D’habitude, je vote avec la tête. Je me documente, je mets les arguments à l’épreuve, je m’efforce de placer le bien commun avant mes intérêts privés. Mais cette fois, c’était émotionnel. Je n’ai pas étudié le dossier, j’ai voté avec les tripes, j’ai exprimé mon ras-le-bol, j’ai senti le plaisir torve de carburer par réaction.
J’ai dit «oui» à la tour Taoua.
La tour Taoua est donc ce projet de gratte-ciel de 27 étages qui aspirait à s’ériger sur l’emplacement du Comptoir suisse à Lausanne. Une majorité de Lausannois a voté non, j’ai voté oui, c’est- à-dire contre.
Contre les effets pervers de la démocratie directe, qui permet à un nombre croissant de citoyens de s’opposer à une construction simplement parce qu’elle leur bouche la vue. Non mais allô, on est en ville, ce qui se construit pour les uns risque forcément de boucher la vue aux autres. Si on refuse cet axiome de base, mieux vaut déménager à la campagne.
Notez, il n’y a pas que la vue: certains riverains redoutent des nuisances plus subtiles. A Pully, le projet d’un petit EMS au bord du lac est bloqué par des voisins qui n’y perdraient pas une miette de panorama: ils seraient seulement incommodés de voir un chantier s’ériger dans le jardin d’à côté. J’appelle cela de l’égoïsme (déguisé en amour des plantes) et suis scandalisée de voir la démocratie flatter nos bas instincts.
J’ai aussi voté contre le ressenti esthétique dominant, que je résumerai ainsi: on peut construire, à condition de s’excuser d’être là. Le projet consensuel est souterrain ou du moins, il se fond humblement dans le paysage. Idéal sous-jacent: que plus rien de neuf ne surgisse car hier est meilleur que demain.
En réalité, je ne suis pas a priori contre la muséification. Ce qui me tord franchement les tripes, ce n’est pas ce que la nostalgie ambiante empêche de construire. C’est ce qui se construit, sans susciter le moindre débat public, au nom de règlements esthétiques conçus précisément pour préserver le «caractère» de nos inimitables régions.
Les villas et lotissements de style «traditionnel» qui mitent la campagne suisse ont des toits en pente et des fenêtres plus hautes que larges pour singer les maisons de village. Mais ce ne sont pas des maisons de village et leur hideur est une tragédie. Les gens disent: «C’est moche mais au moins ça ne fait pas trop tache.» Même pas d’accord: la laideur médiocre est la plus agressive. Vive le béton, les toits plats, vive les taches.
Mais l’ère de la villa est révolue, l’avenir est aux villes densifiées. Pas forcément grâce aux tours:
un géographe, l’autre matin à la radio, suggérait de s’inspirer de la médina. Entendez: la ville traditionnelle à l’orientale, avec ses ruelles étroites et sa vie grouillante au coude-à-coude.
Je vote pour, c’est mieux que la tour! Mais à une condition. Ce qui fait le charme de la médina, c’est l’animation de ses ruelles, jusque tard le soir. Alors: on interdit d’emblée les pétitions de riverains pour nuisances sonores. Oui, il faut préserver le caractère du lieu.