Alors elle m’a dit:
– Tu prends dix gouttes par jour, c’est un truc formidable: cent pour cent naturel et incroyablement efficace. J’ai essayé l’an dernier et figure-toi que je n’ai pas été malade de tout l’hiver.
Impressionnée, j’ai demandé:
– Formidable, en effet. D’habitude, tu tombes facilement malade en hiver?
Et elle, sans broncher:
– Pas du tout, pourquoi?
C’est le problème avec toutes ces essences, baies et infusions qui vous promettent un bien fou. Vous en prenez, vous vous sentez en pleine forme mais jamais, encore moins qu’avec un médicament homologué, vous ne saurez si c’est vraiment grâce à elles.
Ma copine, par exemple: si ça se trouve, cet hiver-là, sans son truc formidable, elle aurait agonisé sous l’effet d’une attaque microbienne hétérodoxe. Je suis même prête à imaginer qu’elle a senti obscurément venir l’agression, et que c’est précisément ce qui l’a amenée à chercher une parade cent pour cent naturelle et incroyablement efficace. Je suis prête à tout imaginer, mais j’ai besoin de savoir.
Ce qu’elle en pense? Rien du tout. Elle trouve que je coupe les cheveux en quatre en voulant trouver une raison à tout. Elle se place fièrement dans le camp des intuitifs, me répète que ces choses-là, elle y croit, c’est tout. Ce disant, elle me regarde avec un air légèrement condescendant. Pour tout dire, elle me plaint.
Elle a raison. Le besoin de comprendre est certes un moteur majeur pour l’humanité. Mais question puissance de feu, le besoin de croire le coiffe au poteau.
Tenez, un exemple rigolo (sans cadavres, je veux dire). Quelle est la dernière trouvaille des chirurgiens esthétiques japonais? La correction des lignes de la main au scalpel électrique. Ils cartonnent? Bien sûr.
Ça se passe comme ça. J’ai envie de croire que je vais rencontrer l’homme qui me fera virevolter sur un nuage rose pour le restant de mes jours. Hélas, ma voyante trouve ma ligne d’amour rachitique. Je vais donc chez le chirurgien et je m’en fais redessiner une, façon autoroute du destin. Et, bien que j’aie moi-même, en toute lucidité, dessiné la ligne factice et payé pour sa réalisation (1000 dollars), je reprends rendez-vous chez la voyante, pour l’entendre me prédire un futur virevoltant d’amour. Et, oui: j’y crois.
Fascinant, non? Le progrès au service de la superstition. Quand je pense qu’on a cru un moment voir cette dernière terrassée par la lumière aveuglante de la science. La bonne blague.
Le plus dur à admettre, c’est que la patiente du chirurgien japonais a, de fait, une chance supplémentaire de rencontrer l’homme de sa vie: les choses vous arrivent plus facilement quand vous y croyez, c’est scientifiquement attesté. Traduit en sagesse populaire: la foi déplace les montagnes.
Alors je dis: OK, il me manque un truc. Mais si la foi pouvait se contenter de déplacer les montagnes sans les faire exploser, ce serait tellement plus sympa. Et je courrais me faire soigner.
