Tout ça, c’est la faute à Walt Disney. Dans les années 40, Konrad Lorenz analyse les visages des bébés humains et animaux pour comprendre comment l’équation front bombé+grands yeux ronds+nez court+joues rebondies crée le comportement d’attrait et d’attachement chez les adultes qui permet la survie des espèces mammifères. Lorenz appelle son équation Kindchen-schema, «Schéma de visage d’enfant».
Depuis, les dessinateurs de Walt Disney usent et abusent de la formule pour les reproduire sur les personnages de dessins animés, renforçant leur caractère mignon. Dès lors, dès qu’un chaton quelque part se fait maltraiter, les êtres humains les plus sensés, biberonnés à l’école Disney, perdent tout sens de la mesure. L’histoire de ce pauvre crétin marseillais qui s’est filmé en train de faire du lancer de chat contre un mur, et la mobilisation instantanée, mondiale, qui s’est ensuivie sur l’internet sont édifiantes. Interpellé grâce aux témoignages des internautes, jugé en comparution immédiate, il s’est vu infliger, lundi, une peine d’un an de prison. Et la presse dans son ensemble de relayer l’information sans broncher, donnant des nouvelles de la patte cassée du chat au même titre que des écoutes de la NSA ou des Poutineries à Sotchi. Exemplaire!
Vraiment? Je devrais me réjouir de cette victoire de l’amour sur la haine, de la grandeur d’âme contre le cynisme. Mais, de fait, réveillez-vous, bonnes gens, le cynisme a gagné haut la main. J’en ai eu la certitude lorsque, passant devant une mendiante rom prostrée dans l’indifférence générale devant la vitrine de lingerie Agent Provocateur à Lausanne, son bébé entre les jambes, mon collègue s’est écrié en ricanant: «Elle ferait mieux d’échanger son bébé contre un chaton et de mettre un panneau Mon chat a faim!» Il avait raison, évidemment. La pseudo-justice démonstrative des réseaux est une spectaculaire arnaque. Quel humour grinçant que cette débauche de moyens pour sauver un chat, un seul! Les tombereaux de chatons noyés chaque jour parce qu’on ne sait pas qu’en faire, les quintaux de veaux tués pour remplir notre estomac ne font que souligner la formidable injustice à l’œuvre. Sans parler, à l’inverse, des chauffards-assassins qui s’en tirent avec du sursis ou des Cantat qui ne passent que quatre fois plus de temps en prison pour un meurtre d’être humain. Je deviens gnangnan? A vous aussi, le vilain Disney a bouffé le cerveau.
