On ne sait pas combien ils sont mais on peut se faire une idée: en Grande-Bretagne, pays qui pourtant autorise la GPA, on estime que sur 100 cas annoncés, 1000 enfants «made in India» entrent dans le pays. Dès lors, multiplier, en Suisse, le nombre de cas déclarés par dix ne paraît pas exagéré.

 

Abus et violations. Le rapport n’est pas tendre avec les touristes de la reproduction: leur détresse les rend aveugles à celle d’autrui, dit-il en substance. Ils participent à «l’exploitation des mères porteuses», qui agissent «par détresse économique» et subissent «des abus et des violations graves». La réalité est celle, crue, d’un marché inégal, ce même marché procréatif que la législation suisse a voulu éviter.

Bien souvent aussi, ces touristes du troisième type «se comportent de manière égoïste et irresponsable» en violant le droit des enfants à connaître leur filiation, ajoute le rapport. Il faut dire que dans la plupart des cas, la mère porteuse n’est elle-même que la gestatrice d’un enfant issu des ovocytes d’une tierce personne, souvent anonyme. Les chances d’un enfant né de GPA d’accéder à sa filiation sont minces.

Le fait accompli. D’un autre côté, observe le rapport, ces couples nous mettent devant «le fait accompli»: «Les éventuelles atteintes aux droits de la mère porteuse et de l’enfant à naître ne peuvent plus être rétablies rétroactivement.» Et l’intérêt de l’enfant commande de ne pas se montrer trop sévère lorsque, face à une infraction avérée, il faut décider si on reconnaît «de facto» le lien de filiation avec les parents d’intention. Un exemple de sévérité a été donné récemment par l’Italie, qui a retiré l’enfant au couple fraudeur.

Les experts fédéraux plaident quant à eux pour la clémence au cas par cas: «Un enfant ne doit pas être puni pour les actes répréhensibles des autres, en particulier des parents d’intention.» En outre, punir lesdits parents «pourrait compromettre le bien de l’enfant».

Mais le rapport souligne en même temps le caractère profondément insatisfaisant de la situation: en reconnaissant la filiation, on encourage le tourisme procréatif et on soutient «l’exploitation des mères porteuses dans les pays pauvres et le non-respect des droits de l’enfant».

Conclusion: les réponses à ce dilemme éthique ne peuvent être qu’internationales. La Suisse «s’engage à différents niveaux pour faire face aux abus dans le futur». Notamment dans le cadre de la Conférence de La Haye, où la recherche de solutions est en chantier.

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