«J’aime la voir briser les rêves de l’innocence / Quand Adeline danse», chantait Johnny avant que les rêves d’une autre Adeline ne se brisent au pied d’un arbre dans les bois de Versoix. Car il y a désormais une affaire Adeline, le meurtre d’une psychologue du centre de sociothérapie de la prison de Champ-Dollon La Pâquerette par un criminel violeur et violent.
Mais remarquez comme, dans la recension de ce drame par ses multiples commentateurs, nous sommes passés de la «thérapeute» à la «jeune femme de 34 ans», puis à la «jeune mère d’un bébé de 8 mois» et à la «jeune et jolie» (sic) Adeline. C’est indigne. Une bonne victime, une victime qui fait pleurer dans les chaumières, est une victime femme, jeune, jolie – c’est aussi sexiste qu’humiliant. Parlerait-on de l’affaire Jean-Pierre, si le cadavre avait été masculin? D’ailleurs, les deux premiers jours, il n’y a pas d’homme à ses côtés dans les médias, pas de mari, pas de père. L’Homme est l’assassin, uniquement, et les rangs aux côtés de la victime 100% Féminins. Or, Adeline était une professionnelle avant d’être cette «jeune mère de famille» dont les médias passent le large sourire en boucle. Cette femme est morte dans l’exercice de ses fonctions, pas en tant que «jolie jeune fille». Le dire lui rendra sa dignité. C’était son métier. Sa profession. Sa mission. Trop vite, elle est devenue «Adeline», comme Marie, comme Lucie. Mais ni Marie ni Lucie n’étaient criminologues ou professionnelles de l’accompagnement des criminels.
Adeline avait choisi de travailler à La Pâquerette, de côtoyer les criminels dangereux. Lui rendre hommage, c’est ne pas gommer cela au moment des larmes et de la colère. Je préférerais que l’on dise qu’elle s’est fait manipuler par son patient, que même psychologue, même criminologue, elle n’a pas vu le danger, pas senti la mort approcher. Hélas, on aime les victimes parfaites, pas les professionnelles qui échouent. Lui rendre hommage, c’est reconnaître cela, la faille des pros, le désarroi devant nos bonnes intentions balayées d’un coup de couteau à travers la gorge. Lui rendre hommage, c’est reconnaître qu’elle était la personne qui croyait que l’on pouvait soigner Fabrice A., que des victimes, il n’y en aurait plus. Elle était le rempart entre Fabrice A. et les victimes, toutes les Marie et les Lucie. Elle est morte.