Autrefois, lorsqu’on lançait «Tu veux ma photo?», c’était clair. Le type qui vous dévisageait même de manière parfaitement agaçante vous regardait de face, à hauteur d’yeux, tout juste bien placé pour se prendre une claque. «Se prendre en photo» aussi, c’était clair. D’ailleurs, on avait glissé de «se prendre en photo» à «faire un selfie» sans grande révolution culturelle, à part des nez aplatis pour cause de bras trop courts. Mais soudain, nous glissons de selfie à belfie et tout change. Subtile combinaison de butt ou bum, soit popotin en anglais, et selfie, le belfie désigne une photo que l’on prend soi-même, avec son smartphone, de ses fesses. Et le vrai de vrai, le pur belfie, c’est celui qui a l’humilité de ne montrer qu’une belle paire de fesses, sans visage. Kim Kardashian, Rihanna, Lady Gaga, Heidi Klum ou Miley Cyrus ont toutes montré l’exemple en postant moult belfies sur les réseaux sociaux, tentant de nous convaincre que, de la même manière que des scientifiques ont prouvé qu’un deuxième cerveau se cachait dans notre estomac, un troisième cerveau se nichait entre la raie des fesses.
Cette compétition des plus belles fesses a deux conséquences positives, et deux seulement: c’est la revanche des postérieurs charnus. Les belfies des maigres aux fesses plates ne suscitent absolument aucun intérêt. Et puis quel talent! Essayez: placez-vous dos au miroir. Cambrez les reins. Prenez votre téléphone d’une main, visez le miroir, puis pivotez sur vous-même jusqu’à ce que vous ayez vos fesses bien au centre de la photo. A moins de cinq ans de yoga, difficile. Sinon, c’est terrifiant. On est passé de «Je pense donc je suis» à «Mon cul, c’est moi». On a longtemps cru en la physiognomonie de Lavater, on est expert, comme Cal Lightman dans la série Lie to Me, en détection de mensonges par l’analyse des micro-expressions du visage. Cette ère est révolue. Imaginez: au lieu de nos bobines sur nos passeports, nos fesses. Dans les journaux, au lieu de la photo de Brady Dougan, Simonetta Sommaruga ou Darius Rochebin, on verrait le postérieur de Brady Dougan, de Simonetta Sommaruga ou de Darius Rochebin. Notez que c’est un gage de démocratie: son visage, on en hérite, et sans frais chirurgicaux importants, on ne peut rien y changer. Les fesses, oui. Prenez Jen Selter, bien nommée «queen of the belfie». Elle était employée d’un club de gym pour 7 dollars de l’heure. Jusqu’à ce qu’elle ouvre un compte Instagram consacré à ses fesses en action sur différents appareils de musculation. Elle en est à 3 millions de followers et Nike ou New Balance l’utilisent désormais comme femme-sandwich. Si le progrès consiste à augmenter le bien-être et le plaisir des êtres humains, alors ici tout le monde est servi. Vive le progrès.