Qu’y a-t-il de plus triste au monde que dépenser 15 millions de francs pour aménager sa propre maison en vue d’accueillir son mari dans le coma? Corinna Schumacher serait en train d’équiper médicalement leur résidence de Gland pour pouvoir rapatrier à son domicile l’ex- pilote de formule 1, qui ne s’est pas réveillé depuis son accident de ski survenu à Méribel il y a trois mois. Publiée par le Daily Mail, reprise par la presse du monde entier, cette nouvelle n’a pour une fois déclenché aucun sarcasme. Et Dieu sait qu’on a critiqué les Schumacher du temps de leur splendeur, leur goût pour la démesure, le manège à chevaux perso de Madame, leur paranoïa visant le pauvre refuge communal coincé à côté de chez eux.
Transformer sa maison en hôpital pour comateux, on voit bien que c’est délirant, disproportionné, inaccessible au commun des mortels. Nous vivrions dans un autre pays, à une autre époque, Schumacher serait mort depuis longtemps. On pourrait être jaloux. Combien de familles rêvent de construire une aile médicalisée dans leur jardin pour ne pas avoir besoin d’envoyer leurs vieux parents à l’EMS? Mais pour une fois, dans ce monde d’indignés, une superriche dépense beaucoup d’argent pour quelque chose de somme toute dérisoire – aucun million ne fera se réveiller son mari – sans qu’elle soit critiquée, moquée, clouée au pilori de l’opprobre démago-populaire. C’est qu’on a en face de nous plus grand, plus fort, plus immense que n’importe quel fleuve de sarcasmes: le chagrin.
Cette démesure dans le chagrin nous impressionne. C’est l’addition de deux sagesses populaires éternelles: «Quand on aime, on ne compte pas» et «L’espoir fait vivre». Parfois, l’argent ne compte pas. Pour de vrai. Le fameux Taj Mahal est un mausolée de marbre blanc construit par l’empereur Shah Jahan en mémoire de son épouse, Mumtaz-i Mahal, morte en 1631 en donnant naissance à leur quatorzième enfant. Dans ses entrailles se trouvent les restes de la tombe de Humayun, deuxième empereur moghol. C’était un bâtiment fantastique, superbe, dont la construction dura huit ans. C’est sa veuve qui l’a voulu. Humayun, après une vie à faire la guerre et à conquérir des empires, est mort, en 1556, en tombant dans un escalier.