Paris cherche à s’en débarrasser, sans grand succès. Partout, sur les ponts des villes, les cadenas d’amour fleurissent et enlaidissent les équipements urbains. De plus en plus de couples cèdent à ce rituel qui se voudrait intime mais se répète à la chaîne: symboliser son union en accrochant un cadenas à une barrière, puis jeter la clé dans un cours d’eau.
Souvent, ces morceaux de métal comportent des initiales et une date gravées. Leur amoncellement produit un effet effrayant: on dirait une sorte de cimetière.
Le cadenas ne dit pas l’inclusion mais la possession. La peur du vol, la soumission et le cachot. Un amour immobilisé qui s’entrave lui-même. Comme si le couple était mortifère. N’est-il pas plutôt mouvement, ouverture à l’autre, à soi et, par-là, à la vie et au collectif? Pourquoi cet engouement? Peut-être parce que nous vivons dans une société dans laquelle on peut facilement se passer de nous.
L’effroi de se savoir si aisément remplaçable, professionnellement ou dans les amitiés en réseau, produit en contre-partie ce désir de symbiose. Mais vivre l’un à l’autre scellés entraîne paradoxalement la disparition tant redoutée. Car plus l’autre est présent et moins on le voit. C’est aussi la fin du désir. Etre là, c’est désactiver sa présence et finir par disparaître, comme l’explique le philosophe François Jullien dans Vivre en existant.
En voyant tous les jours le ciel, on devient insensible à ses merveilles, écrivait quant à lui Lucrèce. Question de bonne distance, non de verrou.