Milo Moiré a raté son coup: elle voulait choquer, elle n’a été que matée. L’artiste suisse s’est baladée nue dans les rues et le métro de Bâle, et personne ne lui a dit d’aller se rhabiller, ne lui a craché dessus ou ne l’a enfermée à l’asile. Bref, son happening nudiste a fait un flop.
Mon explication est la suivante: Milo est bandante. Sa plastique irréprochable et son visage d’ange en font une candidate parfaite à une occupation maximale des réseaux sociaux, mais une candidate très imparfaite à quoi que ce soit d’autre. Elle ne sera jamais ni la fiancée idéale, ni la bonne copine rêvée, ni l’intellectuelle reconnue. Il y a quelques jours, l’inénarrable Nabilla expliquait au Journal du Dimanche que l’on ne pouvait pas être belle et intelligente à la fois, que cette qualité était «le privilège des moches», qui n’ont «que ça à faire».
Elémentaire, ma chère Nabilla: Milo est trop belle pour que l’on s’imagine qu’elle serve à autre chose qu’à être belle. Elle est si parfaite qu’elle passe paradoxalement inaperçue: on la regarde comme une fille tombée d’une affiche pour des maillots de bain ou des vacances sous les cocotiers. Elle n’a pas l’air d’une femme nue, mais d’un stéréotype sur pattes. Dans son cas, c’est un problème: elle est trop jolie pour faire le job. Avec un corps normal, tel que l’assument, ou pas, 99% des femmes – fesses molles, bourrelets, mollets quelconques –, je suis persuadée que Milo aurait dérangé. On l’aurait habillée, arrêtée, insultée. On aurait réfléchi vraiment au rôle d’un corps nu dans l’espace public. Là, qui donc a réfléchi? Si votre voisine ou votre garagiste se baladait soudain en tenue d’Eden, vous seriez choqué. Mais Milo-aux-seins-refaits fait envie, c’est tout. La beauté fait oublier de réfléchir. Voyez ce qui se passe autour du prisonnier Jeremy Meeks, yeux bleus dans un visage de métis, depuis que le commissariat californien qui l’a arrêté a publié son portrait: il est devenu en quelques jours le sexe-symbole du Net. Qu’il soit idiot ou fou dangereux ne compte pour rien.
Je suis en colère contre Milo, qui nous fait croire qu’elle fait avancer la cause du nu et des femmes alors qu’elle ne fait que valider les diktats d’une beauté bistourisée. Milo n’est qu’une sale petite exhibitionniste. L’art a bon dos. J’encourage l’exhibitionnisme, mais pas l’hypocrisie. Le corps de Milo Moiré nous empêche de réfléchir à son discours et de percevoir autre chose que la sublime façade de ses fesses. Milo, il est temps d’arrêter régimes et bistouri et de passer à l’intelligence. Pour le reste, on a déjà Nabilla.