je savoure le bonheur du hasard qui, un beau jour, a placé sur mon chemin un homme qui, hormis d’autres qualités, ignore tout du coup franc et n’a pas d’avis sur les pénaltys.
Je n’ai plus à m’efforcer de comprendre, à tenter de m’intéresser. J’aurais bien voulu, enfant, partager cette passion qui habitait Stefano, mon grand-père, celui qui tenait la buvette attenante au terrain de foot de la Champagne, à Boujean, Bienne, tandis que sa femme préparait le rôti. Ressentir cette tension, comme mon père et les autres, debout autour du terrain, les mains dans les poches, cigarette ou cigare au bec, qui regardaient tous dans la même direction et tournaient la tête de concert. A la maison, je posais des questions sur ces Jeandupeux, ces Chapuisat, dont les noms sortaient du poste et captivaient l’attention des hommes de la famille. Mais rien, je n’éprouvais rien. Pire: je me sentais exclue.
Tout récemment, sur la terrasse ombragée et vierge de tout public viewing, nous étions presque seuls hormis deux ou trois touristes égarés. Notre fille, nos parents, nos amis, tous avaient leurs yeux à eux rivés sur un écran et suivaient le jeu de l’équipe nationale, leurs lèvres s’apprêtaient à laisser échapper cris, soupirs et surtout gémissements tandis que les nôtres trempaient dans le chasselas bien frais pour moi, la bière mousseuse pour lui.
Je l’avoue et désormais l’assume: au vert du gazon, je préfère celui de ses yeux, mêlé de gris.