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Luc Michel: L’outil de travail des étudiants est le cerveau, c’est là que surviennent les pannes

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Jeudi, 17 Avril, 2014 - 05:56

Psychologie.Soigner les maux spécifiques des jeunes adultes aux études. Avec une psychothérapie brève, mais sans tuer le père Freud. C’est la voie originale tracée par le psychiatre lausannois Luc Michel.

Les étudiants qui frappent à votre porte ne sont plus des adolescents, pas encore de vrais adultes. Cet entre-deux existentiel a-t-il tendance à s’allonger?

C’est une évolution largement observée, qui a amené certains auteurs à parler d’«adulescence». Pour la mettre en image: le passage à l’âge adulte était autrefois une étape en forme
de marche d’escalier, il est devenu un plan incliné et extensible.

Les étudiants ont pourtant toujours existé, y compris les spécimens dits «éternels» qui font durer le plaisir…

D’abord, les jeunes qui font des études supérieures sont plus nombreux. Et puis, avec les post-grades, les masters, les spécialisations, les formations ont tendance à s’allonger. Bien sûr, avec le système de Bologne, on ne peut plus comme autrefois s’attarder dix ans dans une faculté, mais ceux qui le faisaient étaient une exception. La plupart des jeunes gens, il y a vingt ans, entraient à l’uni et en ressortaient avec un métier, ce n’est plus le cas. Ajoutez à cela que l’entrée dans le monde du travail est devenue plus difficile. Entre l’adolescence et l’entrée dans la «vraie vie», la période de transition s’allonge bel et bien.

Pour ceux qui ne sont pas pressés de devenir adultes, c’est un bon alibi?

Certains étudiants, en effet, ont une appréhension particulière à affronter le monde du travail, perçu comme trop brutal. Mais en elle-même, cette période «en suspens» aiguise la problématique de l’autonomie et de l’indépendance. Les jeunes adultes traversent un âge où ils ont commencé à se distancier du modèle parental mais ne se sont pas encore constitués en une nouvelle personne avec son propre référentiel. C’est un processus d’autonomisation, et les étudiants se retrouvent dans une situation particulièrement délicate: ils doivent faire preuve d’autonomie pour réussir, mais d’un autre côté, ils ne sont pas autonomes. Il y a encore des professeurs qui leur mettent des notes et financièrement, ils dépendent de leurs parents. C’est un statut plein de contradictions, pas facile à vivre.

L’apprenti qui gagne sa vie à 18 ans, lui, est vraiment adulte?

Il est indépendant, c’est-à-dire qu’il subvient à ses besoins. Mais pas forcément autonome, dans le sens où il ne s’est pas encore forgé ses propres valeurs intérieures. A l’inverse, un étudiant peut être psychiquement autonome tout en vivant chez ses parents. Mais quand même: l’indépendance financière, ou l’éloignement des parents, favorise souvent une certaine autonomie psychique.

De quoi souffrent les étudiants qui viennent vous voir?

D’angoisses, d’idées sombres, de difficultés de concentration, de procrastination, de difficultés relationnelles. Leur outil de travail est le cerveau, et c’est là que surviennent les pannes. On doit considérer ces difficultés comme un symptôme d’appel, toute la question étant de savoir ce qu’il y a derrière. La crise peut avoir des causes très circonscrites (une rupture amoureuse, un échec accidentel) ou alors résonner profondément dans l’histoire du sujet.

Par exemple: j’échoue aux examens parce que je me suis inscrit en droit pour faire comme mon grand-père mais en fait je rêve d’être jardinier…

La référence aux modèles familiaux reste centrale, en effet. Certains ont besoin de l’échec pour s’avouer qu’ils veulent changer de cap, ou pour faire accepter l’idée à leur entourage.

La tendance est aux thérapies brèves, notamment grâce aux approches cognitivo-comportementales ou systémiques, qui ont le vent en poupe. Vous répondez à cette concurrence avec un format bref, mais freudien quand même. Avec quels arguments?

L’idée est qu’on peut opter pour une thérapie brève, particulièrement adaptée à la vie mouvante des étudiants, mais sans laisser tomber le postulat de base: les conflits qui s’expriment dans le symptôme ont une dimension inconsciente, qu’il vaut la peine d’explorer pour lui donner du sens et résoudre les problèmes durablement. Mais si un patient me dit qu’il préfère se concentrer sur les symptômes et qu’il n’est pas prêt à parler de sa maman et de son papa, je respecte son vœu et le dirige vers un confrère qui lui proposera un autre type de thérapie. De même, il faut préciser que la thérapie brève, même psychodynamique, ne remplace pas dans tous les cas une cure plus longue: certaines personnes, notamment celles avec de graves troubles de la personnalité, ont besoin d’être soignées à plus long terme.

Vous faites du fast-Freud pour contrer la concurrence, en somme. N’est-ce pas de la psychanalyse au rabais?

C’est comme cela que cette voie thérapeutique a été accueillie au départ, mais à tort. D’abord, il faut dire que Freud lui-même a commencé par des traitements très courts. Par exemple, il a résolu le problème d’impuissance de Mahler en une séance. A ses débuts, la psychanalyse a exploré toutes sortes de dispositifs différents. Ce n’est qu’avec le temps qu’elle a été identifiée à la cure type, une prise en charge de plusieurs années, à raison de plusieurs séances par semaine. Avec l’approche brève, qui s’est développée à partir des années 70, on ne fait que revenir à la diversité de départ. Durant ces mêmes années, de nouveaux modèles ont émergé, systémiques ou cognitivistes, qui revendiquaient la brièveté comme argument décisif. Mais avec le temps et l’expérience clinique, les pratiquants de ces approches ont vu leurs prises en charge se rallonger. Il faut ajouter que, contrairement à ce qui s’est passé en France, il n’y a pas de guerre des modèles en Suisse. Les approches psychodynamique, cognitive et systémique sont toutes trois enseignées aux étudiants en psychiatrie et la cohabitation entre praticiens est généralement bonne, dans le respect des différences.

Combien dure une thérapie brève?

Une situation de crise peut se résoudre en trois ou quatre séances. Si une psychothérapie brève est engagée, elle peut s’étaler sur une année et une quarantaine de séances, ce qui correspond d’ailleurs à ce que les assurances remboursent en général sans rapport circonstancié au médecin-conseil.

En somme, l’offre thérapeutique s’adapte aux «contraintes d’économicité». Plus qu’aux besoins des patients?

L’accélération est une tendance sociétale profonde, et les patients eux-mêmes tendent à chercher des solutions de plus en plus rapides. Mais sur le fond, je dirai plutôt que les contraintes nouvelles poussent à la créativité. Les crises peuvent être stimulantes, l’histoire de la psychothérapie l’a démontré: les thérapies de groupe, par exemple, sont nées en Grande-Bretagne, au moment où il fallait prendre en charge des milliers de soldats traumatisés de retour du front. Faute de soignants, on en a pris plusieurs à la fois, pour s’apercevoir ensuite que le groupe créait une dynamique bénéfique.

Qu’est-ce qui distingue une psychothérapie psychodynamique brève d’une psychanalyse classique?

On fixe une durée limitée au départ, avec des objectifs plus précis. On renonce à tout analyser. Le divan traditionnel est abandonné, le thérapeute et le patient sont assis l’un en face de l’autre et ils dialoguent. Après quelques séances, le thérapeute formule une interprétation à la crise actuelle, qui va lui servir de «focus», de boussole au traitement, même s’il ne le partage pas toujours explicitement au départ avec son patient. Par exemple, dans le cas de figure que vous citiez tout à l’heure: l’échec de cet étudiant est le symptôme d’un conflit de loyauté familial qui ne trouve pas d’autre expression.

Les émotions, ça influence l’intelligence?

Contrairement à l’image que l’on se fait traditionnellement de l’intellectuel détaché de ses émotions, l’imbrication est profonde. Quand toute l’énergie psychique est captée par un conflit émotionnel, l’intelligence est grippée. Idéalement, les émotions et l’intelligence devraient s’équilibrer et avancer dans la vie en dansant le tango!

Etre un intellectuel, c’est un atout un ou handicap pour réussir une thérapie?

Les deux. Pouvoir mettre des mots sur ses tensions est un avantage. Mais un beau parleur peut utiliser son outil intellectuel comme stratégie d’évitement et ça, c’est un piège fondamental. Parce qu’elle fixe d’emblée un terme au traitement, la thérapie brève peut permettre de l’éviter.

* «Psychothérapie brève de l’étudiant». De Luc Michel. In Press, 231 p.
Luc Michel sera au Salon du livre de Genève vendredi 2 mai à 13 heures sur la Place du Moi. www.salondulivre.ch

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Félix Imhof
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