Anniversaire.Depuis trente ans, la boutique du Flon à Lausanne habille les tribus urbaines. En installant quelques incontournables du vestiaire de la rue.
Le vêtement le plus vendu en trente ans chez Maniak? Le Bowie, comme David, pantalon taille haute à pinces, créé d’après le look de l’album Let’s Dance, carton planétaire en 1983. L’année de naissance de Maniak. Juste une marque d’abord, ensuite une marque dans une boutique du Flon, aujourd’hui une boutique au Flon qui a perdu sa marque d’origine. 1983: l’année où le monde dansait comme jamais, où Michael Jackson exécutait le moonwalk pour la première fois à la télé, où Prince sortait son double album d’anthologie, 1999, où U2 était consacré meilleur groupe par le magazine Rolling Stone, où les rappeurs de RUN DMC commençaient à secouer les parquets. Cette année-là, une fille et son gars ont décidé de fournir les Lausannois en fringues comme à Londres, comme à Paris. Au nom de la fête et de la nuit.
Flaireuse de tendances. Punk, rock, reggae, rap, street, techno, gothique… Babette Morand, 55 ans, la fille aujourd’hui seule aux commandes du Maniak de Lausanne (celui de Genève est aux mains de son frère, Philippe) est l’habilleuse des tribus urbaines. Elle les sent apparaître, elle approvisionne ses portants avant que la mode ne débarque à Lausanne.
Souvenir: «En 1979, j’étais à Londres pendant six mois. Sur tous les bus, il y avait des affiches de Kaya, le nouvel album de Bob Marley.» Il y a longtemps eu de la Jamaïque chez Maniak, imprimés ganja ou tie and dye rastafari. Cool, man. Mais derrière, c’est du gros boulot. «Il faut suivre, reconnaît Babette. Chaque fois qu’une mode est en déclin, une autre arrive. Comme une vague qui chasse l’autre. C’est marrant de voir ce qui revient à la mode…»
Le perfecto, par exemple. Increvable du vestiaire Maniak, il revient en force cette année. Babette, sociologue de l’image médiatique et flair hors pair: «J’ai compris qu’il allait redébarquer quand je l’ai vu porté aux infos par Laurence Ferrari et d’autres nanas. Dans des couleurs claires.» Vite, elle recommande le modèle original en cuir noir de Schott (de 700 à 1300 francs) mais, comme toujours, fait en sorte que les plus jeunes et les petits budgets puissent se looker aussi (159 francs la copie). Samedi au Flon, lors de la parade anniversaire, une dame blonde BCBG est venue rappeler ses souvenirs. «Vous m’avez vendu mon premier perfecto en 1983!» Babette de commenter: «Liliane les achetait à un mec à Zurich.»
Liliane. Alias Madame Morand. Alias Roulette. Sa mère de 85 ans. Vingt-cinq passés derrière le comptoir. Sa complice. Même humour. Liliane: «J’étais vendeuse chez ma fille, aujourd’hui je suis technicienne de surface.» Même énergie. Babette: «A Vennes (dans les hauts de Lausanne, ndlr), avec Roulette, on est allées voir Public Enemy.» Du rap, du lourd. Mêmes fringues. Longtemps, on a vu Liliane dans un pantalon en toile rayée. Dimanche, à la maison, elle en portait un blanc à rayures rouges. Le pantalon de peintre, un grand succès du magasin.
La fête contre la crise. Dans les indémodables, les marques auxquelles elle reste fidèle, on compte Carhartt, tenues de chantier streetwear depuis les années 90. Les sacs Freitag, dont les touristes raffolent. Mais parce que les grandes marques tendent à ouvrir de plus en plus leurs propres enseignes, Babette tient à cultiver ses niches. Toujours, elle veut offrir de quoi sortir aux noctambules. «Au pif», elle a senti que la tendance était au déguisement pour faire la fête, crise oblige. «Dans un salon d’achats à Nuremberg, il y a trois ans. Confirmé par le succès du vidéoclip The Fox». Best of Maniak 2013: les perruques, les moustaches, le maquillage de Lady Gaga, les lunettes et les masques d’animaux. Trente ans plus tard, pour danser, Bowie porte un masque de lapin.