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Staccato: secrets de famille

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Jeudi, 5 Décembre, 2013 - 06:00

Bibliothèque nationale de Paris, intérieur jour. Une jeune femme est assise et travaille à sa thèse en philosophie. Un monsieur se penche sur son épaule: «Pardonnez mon indiscrétion mais n’êtes-vous pas la fille de l’amiral Trolley de Prévaux?»

C’est de cette manière follement romanesque qu’à la fin des années 60, la journaliste Aude Yung a appris qu’elle était le fruit des amours passionnées d’un flamboyant officier de grande famille et d’une belle réfugiée juive polonaise devenue mannequin. Tous deux héros de la résistance, torturés et fusillés par les Allemands en 1944. Une filiation que ses parents adoptifs lui cachaient pour la préserver. Et qu’elle a reconstituée dans un beau livre intitulé Un amour dans la tempête de l’histoire (Ed. du Félin).

Les secrets de famille cachent toutes sortes d’aventures, plus ou moins romantiques. Pendant longtemps – avant que les «royals» n’adoptent le divorce et que les princesses célibataires ne posent enceintes en une des magazines –, les amours illégitimes ont fourni une bonne partie des scénarios, réels ou fantasmés, sur le sujet. Et chacun pouvait rêver de troquer un jour sa peau d’âne contre une robe de lumière.

L’autre personnage récurrent de ces histoires tues était celui de la bonne chassée de la maison pour cause de rondeurs inopinées. Violée par le jardinier? Séduite par le fils de famille? Silence. Silence contre argent parfois, silence honteux le plus souvent. En tout cas, elle aussi, la bonne pâte, la bonne inconnue qui mériterait un monument, était sûre, par ce silence, de protéger l’enfant.

Et voici, issu d’un rapport du Conseil fédéral (lire en page 26), le personnage émergent du secret de famille du troisième millénaire en Suisse: la mère porteuse ukrainienne. Elle est pauvre, peu éduquée, pas en position de négocier d’égal à égal les termes du contrat qu’elle signe avec la clinique et le couple qui loue son ventre. Lorsque tout se passe bien, on imagine que certaines gestatrices auraient plaisir à recevoir de temps en temps des nouvelles de l’enfant.

Mais il y a peu de chances que cela arrive: l’immense majorité des couples suisses qui rentrent avec un bébé «made in Ukraine» le fait, en toute illégalité, passer pour un poupon maison. On comprend qu’ils préfèrent se taire. De toute façon, la mère porteuse n’est en général que la gestatrice: la mère génétique, c’est encore une autre, celle qui a vendu les ovocytes implantés dans le ventre ukrainien. Il semble que les étudiantes soient nombreuses sur ce marché-là. Mais la plupart préfèrent rester anonymes. Même animés par le désir de transparence, les «parents d’intention», comme on les appelle, n’y peuvent rien.

De manière générale, le tourisme reproductif en plein essor est une véritable usine à secrets de famille. Ce qu’il y a, c’est qu’entre les années 60 et aujourd’hui, quelque chose a changé: on sait désormais que le silence ne protège pas l’enfant. Que c’est un vrai poison, une bombe à retardement.

On le sait. Et on s’en fout?

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