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La chronique de Werner De Schepper: avis mortuaire d’une jeune fille au pair

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Jeudi, 15 Mai, 2014 - 05:56

Chaque fois que je suis en vacances au Sörenberg, je lis l’Entlebucher Anzeiger. Le plus intéressant, c’est les avis mortuaires. Ils permettent d’avoir une vision précise des rudes conditions de vie dans la vallée de la Waldemme, au pied du Brienzer Rothorn. L’avis mortuaire de Gertrud Haas, par exemple: «Gertrud Kunz-Haas est née le 6 avril 1929 à l’Erlengraben de Finster­wald. Aînée de neuf enfants, elle a dû très tôt travailler à la ferme et assumer des responsabilités. Son plus cher désir, fréquenter l’école secondaire, ne lui fut pas accordé. Le ménage et le travail aux champs étaient plus importants. En 1939, quand elle avait 10 ans, la guerre a éclaté. Son père a dû partir au service militaire. Les enfants aidaient au mieux leur mère à accomplir les travaux nécessaires. En 1943 – Gertrud avait alors 14 ans –, elle termina l’école et alla travailler durant l’été à la tourbière. A l’automne 1943, elle entama à Neuchâtel son séjour, alors obligatoire, de jeune fille au pair en Suisse romande. Le plus beau moment fut quand elle put rentrer à la maison au bout d’un an…»

Eh oui, ça se passait ainsi, en ce temps-là, dans l’Entlebuch. La tradition du Welschlandjahr presque obligatoire était pour d’innombrables jeunes filles de l’Entlebuch leur seule formation. Et, même si Gertrud Haas fut heureuse de pouvoir rentrer à la maison au bout d’un an, grâce à ses connaissances de français acquises à Neuchâtel, elle obtint un emploi dans un hôtel de Lucerne. Eh oui, c’était ainsi, en ce temps-là. Pas uniquement dans l’Entlebuch. Jusque dans les années 70, le Welschlandjahr a été pour beaucoup de jeunes femmes suisses alémaniques de milieux peu favorisés le seul moyen d’apprendre une langue étrangère.

Aujourd’hui, c’est différent. La tradition du Welschlandjahr presque obligatoire n’existe plus que dans les avis mortuaires. C’est peut-être bien ainsi: à l’instar de Gertrud Haas, beaucoup de jeunes filles au pair ont été exploitées par leur famille d’accueil en tant que force de travail à moindre prix. Mais, pour la plupart de ces jeunes femmes, ce fut le seul moyen de sortir de leurs conditions de vie étouffantes: vers le monde, vers une autre culture. Et elles ne furent pas rares à laisser leur cœur en Suisse romande.

Quand on parle aujourd’hui en Suisse alémanique d’un séjour linguistique, on parle de coûteux cours de langue en Angleterre, en France, en Espagne ou à Malte. Voilà longtemps que la Suisse romande n’est plus le premier choix, pour ne pas parler d’affaires de cœur. Hommage à Malte mais, d’une manière ou d’une autre, il faudrait réinventer l’année obligatoire en Suisse romande. Pour les jeunes filles et les jeunes gens. En guise de ciment pour la Suisse.

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