Il s’appelait Pierre Wauthier. Le directeur financier de Zurich Assurances, 53 ans, employé du groupe depuis dix-sept ans, marié et père de deux adolescents, s’est suicidé lundi dernier dans sa maison de la Goldküste, sur la rive droite du lac de Zurich.
Trois jours après, Josef Ackermann, président du conseil d’administration, annonçait sa démission. Dans le communiqué, une phrase remarquable: «J’ai des raisons de croire que la famille attend de moi que j’assume ma part de responsabilité, même si, objectivement considéré, cela est infondé.» Cette formulation ambiguë, à la limite de la perversité – sous-entendant «je démissionne parce que la veuve de mon employé me juge responsable, mais c’est n’importe quoi» –, résume pourtant tout l’enjeu consécutif aux suicides: qui est responsable?
La question ne se pose pas en cas d’accident de la route, de cancer ou de crise cardiaque – la réponse est fournie avec le mort. Mais nous ne supportons pas l’énigme du départ volontaire. Quitter la partie en plein jeu? La table du repas alors que le dessert n’est pas servi? Le tout sans excuse valable? Quelle impolitesse!
Jo Ackermann, aussi mufle soit-il dans la formulation de son communiqué, a raison: on ne se tue pas à cause de son patron. On se tue parce qu’on s’identifie trop à ce qui finit par nous perdre, parce qu’on a mis tous ses œufs dans le même panier. Si elle ne m’aime plus, la vie s’arrête, et pan. Si mes résultats sont moins bons que prévus, la vie s’arrête. Et pan.
Le 23 juillet, c’était Carsten Schloter, 49 ans, patron de Swisscom, que l’on retrouvait mort chez lui. Très vite ont bruissé les rumeurs: il voulait quitter l’entreprise, le conseil d’administration lui mettait la pression, il était en burn-out. Mais personne n’a démissionné parce que, heureusement pour Swisscom, on a retrouvé une lettre chez lui qui évoquait l’épouse quittée pour la maîtresse, les enfants qu’il ne voyait plus, la culpabilité. Ouf, une histoire de femmes, l’honneur de l’entreprise était (apparemment) sauf.
Carsten, Pierre – deux hommes. A cause de la crise, depuis 2008, des centaines de patrons d’entreprise se sont donné la mort en Italie, en France. Des patrons, pas des patronnes. Pourquoi les hommes se tuent? Mes chéris, il y a plus important que le travail. Les femmes le savent. Et pourtant, It’s a Man’s Man’s World. Allez comprendre.