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Vin: le paradoxe brésilien

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Jeudi, 3 Avril, 2014 - 05:56

Les Brésiliens consomment plus de bière que les Suisses,et de la caïpirinha, à base de cachaça, une sorte de rhum blanc. Mais ils produisent aussi des vins… qu’ils s’efforcent d’exporter, tandis qu’ils préfèrent les nectars étrangers. Décodage.

Pierre Thomas

Comme dans les autres pays émergents des BRICS, le vin est à la mode au Brésil. En consommer entre amis et à table révèle un certain raffinement, tout en permettant d’afficher son statut social. Les citadins fortunés ou de la middle class préfèrent les vins d’importation, même s’il faut débourser entre 12 (pour une bouteille chilienne) et 60 dollars (pour un vin français).

Parmi les Etats importateurs, deux jouent placés: l’Italie, parce qu’une forte colonie est présente à São Paulo et dans le sud du pays, où Garibaldi a laissé son nom à une ville vitivinicole. Et le Portugal, au nom de la langue et de l’histoire (le Brésil fut une colonie lusitanienne). Ce sont d’ailleurs les Portugais qui, en 1532, plantèrent les premiers ceps, du côté de São Paulo.

Et les Suisses? Dans la lancée d’un voyage-éclair à Sotchi, Pierre Keller, président de l’Office des vins vaudois, espère que du vin suisse (et plutôt vaudois!) sera présent lors de la Coupe du monde de football et à la Maison suisse lors des Jeux olympiques de Rio de Janeiro, dans deux ans.

Inutile d’y aller avec du chasselas: selon une étude de Wine Business International, 94% des Brésiliens préfèrent les vins rouges. En plus des Italiens et Portugais, les Chiliens et Argentins fournissent l’essentiel de ces flacons importés, à moins de 10 dollars, malgré des taxes élevées. Et 50% des vins sont achetés en supermarché, chez Walmart ou Carrefour.

Une forte croissance attendue. Si la consommation sur le marché brésilien n’est aujourd’hui que de 1,9 litre par habitant (Argentine, 26; Chili, 15; Suisse, 36), on s’attend à une progression estimée à 0,7 litre par habitant pour ces cinq prochaines années. A multiplier par un potentiel de 200 millions d’habitants.

Quant aux importations (77 millions de litres), elles ne représentent même pas la moitié des vins étrangers arrivant en Suisse. Mais leur chiffre a tout de même doublé entre 2005 et 2012. Le jour de notre passage à la coopérative Aurora, un conteneur de cabernet franc Pequenas Partilhas 2008 était destiné à la Suisse: ce rouge, dans le même millésime, est encore référencé chez Mövenpick à 28 francs la bouteille.

Au tableau des exportations de vins brésiliens pour 2012, la Suisse pointe au douzième rang en valeur, avec 10 000 bouteilles d’un prix de 8,5 dollars. Ce qui n’est rien en comparaison avec la Russie, où 3,5 millions de bouteilles ont été acheminées au prix de… 0,50 dollar le litre!

Alors que le Brésil développe ses vignobles, il va aussi, comme la Suisse,  chercher à l’extérieur une reconnaissance difficile à obtenir à domicile. Seuls les vins mousseux ont un certain succès et raflent des distinctions dans les concours internationaux. Ainsi, six effervescents brésiliens, dont un rosé, ont remporté une médaille d’or aux dernières Vinalies internationales de Paris, début mars.

Un air d’Italie du Nord. Les caves «à bulles», comme Salton ou Casa Valduga, sont concentrées autour de la ville de Bento Gonçalves, à l’orée du Vale dos Vinhedos (la vallée des vignes), dans le sud-est du plus vaste pays de l’Amérique latine. Les conditions climatiques y sont plus proches de celles du nord de l’Italie que de celles du Chili. Et on y cultive le raisin en pergola.

Dans cette région, la pluviosité est si importante qu’elle nécessite d’inévitables traitements préventifs des maladies de la vigne. Ainsi, chez Lidio Carraro, la jeune cave, fondée en 1998, qui a remporté la licence de vin officiel de la Coupe du monde de football avec sa gamme Faces, on expérimente un tracteur muni d’une hélice pour dissiper les résidus chimiques sur les grappes de raisins avant les vendanges. Ce domaine «boutique», qui élabore de bons vins rouges, est conseillé par l’œnologue réputée Monica Rossetti, une Italienne née au Brésil.

Quant à Miolo, principale cave exportatrice, elle a engagé dès la fin des années 80 l’«œnologue volant» bordelais Michel Rolland, puis le jeune Toscan Roberto Cipresso, connu à Montalcino (La Fiorita et Logonovo). Il faisait les vendanges en février dans la Serra Gaucha. Au total, 80% des vins brésiliens de qualité viennent de l’Etat de Rio Grande do Sul, pointe sud du pays.

Il existe des régions viticoles plus exotiques encore. L’une sous l’équateur, la vallée de São Francisco, dans la vaste région du Nordeste. On y a planté de la vigne parmi quelques rares cactus il y a près de trente ans. Si aujourd’hui 500 hectares donnent surtout des vins mousseux, la cave Miolo, présente dans toutes les régions du pays, a cependant l’ambition d’y élaborer un rouge de garde en régulant la croissance de la vigne par un contrôle strict de l’apport en eau par goutte-à-goutte, comme les Israéliens dans le désert du Néguev.

Tout aussi exotique, ces 200 hectares de «vignes d’altitude», plantés à 1300 mètres au-dessus du niveau de la mer, dans l’Etat de Santa Catarina, au sud.

Les vins ont droit à un label surprenant sous cette latitude, un cristal de neige – c’est le seul endroit du Brésil où il en tombe parfois! Plantée par un Portugais, ex-roi de la culture de la poire dans son pays, la Quinta Santa Maria, avec ses terrasses, donne aux rives du Rio Lavatodo un air de vallée du Douro… A la sortie de São Joaquim, capitale de la pomme gala en production intégrée, la Villa Francioni appartient à un roi local du carrelage, et sa fille propose un sauvignon très frais et un sangiovese agréable, trahissant, encore une fois, un accent d’Italie sur les vins brésiliens.

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