Chien tête en bas, vous visualisez? C’est une des postures de base du yoga. Vous êtes à quatre pattes, mais jambes tendues et derrière dressé, très dressé. Il faut creuser le dos et, au besoin, plier les genoux pour faire ressortir les os de poupe du bassin, appelés ischions. En clair: vous faites, comme le suggère le nom de la posture, le quadrupède femelle en position de disponibilité sexuelle.
La comparaison, à vrai dire, ne m’est pas venue à l’esprit durant le cours que je fréquente, où les tenues et les attitudes n’ont rien qui rappelle le Crazy Horse. Mais j’ai immédiatement pensé à la chienne en chaleur tête en bas en apprenant que le yoga nu est de retour. Pas le yoga des amis, façon hippie-spontex dans un champ de coquelicots. Pas le yoga confidentiel des clubs de naturistes. Le yoga tout cru, en salle, entre inconnus. Et il va sans dire, bien entendu, évidemment: vierge de toute connotation sexuelle.
Donc. Vous sortez du travail et vous allez prendre place, complètement à poil, sur un tapis en PVC, à quelques centimètres, devant, derrière et à côté de vous, d’autres personnes complètement à poil sur leur tapis. Crispant? Meuh non. Vous êtes là précisément pour dénouer vos tensions, alors inspirez, expirez. Vient le moment de dresser le derrière et d’exposer vos parties intimes en ouverture maximale? Non, non, vous ne rougissez pas. Parce que, comme l’annonce l’intitulé du cours, il n’y a rien de sexuel dans tout ça. Si vous étiez un vrai chien, on comprendrait votre trouble. Mais vous êtes un humain, la preuve: vous êtes capable de frôler du nez les orifices de vos semblables sans ressentir le moindre chatouillis génital. Trop fort.
Il fallait bien trois mille ans de civilisation pour en arriver là.
Dans le même esprit de détachement, il y a la pole dance. Les spécialistes de ces lascives acrobaties autour d’une barre phallico-verticale ont longtemps été les danseuses et prostituées de cabaret. Il y a quelques années, on a vu arriver les kits de pole dance pour fillettes et on s’est inquiété de voir nos sociétés pousser les enfants vers l’hypersexualisation.
Mais nous voilà rassurés, l’évolution décisive s’est faite dans l’autre sens: on a désexualisé, hygiénisé et réglementé la pole dance. Il fallait le faire, tant son vocabulaire gestuel est suggestif, mais voilà. Nous avons désormais affaire à un sport, avec des championnats suisses depuis cette année et une fédération ad hoc, qui s’applique à dissiper tout malentendu: cette gymnastique-là n’a rien d’érotique, vous n’y pensez pas, et si, comme spectateur, vous espérez vous rincer l’œil, c’est que vous êtes victime de préjugés malsains (peut-être feriez-vous bien de consulter).
Je suis perplexe, très perplexe. Je conçois aisément que le propre de l’homme consiste à mettre des mots et de la culture entre lui et ses pulsions. Mais je ne vois pas quel progrès il y a à désérotiser la nudité, la danse et tout ce qui, dans la culture même, tisse la trame de nos émois.
Voyons, que pourrions-nous encore désérotiser. La reproduction? Trop fort. C’est en route.