LUCIANA VACCARO. La première rectrice de la Haute Ecole spécialisée de Suisse occidentale prendra officiellement ses fonctions le 1er octobre. Rencontre avec une Italienne aux multiples facettes.
Toujours en mouvement, Luciana Vaccaro nous reçoit chez elle, entre deux voyages, dans son lumineux appartement familial non loin de la place Chauderon, à Lausanne. Ses deux filles de 7 et 10 ans regardent sagement un film dans le salon alors que nous nous installons dans sa cuisine autour d’un café à l’italienne. La nouvelle rectrice de la HES-SO, la première haute école spécialisée de Suisse de par sa taille (27 sites dans sept cantons, totalisant 18 200 étudiants, ce qui en fait la deuxième institution académique de Suisse derrière l’Université de Zurich et ses quelque 26 000 étudiants), fait preuve d’une grande simplicité et a le contact facile. Elle rentre de trois semaines à Berlin, où elle a passé sept heures par jour avec des «gamins de 25 ans» à apprendre l’allemand. «Maintenant, je peux tenir une conversation. Ça fait partie du contrat que j’ai passé en acceptant le poste. Je me suis acheté des séries TV en allemand – Dr. House – pour ne pas perdre au retour», raconte en souriant cette mère de 44 ans, qui maîtrise déjà parfaitement le français, l’anglais et l’italien, sa langue maternelle. Autant de langues qui lui seront utiles dans sa nouvelle fonction.
Un parcours entre physique et management. Luciana Vaccaro succède à Marc-André Berclaz, président du comité directeur de la HES-SO pendant dix ans, et inaugure ce nouveau statut de rectrice, né de l’entrée en vigueur, au 1er janvier, de la convention intercantonale des HES visant à leur donner une gouvernance centrale forte afin de mettre en œuvre une stratégie commune pour améliorer leur rayonnement.
Originaire de Naples, où elle grandit dans les années 70, Luciana Vaccaro arrive en Suisse après avoir fait des études de physique. «J’ai reçu une excellente formation en Italie, j’ai été drillée aux études par mes parents (tous deux actifs dans le milieu universitaire à Naples, ndlr), mais malheureusement il n’y a pas beaucoup d’opportunités.»
Elle s’ouvre alors au monde de la recherche au CERN, avant de se lancer dans un doctorat à l’EPFL en 1997. Aujourd’hui, elle se sent autant Suissesse qu’Italienne. «J’ai une certaine nostalgie pour l’Italie, mais plus pour le pays qu’il pourrait être que pour ce qu’il est devenu.» Avec son mari, Lorenzo, lui aussi natif de la Botte et également physicien, elle a songé au retour au pays il y a quelques années. Mais après avoir passé dix-sept ans en Suisse, leur vie est ici.
Après sa thèse, elle devient maître assistante en microtechnique à l’Université de Neuchâtel, sous l’égide du «charismatique» René Dändliker. «Quand j’ai rencontré Luciana, c’était une jeune femme qui avait déjà beaucoup d’initiative, une personnalité affirmée et engagée. Malgré sa petite taille, elle marque tout de suite les lieux de sa présence. Très attachée à sa profession, j’ai toujours été épaté de sa capacité à s’organiser avec ses enfants», raconte le professeur de physique désormais à la retraite. «C’était pourtant difficile d’être mère, un rôle très pratique et affectif, tout en faisant un travail de recherche abstrait en nanotechnique, souligne la chercheuse. La dicho-tomie était trop forte.»
En travaillant en réseau à l’élaboration de projets européens, Luciana Vaccaro comprend qu’elle préfère développer une vision globale de la recherche et de la formation que de travailler dans un labo. Elle met alors son talent d’organisatrice au service de l’Université de Lausanne et découvre le monde de l’économie de la santé en y dirigeant une formation postgrade.
Avec de nouvelles compétences en poche, elle retourne à l’EPFL en 2009, où elle fonde le grants office, le bureau s’occupant de promouvoir et d’aider au financement de la recherche. «Luciana donnait des tuyaux aux profs pour constituer de bons dossiers. C’est quelqu’un de passionné, qui a beaucoup d’énergie. Vu ses qualités de management et sa connaissance du monde de la recherche, elle va apporter beaucoup à la HES-SO et lui donner de la hauteur», estime Martin Vetterli, président du Conseil national du FNS, qui a connu Luciana Vaccaro alors qu’il était professeure et doyenne à l’EPFL. «Je sentais que j’étais arrivée au bout de l’histoire à l’EPFL, raconte la nouvelle rectrice. En janvier, j’ai vu l’annonce pour le poste et l’ai regardée pendant deux semaines, me rendant compte que je correspondais à tous les critères. J’ai préparé soigneusement ma candidature, mais j’imaginais franchement avoir 1% de chance de décrocher le job!»
«Créer une culture de la recherche.» Toujours modeste et enthousiaste, Luciana Vaccaro s’attelle rapidement à sa nouvelle tâche, même si elle doit prendre officiellement ses fonctions le 1er octobre. Elle a déjà fait siens les défis qui attendent la HES-SO, qui comprend des champs d’étude aussi variés que design et arts visuels, économie et services, ingénierie et architecture, musique et arts de la scène, santé et travail social.
«Les HES peuvent travailler aux interfaces de ces différents domaines et participer à l’intégration de connaissances dans la pratique. Prenons une question de société comme le vieillissement de la population. Bien sûr, il faut tenter de comprendre la détérioration des facultés intellectuelles grâce à des projets comme le Human Brain Project de l’EPFL. Mais cela prendra quarante à cinquante ans. Il faut aussi pouvoir s’occuper de ce problème concrètement et tout de suite en réglant des questions comme l’accès aux soins, son coût, les différents modèles d’habitation (EMS ou appartements protégés), etc. C’est dans cette recherche appliquée aux frontières des domaines et dans l’innovation en lien avec les milieux industriels, politiques et sociaux que les HES doivent se positionner et peuvent apporter beaucoup», explique celle qui se dit passionnée de politique et d’histoire contemporaine.
Sa vision d’ensemble devrait permettre à la rectrice, et à son équipe de vice-recteurs qu’elle doit encore nommer, de mettre en place des projets fédérateurs entre les écoles et leurs domaines de recherche. Une culture de la recherche qu’il s’agira aussi d’ancrer dans les HES, désormais soumises à une large concurrence universitaire. La loi fédérale sur l’encouragement et la coordination des hautes écoles (LEHE), qui devrait entrer en vigueur au début de 2014, met effectivement HES, EPF et universités sur un pied d’égalité. Les prérequis et critères de financement seront les mêmes pour tous. Les HES étant en place depuis quinze ans, elles sont moins habituées au monde féroce des dépôts de projet. Il s’agira donc de soutenir les professeurs, notamment en les libérant de certaines charges d’enseignement pour leur laisser du temps pour la recherche.
Les défis de demain. Augmentation des étudiants, infrastructures parfois limitées, redondance de certaines filières, les défis organisationnels ne manquent pas. «Il faudra créer des synergies entre les filières pour qu’elles puissent coexister tout en mutualisant certaines ressources. Les MOOC (massive online open course), que développe l’EPFL, pourraient aussi être un moyen de dispenser certains cours de base plus largement à l’avenir. La croissance du nombre d’étudiants est positive en soi. Nous ne devons pas être dépendants des autres pays au niveau du besoin en professionnels qualifiés», estime Luciana Vaccaro. Inciter les filles à choisir des métiers techniques lui tient aussi à cœur. «Mais ce n’est pas parce que je suis une femme que je vais en faire la bannière de mon mandat. Par contre, offrir aux chercheuses et aux professeures de bonnes conditions en permettant des temps partiels pour les femmes et les hommes et en développant des places de garde dans les écoles fait partie des choses que je veux mettre en place.»
Tout en exposant ses idées, Luciana Vaccaro joue presque constamment avec un objet entre ses doigts: un bricolage en forme de cœur, sa tasse à café, un pot de sel qui traînait par là. L’énergie qui l’anime se constate aussi lorsqu’elle parle de ses passions. «En tant qu’Italienne – ce n’est pas un cliché –, j’adore faire la cuisine, c’est même la seule activité manuelle pour laquelle je suis douée.» Le sport (course à pied, vélo et ski), la musique et l’art – un intérêt qu’elle partage avec son amie suisse de toujours, qui vit à deux pas de chez elle, la peintre et scénographe Romaine Fauchère – font également partie de ses passe-temps.
Ce qui transcende cette boulimie de culture, d’expériences et de contacts? «Partager et mettre à disposition de la collectivité, dans une idée d’égalité des chances, la connaissance afin d’en faire un ciment social fort.» Telles sont les bases sur lesquelles souhaite bâtir Luciana Vaccaro, nouvelle figure sur laquelle le monde académique suisse peut désormais compter.
Profil: Luciana Vaccaro
1969 Naissance à Naples.
1996 Arrivée en Suisse. Elle travaille dix mois au CERN, avant de commencer une thèse à l’EPFL.
2000 Maître assistante en microtechnique à l’Université de Neuchâtel.
2006 Directrice du MAS en économie de la santé à l’UNIL.
2009 Dirige la mise sur pied du «grants office» de l’EPFL.
2013 Première rectrice de la HES-SO.