Mince alors, on n’y comprend plus rien. Le mariage, c’est d’avant-garde ou c’est ringard? A généraliser ou à supprimer? Il y a quelques mois, la France – pays champion des enfants nés de concubins – étonnait le monde en restaurant l’institution en péril: le mariage pour tous comme symbole du progrès social, c’est une réhabilitation civilisationnelle «last minute».
En Suisse, la voie du progrès prend une autre direction. Consultée par Simonetta Sommaruga sur le droit de la famille du futur, la juriste bâloise Ingeborg Schwenzer propose, en gros, de supprimer le mariage. Toutes les formes de communauté de vie doivent être mises juridiquement à égalité, dit-elle, sans même exclure a priori la polygamie. Les gens pourront se marier si ça leur chante, mais ça n’aura pas plus de valeur qu’un apéro d’anniversaire.
Voilà qui m’a l’air très très progressiste aussi, mais, alors, on ne sait plus où se mettre pour être de gauche.
Un livre m’a aidée à y voir plus clair, je vous le recommande. Adieu les rebelles! de l’historienne française Marie-Josèphe Bonnet (Flammarion). Cette pionnière du MLF et des Gouines rouges constate que la contre-culture homosexuelle des années 70 a fini par endosser l’idéal «petit-bourgeois» de la respectabilité conjugale. Elle n’en revient pas: quelle défaite, quelle trahison, dit-elle. Il y avait moyen pour les gays et lesbiennes de se protéger sans se normaliser à ce point. Selon elle, beaucoup de gens de gauche sont mal à l’aise face à la resacralisation de la fleur d’oranger. Mais ils n’osent rien dire: il est devenu impossible de désapprouver le mariage pour tous sans passer pour un suppôt de l’homophobie.
Au concours du progressiste le plus vrai, Ingeborg Schwenzer l’emporte donc sur François Hollande? Presque: en matière de non-discrimination, la juriste mollit sur la fin. Elle veut mettre tous les couples à égalité, mais que fait-elle de l’égalité entre couples et célibataires? Pourquoi continuerait-on à favoriser les premiers? Comme le rappelle Marie-Josèphe Bonnet, nos constitutions sont basées sur les droits de l’individu, pas sur ceux du couple. C’est d’une logique implacable: tous égaux, chacun pour soi. Le reste relève de la sphère privée.
Encore un effort, Ingeborg, pour être révolutionnaire.