On a beau en sourire, il faut s’interroger sur les réactions de haine qu’a suscitées son triomphe, à Conchita Wurst. Le travesti autrichien de 25 ans, barbe et robe fourreau, qui vient de remporter le concours Eurosong, parle paix et harmonie en remerciant ses amis sur Facebook. Mais Toile et au-delà ont été aussitôt remplis de déclarations délirantes.
Dmitri Rogozine, vice-premier ministre de cet homophobe glacé de Vladimir Poutine, a ainsi souligné que Conchita «a donné un aperçu aux partisans de l’intégration européenne de ce qui les attend en rejoignant l’Europe, à savoir une fille à barbe». Le nationaliste russe Vladimir Jirinovski en a rajouté: «Notre indignation est sans limites. C’est la fin de l’Europe. Elle est devenue dingue. Ils n’ont plus de femmes et d’hommes là-bas, mais un “ça” à la place.»
Plus près de nous, l’extrême droite autrichienne ou Christine Boutin en France sont allées dans le même sens, et je vous épargne les saletés du web en pagaille.
On a beau en sourire, transformer l’Eurosong en un précipité continental, une compétition chansonnière labellisée UE qu’il faudrait lire façon géopolitico-sexuelle, participe d’une confondante débilité. Je demeure convaincu que l’allure de Thomas Neuwirth, devenu à la scène Conchita Wurst, mélange pileux de Shirley Bassey et de Devendra Banhart, n’est pour rien dans ce succès. Rise like a Phoenix, chanson gagnante, lâchée façon classique classieux à la James Bond, est simplement la meilleure chanson entendue dans le concours depuis des années. Et cette voix émouvante, déchirante à l’instant de pousser le refrain dans le lyrisme, embarque tout:
je me la passe en boucle, cette chanson.
On a beau en sourire, j’ai cherché sur la carte Gmunden, 13 000 habitants, où est né Tom-Conchita. En 1514, c’est là que l’empereur Maximilien 1er a signé le premier accord «Est-Ouest», avec le tsar Vassili Ivanovitch III. J’ai imaginé le culot et le courage qu’il avait fallu à Tom pour s’y accepter, revendiquer une identité, espérer un peu d’amour. Y songeant, je me suis dit qu’il fallait rassurer ceux qui s’horrifient si bêtement de la femme à barbe: Conchita Wurst a de sacrées couilles.