C’était un cousin, lors des 50 ans de mon père, en 1977, qui avait eu cette phrase de conclusion de son discours: «La première moitié est faite; la plus dure.» Allez comprendre les corridors de la mémoire, cela m’est revenu l’autre nuit, alors que s’agitait dans la transe dansante d’un remix de Happy une bande d’ami(e) s venus fêter mon demi-siècle.
Je n’étais pas fan de monter l’opération, au début de l’année. Ces termes, justement: demi-siècle, quinqua, milieu de vie, entrée chez les seniors, tout ça ne me disait rien qui vaille, sérieux. Je sais que c’est là coquetterie stupide, narcissisme schnock, que c’est l’esprit qui compte et pas la date inscrite sur le passeport, mais bon. J’avais durant ce demi-siècle bien apprécié la rassurante idée d’être jeune.
C’était un copain, lors de cette agape dont la réussite a fait que je peine à me rappeler comment cela s’est terminé, qui s’est chargé d’un discours tendre au sujet de mes agaçants avis sur tout, mes suspects fourre-tout idéologiques, et donc de nos incessants bavardages. Au mieux, il s’agit là d’une déformation professionnelle et, au pire, voilà une angoisse qui monte. Il n’est guère certain que la seconde moitié soit si moins dure que ça. L’optimisme à ce sujet me semble une réflexion venue des trente glorieuses, l’idée qu’à 50 ans on n’a plus qu’une course en jolie descente cool devant soi. On serait au sommet. Tu parles. Peut-être qu’en s’allégeant, cependant, le coup est jouable.
Car c’est un écrivain, toujours cette nuit-là, qui m’y a fait penser. Cette histoire d’allègement lui ressemble un peu: il me semble qu’il a passé sa vie à se débarrasser de ce qui ne l’intéressait pas pour se concentrer sur ce qui le fait vraiment courir, du violon au Japon, de la plume à la brume qui s’ensoleille au-dessus des prairies de printemps. La seconde moitié, c’est celle où l’on ne perd plus de temps, et où certains concepts méritent fort approfondissement: la révolte, la musique de Petrucciani et d’Elvis, l’insolence, une impolitesse heureuse devant l’hypocrisie, se mettre à l’épreuve de pensées moins conformes. Une façon de ne plus se payer de mots, en quelque sorte. On ne vit qu’une fois, alors faisons en sorte qu’une fois suffise. Je vais faire ça.