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Profession: «désenvoûteur»

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Jeudi, 13 Février, 2014 - 05:53

Expérience.«L’Hebdo» a suivi pendant une journée un médium qui «nettoie» les maisons et les entreprises romandes de leurs «entités surnaturelles». Regard sans a priori sur une pratique secrète mais répandue.

Il a un look de biker, avec sa queue de cheval. Il porte une sacoche. A l’intérieur, une pierre «programmée» pour le rendre plus fort dans les cas extrêmes. Il roule dans une Porsche Cayenne d’occasion, qui ne vaut plus grand-chose à l’Argus. Parfois, il se parque hors des places, mais n’a jamais d’amende. Il était major à l’armée; gérant d’un grand magasin d’alimentation. Et un jour, Frédéric Jacquat, 43 ans, a tout laissé tomber. C’était il y a dix ans.

Depuis, il travaille pour une boîte de nettoyage. Façon de parler. Il est médium guérisseur. Il consulte, dans son cabinet d’Yvonand (VD), et se déplace pour «nettoyer» maisons, immeubles et fermes. Incognito, il a aussi exercé ses dons dans des banques, une bibliothèque, une menuiserie, des bâtiments cantonaux, un office de placement pour les chômeurs… Une clientèle qui n’aime pas la publicité.

Ou le siège de Ringier Romandie (éditeur de L’Hebdo), sur la demande d’employés. Le tout avec l’aval et le financement de la direction, sceptique mais ouverte. C’est à cette occasion que nous l’avons rencontré. Il a accepté qu’on le suive pendant une journée, pour aller «dégager» des «entités» gênantes et «désenvoûter» des maisons privées, ainsi qu’une entreprise valaisanne de stores.

Puits d’énergie.«Ma technique est simple: j’appose les mains contre les murs. Je vais dans leurs mémoires. Autour de nous, il y a des entités qui veillent sur nous. Il peut aussi y en avoir de mauvaises, qui se nourrissent de notre énergie. J’ai le don d’aller déloger ces mauvaises entités sur les personnes et les objets et de les libérer du mal.» On le regarde, dubitatif.

A la rédaction de L’Hebdo, Frédéric Jacquat a repéré un «puits d’énergie». Troublant, car à cet emplacement, trois collègues ont connu dernièrement de graves problèmes de santé. «C’était puissant, ce qu’il y avait, avec le pont Bessières tout proche (le pont lausannois tristement connu pour ses suicides, ndlr). Les travaux pour creuser le métro, juste en dessous, ont fait remonter pas mal de choses. J’ai neutralisé les énergies mauvaises, pour remettre du bon.» Frédéric Jacquat ne donne pas d’autres explications. Il est plutôt pragmatique, même s’il dit toutes sortes de choses que la science réprouve. Nous n’entendons ni les démontrer ni les infirmer. Décrire, simplement.

La voix du guide.«Parfois, je me dis: je vais me réveiller, ce n’est pas réel. Mes patrons sont dans l’invisible. Je n’ai pas de sortie de boîte, de syndicat, rien.» Ses patrons? «Ce sont mes guides, Dieu, la sainte Trinité. Ce sont eux qui m’ont donné le don, pour que je travaille et que j’aide les autres.» Plutôt exigeants, comme employeurs, non? «Enfant, j’avais tout le temps quelqu’un à côté de moi, une présence. Je ne jouais jamais seul. Mais je voyais dans les yeux de mes parents qu’ils ne se rendaient compte de rien. Moi qui pensais que chacun entendait une voix, dans sa tête… J’ai dû apprivoiser la mienne. Certains n’y arrivent pas et finissent fous.»

Lorsqu’il a commencé à travailler comme guérisseur, sa famille lui a tourné le dos. Sa copine aussi. Son amie actuelle, c’est autre chose. Elle parle avec les morts. «On est sur la même longueur d’onde.»

Par humour, il a hésité à coller sur sa voiture un autocollant des films Ghostbusters, qu’un enfant lui a offert. Et puis non, ça ne faisait pas très «sérieux».

De la baie vitrée du café de l’Evêché, à Lausanne, il regarde si une contractuelle de passage lui colle une contravention. Non, elle passe tout droit. Il a demandé de rendre la Porsche momentanément «invisible». «C’est pratique», dit-il, un peu farceur. Mais pourquoi accepter qu’un journaliste le suive? «J’ai pris conseil auprès de mon guide, pour l’interview. Je suis réticent, j’ai toujours refusé de parler aux journalistes… Mais cette fois, mon guide m’a dit: “Tu dois le faire.” Cela veut dire que des personnes seront aidées par cet article. Les autres, les personnes trop critiques, elles ne le verront tout simplement pas.»

On sent quelque chose. Des frissons. Un picotement froid. «C’était pour voir si vous êtes réceptif.» On a passé le test. On peut partir à la chasse aux fantômes.

Le jour dit, départ à 6 heures du matin pour une villa à Vex, en Valais. Puis viendra l’entreprise Roch Stores, à Sion. Un appartement dans la même ville. Puis la villa d’un vendeur de voitures dans la campagne vaudoise. Et, enfin, à Grandvaux (VD), l’appartement d’une thérapeute, Colette Dumas. La petite entreprise de Frédéric Jacquat ne connaît pas la crise, mais lui coûte beaucoup d’efforts aussi. Ses prix n’ont pas varié depuis dix ans. Il demande 100 francs pour un soin dans son cabinet. Pour «nettoyer» un appartement: 150 francs. Plus cher si c’est une maison, une ferme, un château… «J’en vis, c’est mon travail. Mon guide m’a dit: “Demande un salaire, mais juste”.» Il nettoie deux jours par semaine. Il a besoin de temps pour se régénérer.

«Faut être open». Dans la villa de Vex, le propriétaire et sa compagne ne se sentent pas bien. Elle, surtout, se réveille la nuit. Et puis, confie-t-elle, «il y a des bruits bizarres». Frédéric Jacquat passe d’une pièce à l’autre, en commençant par la cave, applique les mains sur les murs, ferme les yeux, expire. L’air amusé, il nous suggère: «Si vous voulez sentir quelque chose, entrez dans cette pièce.» C’est une petite chambre vide. Aussitôt, l’impression de ne plus pouvoir respirer, d’être pris en tenailles, étranglé. C’est bon, on a vu. «Quelqu’un a fait des incantations ici, pour appeler le malheur sur la maison.»

A l’entreprise Roch Stores, le patron, Béat Roch, assume. Oui, il a recours aux services d’un médium. Un employé est en arrêt maladie. Un autre a «pété les plombs». Il dit simplement: «Faut être open», et propose l’apéro. Non, pas pendant le service. Après le tour du propriétaire, Frédéric Jacquat précise: «Si ce n’est pas complètement réglé, appelez-moi. J’interviendrai à distance. C’est dans le service après-vente. (Sourire.)»

A Grandvaux, la thérapeute Colette Dumas, elle non plus, n’est pas à l’aise dans son appartement. «Je me sens apathique. Alors, peu importe la méthode, pour moi, ce qui compte, c’est de me sentir bien chez moi.» De la chambre à coucher, la voix du médium nous parvient, réjouie: «Déjà trois entités!» Et la maîtresse de maison de répondre: «Vous pourriez en profiter pour faire mes vitres, pendant que vous y êtes! On nettoie ou on nettoie pas!»

En fin de journée, Frédéric Jacquat a des renvois. «C’est la délivrance, les entités me traversent.» Il sourit encore. En voiture, il précise: «Après cette journée, vous aurez besoin de beaucoup de sommeil. Je lancerai à distance un programme de nettoyage, pour que les entités que nous avons croisées ne vous dérangent pas.» On lui demande de remercier son guide de notre part.

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Florian Javet
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