Les Suisses se prononceront, le 5 juin prochain, sur la modification de la loi fédérale sur la procréation médicalement assistée. Pour s’y opposer, les référendaires partent du principe que, si l’on accepte une loi, d’ailleurs raisonnable, visant un objectif positif, la santé, on donne l’accès à une évolution qui autoriserait n’importe quoi. Ils préfèrent le statu quo incohérent et illogique à une avancée vers une médecine préventive.
Le peuple suisse a accepté, le 14 juin 2015, la modification de l’art. 119 al. 2c de la Constitution fédérale. L’analyse des embryons avant leur implantation dans l’utérus (diagnostic préimplantatoire, DPI) est ainsi devenue possible. La loi d’application, la «loi sur la procréation médicalement assistée (LPMA)», permet la recherche d’anomalies chromosomiques et a été acceptée par le Parlement. Le peuple suisse devra se prononcer par référendum en juin pour s’opposer éventuellement à cette loi, selon le vœu d’opposants irréductibles.
La LPMA permet enfin à la médecine suisse d’utiliser les techniques admises ailleurs pour éviter la naissance d’enfants affligés de maladies d’ordre génétique, soit transmises par hérédité, soit résultant d’une anomalie chromosomique, comme dans le cas de la trisomie. Le but de la loi est donc clair: mettre au monde des enfants en bonne santé. En revanche, toute autre visée comme la sélection du sexe est interdite par la loi.
Quels sont les arguments des référendaires pour s’y opposer?
Le plus courant et le plus hasardeux est celui de «la porte ouverte», à savoir que, si l’on accepte une loi, d’ailleurs raisonnable, visant un objectif positif, la santé, on ouvre la porte à une évolution de cette loi qui permettrait n’importe quoi, comme le choix du sexe, de la couleur des yeux ou des cheveux. La LPMA serait ainsi la porte ouverte à l’eugénisme. Le seul choix du mot est en soi redoutable, car il renvoie arbitrairement aux expérimentations nazies.
Or, cette LPMA interdit précisément de mener ce genre de manœuvres, aussi criminelles qu’insensées, visant à sélectionner une race aryenne idéale. Et donc les opposants ne prétendent pas refuser la loi telle qu’elle fut votée par le Parlement, mais ce qu’elle pourrait devenir. Ils ne prétendent pas qu’elle est déraisonnable, mais qu’elle pourrait le devenir. Ils préfèrent le statu quo, c’est-à-dire en pratique le refus du diagnostic préimplantatoire, même quand il s’impose, parce qu’il y a un risque de maladie héréditaire ou parce que le couple est stérile.
Cependant, la législation suisse autorise le diagnostic prénatal sur un fœtus de 12 semaines et un avortement qui en résulterait. Il suffit même du vœu exprimé par la mère, sans raison médicale. Ainsi, sans que cela les gêne, les opposants refusent que le diagnostic préimplantatoire permette d’éviter des avortements, auxquels ils sont d’ailleurs tout aussi opposés. Ils préfèrent le statu quo incohérent et illogique à une avancée vers une médecine préventive.
Le conseiller national Christian Lohr, par ailleurs lourdement handicapé lui-même, emploie l’argument suivant: «Il incombe à notre société d’intégrer les personnes handicapées, non de les éliminer.» Or, rien dans la loi ne vise à éliminer des handicapés existants. Elle ambitionne d’éviter que naissent des handicapés. Christian Lohr pratique donc l’amalgame. Les nazis ont effectivement eu le dessein d’éliminer physiquement les handicapés dans les asiles. Mais la loi suisse n’a rien à voir avec cette pratique, et c’est un détournement d’en parler comme si elle visait cette abomination.
«La porte ouverte» est une ritournelle du débat politique en Suisse. Si l’on réduit l’armée, c’est en vue de la supprimer. Si l’on accepte quelques réfugiés, c’est en vue de les accepter tous. Si l’on attribue une partie des taxes routières aux voies ferrées, c’est en vue d’interdire le trafic automobile. Si l’on refuse la publicité pour le tabac, cela présage l’interdiction de sa vente. Et, certes, si l’on accepte de marcher, on risque de trébucher; si l’on mange, on risque de s’étouffer; si l’on vit, on est même certain de mourir.