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Le roller derby ou le féminisme punk

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Jeudi, 23 Juin, 2016 - 05:52

Marie Sandoz

Zoom. Elles s’appellent Saramity Jane 13, Flash Morue, Space Pirate ou Angry Bunny et pratiquent le roller derby. Ce sport de contact féminin sur patins à roulettes rencontre un beau succès en Suisse. Plongée dans l’univers de jeunes femmes qui n’ont pas froid aux yeux.

«Le roller derby, ce n’est pas plus violent que du rugby ou du hockey. Il y a du contact, on se fait des bleus et on tombe, certes. Mais c’est avant tout un sport où l’on apprend à maîtriser sa force et à se dépasser physiquement.» La nouvelle recrue écoute attentivement Gorana Mijic, alias La Marquise de Sade, joueuse de l’équipe genevoise GVA. La fresh meat (viande fraîche), comme sont tendrement appelées les débutantes, découvre les règles et l’univers particulier de ce sport d’équipe sur patins à roulettes exclusivement féminin. Le jeu se déroule ainsi: sur une piste ovale, cinq filles en affrontent cinq autres et la «jammeuse» de chaque équipe doit marquer, en un laps de temps donné, des points en dépassant les joueuses adverses qui l’en empêcheront par tous les moyens.

Apparu aux Etats-Unis au tournant des années 1930, le roller derby est d’abord créé comme une course de vitesse. «Les chutes deviennent rapidement l’attraction principale, dit Anna Sokol, alias Klitorious Basterd, des Rolling Furies de Lausanne. L’industrie du spectacle récupère ce sport pour en faire une sorte de catch sur roulettes.» Après être tombé dans l’oubli, le roller derby connaît un nouvel essor au début des années 2000. Un mouvement punk aux inspirations féministes et do it yourself, soit l’art de la débrouille anticonsumériste, se réapproprie le jeu qui rencontre dès lors un succès fulgurant.

Depuis 2009, c’est l’activité sportive qui connaît le plus haut taux de croissance au niveau mondial. Et c’est justement cette année-là que les Zürich City RollerGirlz inaugurent la pratique de cette discipline sur sol helvétique. Depuis, les équipes fleurissent. En Suisse romande, on trouve des Derby Girls à Genève, Lausanne, Nyon, en Valais et à Fribourg, et Johanna Colombet, ou Bloody Josie, a déjà recruté une poignée de joueuses à Neuchâtel.

«Le principe du roller derby, c’est qu’il est créé par les joueuses et pour les joueuses, ce qui lui donne une indépendance et un pouvoir émancipateur importants», explique la Lausannoise Klitorious Basterd, elle-même fervente féministe. Ces valeurs d’autonomie et d’horizontalité décisionnelle se traduisent notamment par l’organisation associative des équipes mais aussi par un amour de la subversion.

«Dans la vie quotidienne, je m’appelle Rosy Mialet et je suis employée dans une banque privée. Mais à l’entraînement et lors des matchs, je suis Angua Von Über­wald et j’exprime mon côté rock’n’roll», sourit malicieusement la Genevoise de bientôt 40 ans dont la cuisse arbore fièrement un large tatouage. Ce versant rebelle se manifeste également par des looks où se côtoient signes punks et ultraféminité. Bas résilles, minishorts décorés de squelettes, protège-genoux léopard, lacets roses et paillettes sur le casque, les jeunes femmes allient savamment provocation, coquetterie et dérision.

Un sport rebelle et émancipateur

Le roller derby attire aussi par son esprit particulièrement ouvert. «Je ne suis pas un poids plume, mais au roller derby, on s’en fiche, lance Angua Von Überwald. Petite, grande, dodue ou maigrichonne, maman ou étudiante, homo ou hétéro, toutes les filles sont les bienvenues.» Et à La Marquise d’ajouter: «Tu sais pas patiner, tu veux faire du derby, viens!» Cette liberté d’être soi-même est symboliquement entérinée par les «derby names» via lesquels les joueuses créent leur alter ego. Dina Might, FraCass’y, Fannykertamère ou encore Poppins Spank 777, autant de références guerrières qui laissent présager que, sur la piste, les joueuses donnent tout.

«C’est comme sur un ring, pas de quartier lors des matchs, raconte la Neuchâteloise Bloody Josie, adepte de sports de combat. Mais après le dernier coup de sifflet, on partage une vraie solidarité. En quelques mois, tu peux te faire des dizaines de copines.» 

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«Projet Lac»: plus de perches, moins de féras

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Jeudi, 23 Juin, 2016 - 05:56

Laboratoire de recherche aquatique travaillant en collaboration avec les écoles polytechniques fédérales de Lausanne et de Zurich, l’Eawag vient de publier une partie des résultats de son Projet Lac, mené depuis 2010 dans le but de dresser un inventaire de la biodiversité dans les eaux suisses. Le bilan, on s’en doutait, est mitigé. Tandis que le lac de Morat a perdu 36% de ses poissons indigènes en cent septante ans, celui de Neuchâtel a vu disparaître dans le même temps huit espèces sur trente-deux. Et tant la carpe que la truite sont sur la sellette.

Même constat pour le Léman, avec quatre espèces indigènes de moins sur les dix-huit que comptait le plus grand lac d’Europe. Mais si les populations de féras, d’ombles et de truites ont fortement diminué, la perche se porte en revanche à merveille. Une bonne nouvelle pour les restaurateurs, mais qui ne cache pas une grave menace: la désoxygénation des eaux profondes. Car, bien que la qualité des eaux se soit améliorée, les effets de la pollution organique des années 70 se font encore sentir. La pêche a également des effets néfastes. Si trop de prédateurs comme les brochets et les sandres sont par exemple capturés, leur diminution peut aboutir à un déséquilibre au sein des autres espèces. 

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Point final: image de marque

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Jeudi, 23 Juin, 2016 - 05:56

Comme les hommes, les équipements se révèlent dans les conditions les plus extrêmes. Que serait la notoriété des trench-coats de Burberry, des Ray-Ban ou des Jeep sans les épreuves ultimes des deux guerres mondiales? L’appareil photo Hasselblad sans la conquête lunaire? La Rolex sans la traversée de la Manche à la nage, la première ascension de l’Everest, la plongée dans la fosse des Mariannes, les records de vitesse sur terre? Citroën sans la Croisière jaune, Bolex sans l’Amazonie, Wells Fargo sans le Far West (et Lucky Luke)?

Le sport de haut niveau, cette autre épreuve extrême, a donné ses lettres de noblesse à d’autres pièces d’horlogerie, des skis, des chaussures, des raquettes, des pneumatiques, des casques, sans compter Red Bull qui capitalise sur presque autant de disciplines extrêmes qu’il y a de petits poils sur des testicules de taureau (c’est une image). Le sport de compétition est le juge-arbitre de l’équipement, de l’outil ou de l’accessoire. Son épreuve du feu. Une réserve inépuisable, après coup, de renom et de marketing.

Alors, oui, quand l’examen se passe mal, que l’équipement flanche, que le défaut se montre à tous en direct et en haute définition, cette même réputation se déchire en lambeaux piteux.

Puma, déjà en pleine restructuration, aura du mal à se remettre de l’humiliation du match de football Suisse - France, où les pognes hexagonales ont réduit les maillots rouge et blanc à l’état de charpie. C’est ainsi: la marque de l’image est plus forte que l’image de marque. 

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Montreux Jazz: des portables enfin supportables

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Jeudi, 23 Juin, 2016 - 05:57

Faudrait-il confisquer leur smartphone aux spectateurs toujours prompts à filmer leurs idoles? C’est ce que souhaitent un nombre croissant d’artistes irrités de voir leurs fans balancer sur Facebook au lieu d’écouter leur concert. Le patron du Montreux Jazz Festival, Mathieu Jaton, ne croit pas au flicage. Voilà pourquoi la technologie développée par le groupe Kudelski l’enchante – une première mondiale.

Son nom: Cut’s. L’idée: permettre aux spectateurs d’envoyer à leurs contacts le solo ou le refrain de leur choix. Le principe: une fois l’application téléchargée, les spectateurs pourront partager gratuitement des séquences musicales de trente secondes captées, en l’occurrence, par les caméras de la RTS. A condition bien sûr d’être en possession d’un billet et de se trouver dans la salle. Les portables sont parfois insupportables. Avec Cut’s, ils offriront aux festivaliers une expérience inoubliable. Et en HD, s’il vous plaît!

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Meapasculpa: le café et la pipe de la discorde

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Jeudi, 23 Juin, 2016 - 05:57

Un café et une pipe. On ne m’a parlé que de ça, à Paris, où j’étais ces derniers jours, au lieu de saluer l’exploit incroyable des footballeurs suisses qui ont empêché les bleus de marquer le moindre but dimanche. Vraiment, je ne pensais pas en parler ici. Les salons de massage, les putes, les hommes et les femmes, je donne dans le genre généreusement.

Mais, à force que mon interlocuteur m’en parle dès qu’il apprenait que je venais de ce beau pays où un entrepreneur projetait d’ouvrir un café où, pour 60 francs, vous auriez droit à un cappuccino ou un expresso et une fellation avant d’aller bosser (parce que, oui, l’information a fait le tour du monde et poussé des sites aussi sérieux que celui de L’Express à vérifier l’info auprès du conseiller d’Etat Barthassat), à force qu’on s’ébaudisse, comme si Genève, avec ce futur lieu de turluttes hygiéniques et minutées, était au comble de l’audace novatrice et de la liberté chérie, je ne pouvais garder pour moi l’irrépressible énervement qui me gagnait.

Amis français, ne soyez pas jaloux. Ce projet n’est pas moderne ni même cool. Ce projet est le comble du ringard. Des pipes? Mais ça fait cinquante ans que les bourgeoises s’y sont mises et que les hommes n’ont plus besoin d’aller quémander ce service chez une professionnelle! Les gamines commencent par ça dans les toilettes de l’école et les «10 conseils pour réussir une fellation» sont un classique des magazines féminins, pour lesquels «avaler ou pas?» tient lieu d’«être ou ne pas être?» existentiel. De plus, depuis que Bill Clinton a érigé en dogme universel le fait que se faire sucer (par Monica sous le bureau), ce n’est pas tromper, la fellation ouvre ses bras à tous les hommes mariés de la planète que seule l’idée de fauter retenait d’aller chasser la pépette.

Amis français, la vraie question n’est pas de savoir pourquoi la chose est permise, mais pourquoi les hommes qui ont sous la main toutes les pipes gratuites du monde en voudraient à 60 francs.
C’est dans des circonstances comme celles-ci que l’existence d’un homme, un vrai comme Frédéric Beigbeder est importante. L’écrivain, patron du magazine de charme Lui, ex-pubeur, sort ces jours un film, L’idéal, qui dénonce l’hypocrisie des marques comme L’Oréal et part en croisade contre la transformation de l’être humain en objet par l’industrie de la mode, tout en montrant lui-même des filles sublimes à poil durant deux heures.

Pour se justifier, il invente un nouveau concept: le macho-féminisme. Faites comme je dis, pas comme je fais, ou l’inverse. C’est une nouvelle victoire du principe du bobo: vivre comme un bourgeois intello mais voter comme un pauvre ouvrier. Aux Antilles, il existe une expression très fleurie qui résume parfaitement la situation: «Parle à mon cul, ma tête est malade.»

isabelle.falconnier@hebdo.ch

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Au cœur de la transition énergétique

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Jeudi, 23 Juin, 2016 - 06:00

C’est le maillon faible et pourtant indispensable de la transition énergétique: sans batteries performantes, les ventes de voitures électriques ne décolleront jamais vraiment, la production d’énergie solaire ou éolienne sera difficile à stocker et nos espoirs d’un avenir plus vert repoussés à plus tard. Chères et pas toujours bien maîtrisées, les technologies actuelles restent de plus instables, voire risquées, comme l’a montré la mésaventure de Solar Impulse cloué au sol plusieurs mois en raison de piles défectueuses. L’enjeu n’en est pas moins important.

Comme Bertrand Piccard et son avion solaire, le charismatique Elon Musk, fondateur de Tesla, contribue à donner aux questions énergétiques l’attention qu’elles méritent. Avec ses bolides électriques, son spectaculaire 4x4 et bientôt son Model 3 à 30 000 francs, il a secoué les grands constructeurs, même s’il n’a commercialisé à ce jour que quelque 100 000 véhicules (lire l’article de Luc Debraine La bataille des batteries).

La semaine passée, le PDG du groupe Volks­wagen y allait lui aussi de son annonce solennelle: d’ici à 2025, un tiers des nouvelles voitures fabriquées par l’entreprise seront équipées de moteurs électriques. Swatch Group, qui produit déjà des centaines de milliers de piles boutons par jour, a développé une technologie nouvelle en collaboration avec l’EPFZ. Son patron, Nick Hayek, vient de rendre public un partenariat avec le groupe Geely, le constructeur automobile chinois également propriétaire de Volvo.

Ces affrontements entre marques recouvrent en réalité une bataille plus fondamentale: la maîtrise de la fabrication des batteries, clé de la mobilité du futur mais aussi de l’approvisionnement en électricité des maisons et des entreprises. Le même Elon Musk a ainsi entamé dans le désert du Nevada la construction de la plus grande usine du monde, après celle de Boeing à Seattle, dans laquelle il produira aussi des batteries dites stationnaires. Investissement annoncé: 5 milliards de dollars! Jusqu’ici, les Coréens et les Japonais ont dominé le domaine et si les Américains et les Européens ne veulent pas être largués, il faut qu’ils accélèrent méchamment.

Personne ne sait en réalité quelles seront au final les technologies gagnantes. LA découverte qui résoudra tout reste à faire. Au niveau de la recherche, la Suisse est bien placée. Y compris dans le domaine du stockage de l’électricité. En partenariat avec l’EPFL, l’entreprise yverdonnoise Leclanché a par exemple développé des procédés qui permettent une régulation optimale des réseaux de distribution électrique. Sans doute la production de masse des batteries sera-t-elle à l’avenir localisée dans les pays dits émergents. Mais dans le sur-mesure, l’industrie helvétique a de belles cartes à jouer.

Encore faut-il ne pas lever le pied ni couper dans les budgets de la recherche. Le smog et les ravages de la pollution ont sensibilisé les Chinois. Et il se vend actuellement plus de véhicules électriques à Pékin et à Shanghai qu’aux Etats-Unis. A bien des égards, l’empire du Milieu se profile comme le moteur de la transition énergétique. Attention, virage! 

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Tout le monde peut-il montrer ses jambes et s’exhiber en short?

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Jeudi, 30 Juin, 2016 - 05:47

Sylviane Roche

Non. La beauté nous charme, la laideur nous met mal à l’aise. Pour oser le short, il faut être jeune et belle.

J’ai reçu un tract appelant à une manif de «soutien aux femmes» pour le 1er juillet. Le mot d’ordre est «tous en short».

Cela m’a d’abord plongée dans la perplexité. Je ne voyais pas en quoi l’exhibition de gros mollets poilus (et blanchâtres, avec le printemps qu’on a eu) pouvait faire avancer la cause des femmes. Et puis je me suis souvenue qu’il y a quelques semaines, une jeune femme avait été agressée, avec insultes et voies de fait, par un groupe de filles (oui, des filles) qui lui reprochaient sa tenue impudique parce qu’elle était en short. Cet incident m’avait amenée à réfléchir une fois encore sur la façon dont certaines femmes intériorisent leur statut d’être inférieur et impur au point de s’en faire les avocates et même les farouches gardiennes. De l’excision pratiquée et défendue par les matrones aux brigades des «gardiennes de la pudeur» en Iran, les exemples ne manquent pas.

Donc, je suppose que la manif du 1er juillet est une réponse à cet incident déplorable. C’est une initiative pavée de bonnes intentions. Comme l’enfer…

Car il faut aller un peu plus loin et poser la question de cette fameuse «pudeur» qu’on nous balance de plus en plus et au nom de laquelle certains vont jusqu’au crime…

D’abord, la pudeur se comprend par rapport aux autres. On n’est pas pudique tout seul dans sa salle de bains. Donc elle consiste à cacher ce qui pourrait choquer ou déplaire aux autres, les mettre mal à l’aise.

Or la beauté ne met pas mal à l’aise. Elle ne choque pas, au contraire, elle réjouit les yeux. Si les puritains de tout bord veulent cacher la beauté des femmes alors qu’ils devraient célébrer en elle l’œuvre accomplie du Créateur, ce n’est pas cette beauté qui les gêne, mais les désirs qu’elle fait naître chez eux et qu’ils sont incapables de maîtriser…

Par contre la laideur dérange. Bien sûr ce n’est pas la faute des gens qui ont des varices, des jambons à la place des cuisses, des poteaux ou des allumettes à la place des jambes, trois pneus de tracteur autour du ventre, le cul qui traîne par terre ou dont l’âge a malheureusement avachi les contours… Par contre, personne ne les oblige à en infliger la vue aux autres.

Et c’est là, d’après moi, que réside la pudeur…

Montrer ce qui est beau, cacher ce qui est laid… Que ce gros type cache sa bedaine au lieu de l’exhiber sous un polo ajusté et laisse sa jeune femme réjouir les yeux de tous par sa magnifique chevelure…

Alors, le short? Eh bien oui, le short… C’est le vêtement piège par excellence. L’été, il ne fait grâce d’aucun défaut. Il moule les gros derrières ou les fesses trop plates, il souligne les jambes trop courtes, trop blanches, trop poilues… Chez les hommes, qui ont rarement de belles jambes, quand en plus ils l’agrémentent par des chaussettes blanches, c’est juste catastrophique. L’hiver, avec un collant noir de préférence filé ou déchiré, il est simplement ridicule.

Le short ne supporte que les jambes nues, longues, galbées, bronzées… et jeunes! J’entends déjà les cris: c’est de la discrimination par l’esthétique, les gens «ont bien le droit» de s’habiller comme ils veulent, etc.

C’est vrai. Et oui, c’est injuste. Injuste comme la beauté, injuste comme la jeunesse…

Allez, consolons-nous. Une jupe large et ondoyante est aussi fraîche et bien plus seyante qu’un short.

Aidons vraiment celles qui sont victimes de la discrimination par le sexe. Expliquons sans relâche que personne ne choisit «librement» de s’empaqueter de la tête aux pieds dans trois couches de jersey, d’entraver ses mouvements, de s’interdire de courir, de faire du sport et même d’être belle, comme certaines «féministes» dévoyées veulent le faire croire.

Mais s’exhiber pour ça dans un short catastrophique risque d’aller en sens inverse et de faire désirer une épidémie de burqas…


Patrick Morier-Genoud

Oui. Le bon goût est une notion subjective. Que chacun s’habille comme il veut, indépendamment des diktats.

Oui, en vieillissant, le corps s’affaisse, se fripe, se relâche. Mais aussi, en vieillissant, l’occupant de ce corps gagne en expérience, parfois en sagesse, en connaissances. Il sait, par exemple, que ce qui est à la mode aujourd’hui ne le sera plus demain. Que les mœurs changent. Que la définition de la pudeur varie en fonction des époques, des cultures, des doxas.

Né dans les années cinquante, j’ai par exemple déjà vécu plusieurs «époques» en matière de code vestimentaire féminin. Aucune de mes deux grands-mères n’aurait exhibé en public plus de surface de peau que celle recouvrant leurs jambes – jusqu’aux genoux –, leurs bras et leur visage. Avec juste une exception l’été, quand leur corsage prenait quelques libertés. Ma mère, en revanche, bronzait en bikini, avec des airs d’actrice italienne, pour le plus grand plaisir de mon père.

Ensuite, mes copines n’eurent aucune gêne à montrer leurs seins à la plage, puis leurs fesses, puis leurs toisons pubiennes – à l’époque, les femmes étaient ainsi à poils au propre comme au figuré. Et puis, au changement de siècle, le corps féminin a été prié de se rhabiller. Aujourd’hui, à la piscine, ma fille est plus pudique que ne l’était sa mère. Et peut-être que mes petits-enfants devront adopter les mêmes règles de pudeur que mes grands-parents.

Alors, qui peut décider à qui le short est adapté? Pas la pudeur, on l’a vu, qui trop souvent fluctue. La beauté? Il faut se méfier de ses canons. Les voyages et l’étude des civilisations m’ont montré qu’eux aussi varient en fonction des époques, des cultures et des doxas.

Surtout, c’est un terrible instrument de pouvoir, un embrigadement. «Voilà à quoi il faut ressembler pour être beau», clament les sociétés pour être certaines que les personnes qui les composent ne s’individualisent pas, ne sortent pas du rang. Aujourd’hui, en Occident, c’est une affaire de commerce. D’injonctions consuméristes: «Habille-toi comme ça! Coiffe-toi comme ci! Perds du poids! Rase tes poils! Comble tes rides! Maquille ton visage! Transforme ton corps! Sinon tu seras puni, tu seras laid et personne ne t’aimera, on finira par te jeter des cailloux…»

Les corps sont fascinants, la norme les avilit, comme elle avilit les esprits. Mâle occidental, je suis sommé d’aimer les épidermes doux et tendus, les muscles déliés, les fesses rondes et haut perchées, les seins siliconés, les lèvres gonflées, les vulves nymphoplastées et épilées, les jambes interminables des portemanteaux de la mode, les femmes retouchées avec Photoshop. Et puis quoi? Qu’est-ce que je fais de celle qui partage ma vie, ma complice que j’aime? Je suis censé ne plus la désirer, la mettre au rebut, la cacher honteusement, chercher une jeune maîtresse à la plastique correspondant aux critères du point de vue dominant? Je suis censé choisir mes amies en fonction de leur carrosserie?

La liberté de pensée est une des quêtes parmi les plus palpitantes de la vie. Elle permet de résister aux ça va de soi, aux dogmes de droite comme de gauche, aux diktats de toutes les religions, à la guerre sainte et aux slogans publicitaires.

Que chacun s’habille donc comme il veut. Il y a de la grâce chez les gros, la maigreur peut être émouvante, les poils me plaire, les replis de peau m’enchanter. Comme les habits, les corps ne sont que des enveloppes. Sans importance, avec si peu d’existence. Ce n’est que de l’apparence. Une illusion. Tout le reste n’est qu’idéologie.

Rien ne me choque ni ne me déplaît dans la façon qu’ont les gens de se vêtir. Le bon goût opposé au mauvais goût est une pose, un truc pour lutter contre la névrose, contre la honte de ne pas être soi-même. De ne pas oser.

Etre raisonnable, c’est laisser la morne norme «des autres» résonner en nous. Alors, déraisonnons. En short si ça nous plaît.

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Toot Sweet, le Tinder des soirées

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Jeudi, 30 Juin, 2016 - 05:48

Julien Calligaro

Zoom. L’application permet de sélectionner d’un glissement de doigt les activités culturelles organisées autour de soi. Une idée qui séduit les Romands autant que les acteurs du secteur.

Rien de prévu ce soir? Pourquoi pas, alors, une dégustation de vin? Ou la projection du dernier blockbuster, un concert de rock? Ce sont autant de sorties proposées par Toot Sweet. Cette application pour smartphone rassemble toutes les activités culturelles se déroulant autour de soi, des plus proches au plus éloignées, et en fonction de catégories choisies comme «cinéma» ou «expos».

La particularité de cette application: elle ne propose que des événements qui ont lieu dans les minutes ou les heures qui suivent. «Nous souhaitons promouvoir un style de vie spontané, explique Elyes Gherib, cofondateur de la start-up. La routine quotidienne «métro, boulot, dodo» nous fait oublier que les villes regorgent d’offres culturelles.» Dans la pratique, Toot Sweet fonctionne selon le modèle de l’application de rencontres Tinder: l’utilisateur a le choix entre faire glisser l’événement à gauche s’il ne l’intéresse pas, ou à droite s’il lui plaît. A la fin de la sélection, ses choix finaux sont sauvegardés dans une rubrique «favoris».

C’est pour l’instant à Paris, où l’application est née en début d’année 2015, qu’elle rencontre le plus grand succès. Elle comptabilise au total plus de 20 000 téléchargements et 10 000 utilisateurs mensuels. Et l’outil commence également à plaire aux Romands: environ 1000 d’entre eux l’ont déjà téléchargé. La grande majorité des activités proposées par le «Tinder des soirées» en Suisse se concentre sur la région genevoise. La start-up souhaite à terme étendre sa zone d’influence à l’ensemble de l’arc lémanique.

Les théâtres, cinémas et autres lieux culturels peuvent s’inscrire gratuitement sur l’application et mettre en ligne leurs événements. Ils ont aussi la possibilité de vendre leurs billets directement par l’intermédiaire de l’application et d’offrir des promotions dans les heures qui précèdent une activité. Toot Sweet retient une commission de 10 à 20% sur ces transactions.

Plus de 20 institutions genevoises approvisionnent déjà l’outil pour smartphone. «Nous avons pourtant encore beaucoup de contenu gratuit, déniché sur Facebook par exemple», avoue Elyes Gherib. L’objectif de la jeune start-up est de créer un véritable réseau de professionnels qui alimentent l’application pour que les utilisateurs aient plus d’activités au choix.

Remplir les salles

Pour ce faire, elle compte sur le magazine culturel genevois Go Out. Ce dernier promeut Toot Sweet en Suisse romande auprès des lieux de sortie en les encourageant à utiliser l’application. Mais également auprès des utilisateurs, en y insérant directement les événements futurs. «Nous souhaitons faciliter l’accès à la diversité de l’offre culturelle en tout temps et par tous les moyens, précise Mabrouk Neffati de Go Out. L’app est donc un excellent complément au magazine, dans la mesure où elle vise à valoriser la culture au jour le jour, tandis que Go Out le fait pour le mois.» Selon lui, le support mobile est aussi l’occasion de susciter la curiosité des personnes qui s’intéressent peu a priori à tel ou tel type de manifestation.

Optimiser la capacité des salles est un autre but de l’application. «La plupart des pièces de théâtre ou des séances de cinéma commencent avec un taux de remplissage de 70% seulement», constate Elyes Gherib. Un manque à gagner considérable pour les professionnels. Le Théâtre Forum Meyrin, qui alimente Toot Sweet depuis sa création, l’a bien compris. Pour Chloé Briquet, assistante de communication du centre culturel, «l’application est une aubaine et pourrait nous permettre de remplir les dernières places restantes juste avant le début des représentations».

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Les Suisses abuseraient-ils de la morphine?

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Jeudi, 30 Juin, 2016 - 05:49

Marie Maurisse

Enquête. Les prescriptions de médicaments opiacés comme la morphine ou l’oxycodone sont en forte augmentation. Problème: ces substances sont fortement addictives...

En quatre ans, la consommation d’oxycodone, un antidouleur dérivé de l’opium, a augmenté de 68% en Suisse. Selon les données de Swissmedic, l’institut suisse des produits thérapeutiques, 280 kilos de cette substance ont été mis sur le marché national en 2014, contre 167 kilos en 2011. En ce qui concerne un autre antalgique opiacé, la morphine, la hausse est également notable: 30% entre 2011 et 2014.

Les chiffres d’Interpharma, l’association des entreprises pharmaceutiques suisses pratiquant la recherche, confirment cette tendance: les ventes d’opiacés ont crû de plus de 20% entre 2011 et 2015. Ces médicaments sont considérés par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) comme les antidouleurs les plus puissants, mais aussi les plus dangereux dans la mesure où ils créent une addiction.

«On estime à 15 millions le nombre de personnes dépendantes aux opioïdes, affirme l’OMS. La majorité d’entre elles utilise de l’héroïne cultivée et fabriquée de manière illicite, mais une proportion croissante consomme des opioïdes délivrés sur ordonnance.» En Suisse, il existe une quarantaine de médicaments de ce type – morphine, oxycodone (souvent vendu sous le nom d’OxyContin)…

Très efficaces contre la douleur, ces médicaments peuvent devenir très vite indispensables à l’organisme. Avec l’accoutumance, les effets se font moins sentir, et le patient peut avoir tendance à augmenter les doses. «A l’échelle mondiale, 69 000 personnes meurent chaque année d’une overdose d’opioïdes», relève l’OMS. C’est le cas du chanteur Prince, décédé le 21 avril à la suite d’une prise de Fentanyl, un opiacé. Les Américains consomment 80% du marché mondial des opiacés, à tel point que les experts parlent d’une véritable «épidémie». En 2014, aux Etats-Unis, 40 personnes par jour mouraient d’une overdose d’opiacés.

Effet de rattrapage

En Suisse, les chiffres sont loin d’être aussi alarmants. Mais l’augmentation de la consommation de morphine et d’oxycodone inquiète tout de même Corine Kibora, porte-parole de la fondation Addiction Suisse. «Nous allons suivre la situation de près, dit-elle. Ce qui est clair, c’est que les patients doivent être informés du risque de dépendance.» Contrairement aux règles qui prévalent outre-Atlantique, la prescription de stupéfiants opiacés est très encadrée en Suisse: des ordonnances à souche assurent la traçabilité des produits et les autorités de contrôle veillent à la gestion des stocks chez les pharmaciens.

Mais une fois les boîtes en sa possession, le patient peut se laisser dériver. Christine Rauber-Lüthy, directrice de Tox Info Suisse, remarque que les appels reçus concernent de plus en plus les opiacés. «L’année dernière, 291 questions concernaient ce type de médicaments, explique-t-elle. C’est trois fois plus qu’en 2000. Dans beaucoup de cas, il s’agit de personnes qui ont pris de grandes quantités de comprimés et qui risquent l’overdose.» Sur les forums de discussion, l’oxycodone est surnommée «l’héroïne du pauvre».

Cependant, les spécialistes se veulent rassurants. Pour eux, la croissance de la consommation d’opiacés est en partie due à un effet de rattrapage: pendant des années, la médecine suisse a moins prescrit de morphine que dans d’autres pays d’Europe. D’autre part, le vieillissement de la population et la hausse des cancers font naturellement croître la consommation de ces stupéfiants légaux.

Pour Johnny Beney, vice-président de l’Association suisse des pharmaciens de l’administration et des hôpitaux, «l’augmentation de l’utilisation des opiacés est quelque chose de positif, car cela signifie une meilleure prise en charge de la douleur en Suisse». Daniele Fabio Zullino, chef du Service d’addictologie des Hôpitaux universitaires de Genève, l’assure: «Ce n’est pas parce que l’on prend des opiacés que l’on devient addict.» 


Quelques chiffres

68%
La hausse de la consommation d’oxycodone en Suisse en quatre ans

69 000
Le nombre de personnes qui meurent chaque année d’une overdose d’opioïdes dans le monde

280
Le nombre de kilos d’oxycodone qui ont été mis sur le marché en Suisse en 2014, contre 167 en 2011

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Point final: le miroir du sport

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Jeudi, 30 Juin, 2016 - 05:55

Je n’aurais jamais pensé citer un jour Juan Antonio Samaranch, l’ancien secrétaire aux sports du régime franquiste. Mais il faut reconnaître qu’il voyait juste lorsqu’il a noté en 1975, à Neuchâtel, devant une assemblée du CIO: «Les compétitions sportives reflètent la réalité du monde et constituent un microcosme des relations internationales.»

Les exemples historiques du sport comme métaphore de la politique internationale abondent, à l’exemple des courses victorieuses du sprinteur noir Jesse Owens aux JO de Berlin en 1936. Le stade amplifie le conflit, l’exalte souvent, le pacifie parfois. Même si la clameur des foules ne sera jamais aussi forte que le son des canons. Ou que le vacarme fait par un pays qui ne veut plus d’une organisation supranationale – l’Union européenne – justement née de la guerre, pour que celle-ci ne se reproduise plus.

Le sport comme partie intégrante du grand tout politique. Je n’ai pas arrêté d’y penser pendant le match Angleterre - Islande, sur le mode jubilatoire. En temps normal, j’aurais été pour Albion. Là, pas du tout. L’impréparation de l’équipe anglaise n’avait d’égale que celle des responsables politiques du Brexit. Ces derniers reviennent aujourd’hui sur leurs promesses foireuses à la vitesse d’un Wayne Rooney en déroute sur le terrain. Ou à la vitesse de la démission de l’entraîneur Roy Hodgson, encore plus véloce que celle de David Cameron après le référendum. Miroir du sport, pourquoi reflètes-tu si bien ce qui ne va pas dans le monde? 

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Meapasculpa: pasteur Fatzer, protestantissime

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Jeudi, 30 Juin, 2016 - 05:56

Je ne crois pas en Dieu et ne fréquente aucune église, mais lorsqu’on me demande de mettre une croix indiquant une éventuelle religion sur un formulaire, je n’hésite jamais: je coche «protestante».

J’ai fait ma confirmation, à 16 ans, en développant sur 3 pages l’idée que l’important n’est pas de croire ou pas mais de se poser philosophiquement la question de l’existence de Dieu – pour une entrée dans la communauté des croyants, on peut rêver plus engagé. «Protester», «réformer»: ces deux mots ont constitué la colonne vertébrale de mon éducation personnelle. Ils sont la promesse d’une sorte de Mai 68 intellectuel permanent: remettre en question, pratiquer le «oui, mais» à outrance, refuser les évidences, le politiquement correct, débattre, encore et toujours.

C’est grâce à ces deux mots que je coche encore la case «protestante» sur les formulaires. Ils sont un argument de vente incomparable et unique sur le marché de la pensée et des religions aujourd’hui. Si le protestantisme n’a pas encore été rayé de la carte, c’est grâce à ces deux mots.

Dans quelle Eglise un de ses pasteurs peut-il publier un livre intitulé Croire en un Dieu qui n’existe pas. Manifeste d’un pasteur athée, comme l’a fait le Néerlandais Klaas Hendrikse, livre devenu véritable best-seller en Europe, et continuer à faire le culte dans son église comme si de rien n’était?

Cher Conseil synodal de l’Eglise évangélique réformée vaudoise, si vous voulez que je continue à verser ma modeste obole annuelle, il va falloir laisser Fatzer la jouer à sa manière. Le protestant qui proteste, folklore ou pas, on le veut, il nous plaît, c’est pour lui qu’on se dit protestant. Si c’est pour ressembler à ces moutons de catholiques qui obéissent tous au même chef dorloté dans son palais romain, ce n’était pas la peine de faire la révolution. Si c’est pour exiger le respect de la hiérarchie, des règlements, des conventions, des protocoles, de la politesse et de la bienséance, ce n’était pas la peine de se faire égorger à la Saint-Barthélemy.

Contrairement à ce que vous pensez, tout ce ramdam est bon pour votre image et ne nuit pas à votre institution – pour autant que, à la fin, vous vous montriez plus protestant qu’un protestant. C’est-à-dire que, à la fin, il faudra laisser le trublion trublionner. Je dirais même que c’est la seule chance de survie de l’Eglise protestante. Daniel Fatzer a enfreint des règles? Il est narcissique, doté d’un ego surdimensionné? Il joue les martyrs avec sa grève de la faim, les justiciers, les redresseurs de torts? C’est un provocateur récidiviste?

Et alors? Cher Conseil synodal, c’est ce qu’on attend d’un protestant. C’est ennuyeux lorsqu’on est son employeur. Mais à force de vouloir asseoir sa crédibilité, on en perd son attractivité. Ce serait dommage.

isabelle.falconnier@hebdo.ch

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Staccato: démocratie

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Jeudi, 30 Juin, 2016 - 05:57

Mettons que vous soyez le Bon Dieu. Vous voyez une voiture foncer sur dix piétons qui traversent la chaussée. Vous avez le choix entre admirer la partie de quilles et compter les morts, ou alors donner au véhicule le brusque coup de volant qui le fracassera contre un mur. En d’autres termes: sauver la vie du chauffeur ou la sacrifier pour en préserver dix autres. Que faites-vous?

Le bon Dieu lui-même, à vrai dire, refuse de répondre aux questions de circulation. Ses créatures, en revanche, mises depuis quarante ans face à ce type de dilemme par les psychologues sociaux, cochent la case qui convient avec un zèle admirable. Car le choix qui leur est soumis les remue au plus profond de leur condition d’animal social: c’est celui du bien commun opposé à l’intérêt égoïste.

Jusqu’ici, au jeu du Bon Dieu, ses créatures ont massivement (75%) répondu en faveur du bien commun. Il faut, c’est limpide, sacrifier la vie du chauffeur pour sauver les dix piétons. Même si le chauffeur, c’est moi. A question fascinante, réponse admirable. Elle le fut tant que le jeu restait abstrait.

Sauf qu’il se concrétise. Les voitures autonomes de demain seront équipées chacune de leur petit bon Dieu individuel, c’est-à-dire d’un algorithme programmé soit pour protéger les occupants de la voiture en priorité, soit pour les sacrifier au profit d’un plus grand nombre de vies. Les fabricants sont au travail, il va falloir prendre des décisions. Des chercheurs* se sont donc attelés à actualiser le jeu du bon Dieu en y ajoutant la question qui tue: le jour où vous achetez un de ces véhicules, choisissez-vous l’algorithme altruiste ou égoïste?

Devinez le résultat. Oui, devenus des acheteurs potentiels, les admirables citoyens d’hier ne sont plus que 40% à privilégier la survie du plus grand nombre. L’intérêt de la collectivité l’emporte sur celui de l’individu, sauf quand cet individu, c’est moi.

La question suivante nous pend au nez: faut-il laisser libre cours à la loi du marché et à la prolifération des voitures égoïstes? Ou imposer une réglementation – genre, affreuse directive européenne – qui rende obligatoire l’algorithme altruiste? Qui décide? Quand est-ce qu’on vote? Ou mieux pas?

J’ai beau chercher. Cette histoire de voitures autonomes, je ne trouve pas de plus saignante métaphore des limites de la démocratie.

anna.lietti@hebdo.ch /  @AnnaLietti

* «Science» du 24 juin. L’enquête continue avec un questionnaire public sur le site moralmachine.mit.edu

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Escalade: le guide de l’amateur éclairé

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Jeudi, 7 Juillet, 2016 - 05:50

William Türler

Zoom. Où trouver les meilleurs sites de grimpe en Suisse romande et comment s’y prendre pour limiter les risques? Deux guides de montagne livrent leurs conseils.

Certains amateurs de randonnées auraient plaisir à pimenter leurs sorties en plein air en s’essayant à la grimpe. Mais où trouver les lieux les plus appropriés et comment limiter les risques? Quel matériel doit-on prendre avec soi? Pour répondre à ces questions, François Roduit, guide de montagne basé à Martigny, a lancé une application gratuite très pratique et facile d’usage, Les carnets d’escalade, qui recense une quarantaine de sites dans les cantons de Vaud et du Valais. Et qui permet d’obtenir une multitude d’informations concernant l’emplacement, l’accès, la fréquentation, le niveau de difficulté, la durée de marche, le type de roche ou l’équipement nécessaire.

«On ne trouve pas vraiment de sites pour débutants, raison pour laquelle les murs d’escalade ne désemplissent pas», note François Roduit. Néanmoins, parmi les sites de grimpe d’un niveau abordable, il mentionne la Pierre du Moëllé, à Leysin (VD), Chemin-Dessus, près de Martigny (VS), Château Roc, à Champex (VS) ou Fully-Mazembroz (VS).

Savoir s’entourer

Afin d’éviter tout accident grave, le guide valaisan recommande de s’adresser au préalable à Plan Vertical. Active dans le canton de Vaud et en Valais, cette association participe à la remise à neuf des anciennes voies d’escalade, défend cette activité auprès des autorités et fournit des données concernant l’équipement ou le rééquipement des voies. En matière de formation, François Roduit propose ses propres cours (www.grimperdemain.ch) de même que d’autres guides et moniteurs tels que Jean-Pierre Rieben (www.montagneguidance.ch), en Valais, ou Vincent Hentsch (www.mouskif.ch), dans le canton de Vaud.

De son côté, le président de l’Association suisse des guides de montagne, Pierre Mathey, recommande en priorité un «grand classique chablaisien»: le site de Dorénaz. Situé en plaine et disposant d’un parking au pied des voies, il est très bien équipé, y compris dans les alentours pour faire une pause ou un pique-nique. «Ce site est très fréquenté, ce qui offre l’avantage de ne pas se retrouver seul, voire de se faire conseiller ou aider», révèle le guide.

Un peu plus aventureuse et alpine, la Pierre, située à 2400 mètres, est accessible à pied depuis la Croix-de-Cœur (Savoleyres-Verbier, VS). «Equipé comme un jardin d’escalade, ce site offre un cadre montagneux avec la combinaison de la marche et de la grimpe, ainsi qu’une vue imprenable sur la plaine du Rhône», ajoute-t-il.

S’entraîner en salle

A l’attention des débutants, Pierre Mathey préconise la halle d’escalade Vertic-Halle, à Saxon, «idéale pour apprendre, se faire conseiller et s’entraîner par tous les temps». Selon le guide, même si le charme et les sensations de l’escalade font défaut à la grimpe indoor, celle-ci est aujourd’hui devenue incontournable, ces salles permettant par ailleurs de pratiquer non seulement l’escalade classique mais aussi le bloc (grimpe sans matériel technique mais avec chaussons d’escalade).

Pour une initiation à la via ferrata et une demi-journée d’activité, Pierre Mathey conseille le parcours de Champéry (VS). Très bien marqué, ce dernier s’adresse à toutes les personnes équipées de chaussures de marche, d’un casque et d’un baudrier avec deux longes en corde dynamiques spécifiques pour via ferrata. L’expert recommande de ne pas sous-estimer l’engagement physique et technique en lien avec ce type de parcours. «Comme pour l’escalade, une information, voire une formation préalable pour l’utilisation du matériel, se révèle indispensable», prévient-il. Avant de se lancer non accompagnés par un professionnel dans une via ferrata, les novices devraient, selon lui, débuter par un parcours accrobranche ou un parc aventure.

En résumé, pour ce spécialiste, les personnes souhaitant pratiquer l’escalade doivent impérativement être équipées (baudriers, casque, mousquetons, cordes, chaussons d’escalade), connaître leur matériel et, surtout, savoir l’utiliser ou, si tel n’est pas le cas, se faire accompagner par un professionnel (guide de montagne ou professeur d’escalade). «Bien que ludique et facile d’accès, l’escalade est une activité sportive et technique, souligne Pierre Mathey. La plupart des accidents sont dus à une mauvaise utilisation de l’équipement ou à des manipulations erronées des cordes et des assurages.» 

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Manuel Lopez / Keystone
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Miracle en Arménie

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Jeudi, 7 Juillet, 2016 - 05:51

Zoom. Metin Arditi a remis à Erevan les prix du concours d’écriture lancé par la Fondation Arditi pour le dialogue interculturel entre universités turques et arméniennes. Après son initiative similaire en Israël entre étudiants juifs et arabes, il poursuit ainsi sa mission de réconciliation par la littérature.

Miracle à Erevan: jeudi dernier, dans le grand auditorium de l’Université américaine d’Arménie, c’est devant une quinzaine de représentants de quatre des plus importantes universités de Turquie (les universités stambouliotes du Bosphore, Sabanci, Bilgi et Sehir), mêlés aux responsables et étudiants des deux universités arméniennes, avec qui ces mêmes universitaires turcs avaient passé la journée à visiter le mémorial du génocide arménien, que Metin Arditi a dévoilé et salué les deux lauréats du concours d’écriture lancé un an auparavant par la Fondation Arditi pour le dialogue interculturel.

Intitulé A Difficult Dialogue, il invitait les étudiants des universités participantes à se projeter en 2025 en imaginant un dialogue entre deux étudiants, l’un Turc, l’autre Arménien, se rencontrant à Genève. Cent cinquante textes ont été reçus et lus par des jurys issus de chaque université. Deux colauréats, qui reçoivent chacun 2500 dollars, ont été choisis: Baki Karakaya, né en 1993 au bord de la mer Noire, étudiant en philosophie et en sociologie de l’Université Bilgi, et Ani Baghumyan, née à Etchmiadzin, étudiante en anglais et en communication de l’Université américaine d’Arménie.

C’est en mai 2015 que, fort de son expérience en Israël où il a lancé l’an dernier un projet similaire entre étudiants juifs et arabes qui vient de boucler sa deuxième édition, il décide de tenter la même démarche entre l’Arménie et la Turquie. Les Arméniens, avec en sus le soutien «important» de Lukas Gasser, ambassadeur de Suisse en Arménie, acceptent.

Las, l’Université d’Ankara, proche du gouvernement, lui retire son soutien après la publication dans L’Hebdo d’une lettre ouverte au président Erdogan, l’encourageant notamment à reconnaître le génocide arménien, annulant par ailleurs un colloque littéraire auquel il devait participer. Mais les universités Sehir et Sabanci d’Istanbul restent dans l’aventure, recrutant même leurs collègues de deux autres universités.

Metin Arditi n’y croyait plus

Durant plusieurs mois, Metin Arditi fait la navette entre la Turquie et l’Arménie, organisant son projet culturel dans un climat politique tendu, expliquant le concours aux diverses assemblées d’étudiants. Sur les 150 textes, écrits dans la langue maternelle des auteurs, la moitié vient de Turquie, l’autre moitié d’Arménie.

«Ce qui émerge par rapport au contenu, c’est que, à l’évidence, les Arméniens sont plus au fait du problème, présent au quotidien dans leur vie et leur mémoire familiale, que les jeunes Turcs, à qui personne n’en parle jamais. Du coup, les Turcs donnent à leur histoire une composante romanesque plus importante. Leur mérite est d’autant plus grand. Le sujet des rapports entre Turcs et Arméniens est cent fois plus tabou encore qu’entre juifs et Arabes en Israël. La percée obtenue grâce au concours d’écriture est d’autant plus forte. Les juifs et les Arabes s’engueulent, se déchirent, mais il y a une forme de communication. Ils vivent côte à côte, se voient. En Arménie, il y a un siècle qu’ils ne se parlent pas, ne se voient pas, que la frontière est fermée. Parler même de réconciliation est dangereux en Arménie, parce que les gens souhaitent qu’il y ait reconnaissance avant tout. Les représentants des universités turques venus à Erevan sont doublement courageux.»

Metin Arditi espère relancer une deuxième édition du concours à l’automne, petit caillou de l’espoir sur le chemin encore long et incertain de la réconciliation entre les deux pays. «Je suis né en Turquie, dans une minorité. A Ankara comme à Istanbul, les communautés juives et arméniennes étaient proches. En tant que juif, j’ai souhaité favoriser un dialogue judéo-arabe. En tant que Turc de naissance proche de la communauté arménienne (ici comme là-bas), j’ai le même sentiment d’urgence d’un vrai dialogue. Et il n’y a rien de plus fort pour cela que la littérature.» 

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Alisa Tovmasyan
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Sri Lanka: les plaies ouvertes

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Jeudi, 7 Juillet, 2016 - 05:54

Vanessa Dougnac

Reportage. L’absence de reconnaissance des crimes de guerre hante le processus de réconciliation nationale.

Elle porte un chemisier bien repassé et le sac à main des grands jours. Balendra Jeyakumari a rendez-vous avec les démons du passé. Pour la première fois en sept ans, elle revient sur la plage de Mullivaikal, dans le nord-est du Sri Lanka. Elle n’habite pourtant qu’à une quarantaine de kilomètres. Mais dans cette région tamoule, personne n’a le courage de revoir la plage maudite et son village.

Le 18 mai 2009, la guerre s’est achevée ici, avec la victoire des troupes cinghalaises de Colombo qui anéantissaient la rébellion des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE), classée «organisation terroriste» par la communauté internationale.

Sous des cocotiers noircis et décapités, les maisons aux murs perforés par les balles s’étirent sur des terrains aux courbes façonnées par les bombes. Çà et là apparaissent d’anciens bunkers, fortifiés par des bouts de tôle et du sable emmaillotés dans des saris. Dans ces abris qui ressemblent à des tombes, la population tentait, en avril et mai 2009, de se protéger des bombardements quotidiens de l’armée. Ils étaient 350 000 civils pris au piège sur ce dernier territoire des rebelles en déroute. Avant l’entrée dans le village, l’ultime ligne de défense des Tigres est encore visible, longeant la jungle, le lagon et les marécages.

Alors qu’une pluie dense se met à tomber, les lieux évoquent le naufrage d’un pays entier, une île somptueuse au potentiel prometteur, qui a sombré, en 2009, dans l’horreur.

Balendra Jeyakumari se souvient. Elle désigne le bord d’un chemin, à 200 mètres de la plage. «C’était le 5 mai 2009, raconte-t-elle. Kajivan, mon fils de 19 ans, marchait devant moi. Nous étions sortis des bunkers pour tenter de trouver à manger. Soudain, il y a eu des bombardements et beaucoup de fumée. Mon fils s’est retourné et a crié: «Amma [Maman]!» Quand je l’ai rejoint, il était mort. Une partie de son visage avait été emportée par un éclat. Il y avait cinq ou six autres cadavres. Je hurlais. Tout autour, les gens couraient. Ils m’ont dit de laisser le corps de mon fils. Je l’ai enterré là, en le recouvrant de sable.»

Comme Kajivan, entre 40 000 et 70 000 personnes ont été tuées durant les cinq derniers mois de la guerre, en grande majorité sous les feux de l’armée. Les soldats resserraient alors leur étau sur les rebelles Tigres qui reculaient de village en village avec la population civile, jusqu’à la bande côtière de Mullivaikal. Des élus locaux assurent que le nombre des victimes serait bien plus élevé. «D’après nos registres d’état civil, 142 000 personnes manquent à l’appel dans la région», affirme, à Jaffna, un député parlementaire.

Pour Balendra Jeyakumari, le deuil n’a pas été possible. «Mon vœu est de pouvoir accomplir une pooja (cérémonie hindoue) à l’endroit où mon fils est mort et poser une plaque en sa mémoire.» Nul ne sait, aujourd’hui, où est le corps. Les villageois soupçonnent l’armée d’avoir «nettoyé» le champ de bataille après la guerre, pendant que la population survivante était enfermée durant plusieurs mois dans le camp de Menik Farm, plus au sud.

Mais près d’une autre plage, à Putumattalan, une femme nous guide vers des tombes anonymes, cachées sous des arbres. «Des corps ont été enterrés à la va-vite en avril 2009, raconte-t-elle en s’approchant d’une tombe. Là, c’est mon fils. Il avait 5 ans.» La femme est nerveuse. «Je ne peux pas vous parler», souffle-t-elle. Un camp militaire est à proximité et les soldats surveillent le village. Nous-mêmes serons suivis et interrogés par des membres du renseignement militaire. Au Sri Lanka, le sujet de la guerre est toujours tabou.

Présomption de crimes de guerre

Car les autorités issues de la puissante majorité cinghalaise n’admettent pas les massacres. Les exactions sont mises sur le dos des rebelles, accusés quant à eux d’avoir utilisé leur peuple en bouclier humain. «Mes instructions étaient qu’il ne devait y avoir aucune victime civile», réitère l’ancien président Mahinda Rajapaksa, alors qu’il achève ses prières du dimanche dans un temple bouddhiste de Colombo. Lui se voit en libérateur du pays. Il a gagné sa war against terror, la guerre contre le terrorisme, et ajoute: «Mais je savais que ce serait difficile et qu’il y aurait un ou deux incidents…»

Aux yeux des Nations Unies, si les rebelles sont accusés d’exactions, il existe une forte présomption de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité perpétrés par les militaires sous le régime de Mahinda Rajapaksa. Fin 2015, le Haut-Commissariat aux droits de l’homme a réitéré au Sri Lanka l’exigence d’ouvrir une enquête crédible sur ces atrocités en associant des observateurs internationaux. «Laissez-les faire», rétorque Mahinda Rajapaksa en montant dans sa limousine.

Les promesses du nouveau président, Maithripala Sirisena, permettent à la communauté internationale de croire en un changement positif. Son gouvernement est en train de mettre en place les commissions exigées pour appuyer le processus de réconciliation autour de quatre axes: la «vérité», la «justice», les «personnes disparues» et les «réparations». Il promet une nouvelle Constitution et des droits égaux pour l’ethnie minoritaire dont les discriminations l’avaient portée, à l’origine, à prendre les armes. Si ces bonnes résolutions ne sont encore que sur le papier, il y a cependant quelques gestes.

Réécriture de l’histoire

Sur la péninsule de Jaffna, certaines terres réquisitionnées par l’armée ont été rétrocédées aux villageois tamouls, dans un contexte où 200 000 soldats non démobilisés sont accusés par les Tamouls de «coloniser» la région et d’empiéter sur la vie civile. Le mois dernier, le gouvernement a admis que «65 000 personnes» avaient disparu: la période porte sur 27 années de guerre civile, mais c’est un pas indéniable.

Le Sri Lanka est-il sincère? «Les efforts actuels ne sont pas suffisants, mais une réelle volonté est exprimée», estime, dans son bureau du Parlement, le député R. Sampanthan, leader de l’opposition avec sa coalition de la Tamil National Alliance (TNA). «Ce gouvernement ne peut plus faire marche arrière», renchérit, dans une lointaine banlieue, Mano Ganesan, le nouveau ministre du Dialogue national. Défenseur des droits de l’homme menacé de mort durant la guerre, Mano Ganesan jure qu’il y croit. «Nous, les Tamouls, devons être traités comme des citoyens égaux dans ce pays. Et il faut donner une chance au dialogue.»

En attendant, la paix au Sri Lanka se construit sur une réécriture tronquée de l’histoire: la version officielle, dans la tradition d’une propagande nationaliste qui s’est débridée durant la guerre. Le gouvernement a érigé des monuments glorifiant ses soldats morts. Mais rien pour commémorer les civils tués. L’histoire des Tamouls est effacée. Les cimetières des rebelles ont été profanés, un geste qui a frappé les esprits puisque chaque famille tamoule donnait un enfant à la guérilla.

Au Musée de la guerre, près de Puthukkudiyiruppu, des panneaux vantent «l’opération humanitaire» de l’armée qui a «libéré la population» des griffes des «violents terroristes». Une immense statue représente un soldat cinghalais levant son fusil d’assaut T-56 vers le ciel. Sous un hangar, le musée exhibe du matériel retrouvé dans les caches rebelles: armement, blindés, sous-marin kamikaze, vedettes pour attentats suicides, bombes. Tout est fait pour ne retenir que la férocité des Tigres.

Des questions sans réponses

Gajendrakumar Ponnambalam, avocat et politicien tamoul, découvre ces vestiges ayant appartenu à une organisation pour laquelle il admet avoir éprouvé une «sympathie politique, parce que c’était le projet politique du peuple tamoul». Il dénonce l’immobilisme du gouvernement: «Colombo sécurise sa présence militaire et étend son projet de domination bouddhiste dans nos terres. Il n’y a aucune avancée en matière de solution politique et de fédéralisme, pas de changements constitutionnels, ni de justice.»

A ce jour, les personnalités soupçonnées de crimes sont toujours traitées en «héros», à commencer par le major général Jagath Dias ou le général Sarath Fonseka. Même Gotabaya Rajapaksa, frère de l’ancien président et ex-ministre de la Défense qui fut le farouche partisan de la «solution militaire», n’est pas inquiété. Les coupables seront-ils rattrapés par l’histoire? Et quelle a été la chaîne de commande? «Tout ce que nous demandons est une enquête juste et indépendante», martèle Gajendrakumar Ponnambalam.

Avec une colère sourde, les villageois de l’ancien bastion tamoul s’interrogent entre eux. «Y a-t-il eu intention des autorités de rassembler la population et de la cibler?» lâche Iyachamy. Le vieil homme habite dans l’ancienne no fire zone, c’est-à-dire la zone sécurisée que les autorités avaient délimitée pour mettre les civils tamouls à l’abri. «En réalité, nous étions sous une pluie de missiles et de tirs. Alors comment pouvons-nous nous reconstruire en tant que citoyens de ce pays?»

Accaparés par le quotidien et la pauvreté, les Tamouls voient néanmoins d’un bon œil les nouveaux hôpitaux, routes, écoles et infrastructures. «Mais ceux d’entre nous qui le pouvaient ont fui à l’étranger, notamment en Suisse», explique Prem Nath, un journaliste d’Uthayan, le quotidien tamoul dont plusieurs employés ont été assassinés durant la guerre. Son ancien patron, M. G. Kuganathan, a été sauvagement tabassé en 2011, rejoignant à son tour le flot de la diaspora tamoule en Suisse. La dernière attaque contre son journal remonte à 2013. L’animosité envers ceux qui sont perçus comme les tenants de la «cause tamoule» reste exacerbée.

Et la frustration, dans les villages, s’est inventé une étrange légende. «Notre leader Prabhakaran est vivant», clame ainsi Rajesh (nom d’emprunt), un ex-combattant Tigre qui cache son identité réelle aux autorités. Le 18 mai 2009, le cadavre du redoutable chef des Tigres avait pourtant été exhibé en boucle sur toutes les chaînes de télévision. Rajesh est persuadé qu’il s’agissait d’un «faux». Il y croit dur comme fer: «Prabhakaran va revenir nous venger.»

En attendant, sur une plage oubliée de Putumattalan, le temps s’est figé au printemps 2009. C’est une plage fantôme, parsemée d’objets: chaussures d’enfants, vêtements, bunkers, ustensiles de cuisine… Un livre ouvert qui raconte l’histoire interdite. Epars dans le sable, des dizaines d’albums plastifiés contenant des photos de mariage ont été abandonnés. Sur des silhouettes désormais floues, les visages commencent à s’effacer. 

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Vanessa Dougnac / Mullivaikal
Vanessa Dougnac / Mullivaikal
Vanessa Dougnac / Mullivaikal
Vanessa Dougnac / Mullivaikal
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Didier Mwamba: «Mon rêve? Vivre de ma musique»

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Jeudi, 7 Juillet, 2016 - 05:56

Et vous, comment ça va?

«Je vais très bien. Je me suis donné jusqu’à mes 35 ans pour vivre de ma musique. Depuis une année, je vis d’une aide du chômage, de mes économies et de quelques contrats à l’étranger. J’ai mis tout mon pécule dans le même panier. Est-ce que ça m’angoisse? Oui, un peu. Mais on n’a qu’une existence et je profite de chaque instant pour réaliser mon rêve. La pire des choses qui puisse m’arriver, c’est de retrouver du travail! Il y a quelques semaines, j’ai sorti mon quatrième album. J’en ai déjà vendu 280. Mais le nerf de la guerre, c’est les concerts et les passages à la radio pour les droits d’auteur. Je suis près de signer avec une maison de production.

Congolais et roumain

Ma musique, c’est le rap. Actuellement, j’écris et je compose. Je me lève le matin avec des envies plein la tête. J’écoute les instrumentaux que j’ai reçus de concepteurs musicaux de France, de Roumanie ou des Etats-Unis. Je me mets alors à écrire des paroles durant une heure, ou alors dix heures si l’inspiration arrive. Je passe aussi du temps dans un studio d’enregistrement. Avec mes amis, on travaille sur mon image. Il s’agit de créer tout un monde autour de soi, les copains m’aident à poster des photos. Il faut faire des clips, lancer de nouvelles choses, se faire suivre sur les réseaux sociaux. Le talent, c’est 20%, le reste, c’est du marketing.

Mon père était Congolais et ma mère était Roumaine. Ils se sont rencontrés en Roumanie. Mobutu et Ceausescu se connaissaient. Après ses études, mon père n’est jamais retourné au Congo. Mes parents ont déménagé à Genève, où je suis né. Mon père est mort lorsque j’avais 5 ans. J’ai grandi au Grand-Lancy, dans un quartier très populaire. C’est le seul endroit au monde où je me sens chez moi, où on ne me fait pas ressentir que je suis un étranger. Sorti de ce quartier-là…

En Roumanie, je sens fortement le racisme. J’y vais chaque année voir la famille. Là-bas, quand je rentre dans un établissement, j’ai tout de suite l’impression d’être un voleur. Lorsque je me mets à parler le roumain, ma langue maternelle, les gens sont sous le choc. C’est drôle à voir. Des enfants demandent: «Pourquoi il est aussi noir, le monsieur?»

Aujourd’hui, je vis très bien cette différence. Plus jeune, des enfants du quartier et de l’école me crachaient au visage en me traitant de sale nègre. Quand on vous fait ça, il n’y a pas beaucoup de choix: on cogne. Après l’école, j’ai commencé un apprentissage de monteur électricien. J’ai tenu un an et demi. C’était trop physique pour moi. J’ai arrêté et commencé un apprentissage de gestionnaire en logistique. J’ai terminé avec mention. J’ai travaillé onze ans à la Poste.

En ménage à 14 ans

J’ai commencé la musique à 12 ans, avec mon oncle paternel, qui joue de la guitare. J’ai donné mon premier concert à 13 ans. J’ai eu une adolescence tumultueuse. J’étais rebelle et, de 11 à 14 ans, j’ai fait beaucoup de conneries: j’ai fumé, volé. A 14 ans, je me suis mis en ménage. Elle avait 21 ans et je me suis installé chez elle. On a dit à sa mère que j’avais 18 ans. Elle a gobé. Il faut dire que je faisais 1 m 83. Ma mère, elle, n’a pas aimé. Au bout de deux semaines, elle a commencé à s’énerver. Elle a téléphoné à la mère de ma copine pour lui dire qu’elle allait porter plainte pour détournement de mineur.

Moi, je ne pouvais par faire autrement. C’était une passion, ma vérité du moment. Je ne sais pas si je revivrai un tel amour un jour. On a vécu dix ans ensemble. Je suis devenu père à 18  ans. C’était voulu. Quand le petit est arrivé, j’ai arrêté toutes les conneries. Mais je n’ai jamais su être fidèle. Aujour-d’hui, mon fils a 12 ans. On a une relation fusionnelle et un dialogue que peu de pères et de fils ont, d’après ce que disent ses copains. Je suis proche de son monde.

J’ai eu un deuxième enfant par la suite, avec une autre femme. On s’est séparés. Ma fille a 3 ans. C’est pour mes enfants que je veux avancer dans la vie. Dans mes chansons, je parle beaucoup de moi. J’essaie de transmettre ma joie, mes émotions, mon histoire, mais aussi de prévenir les jeunes par rapport à la délinquance et aux dépendances. Mon message? Il ne faut pas se laisser abattre, surmonter les épreuves, garder le sourire. Tant qu’il y a de la vie, il y a de la joie.» 

sabine.pirolt@ringier.ch
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Point final: voiture bêta

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Jeudi, 7 Juillet, 2016 - 05:56

L’excès de confiance peut être très périlleux. La remarque vaut hélas pour le conducteur de Tesla qui a été tué au mois de mai dans un accident aux Etats-Unis alors qu’il avait actionné le pilote automatique de la voiture électrique. Et pour la marque californienne elle-même, jamais à court d’une affirmation sur sa volonté de révolutionner le monde de l’automobile.

Or, Tesla a lancé ce qu’aucun autre constructeur n’aurait osé mettre en circulation: la version bêta d’un pilotage automatique qui rend la voiture semi-autonome et s’améliore sans cesse grâce aux mises à jour régulières de son logiciel. Dans l’automobile, la version bêta n’existe pas. Soit un système est stable, c’est-à-dire prêt à être utilisé, soit il attend de l’être. Ce qui n’empêche pas que des modèles soient régulièrement rappelés après l’apparition d’un défaut imprévu.

Même si Tesla recommande aux conducteurs de toujours garder les mains sur le volant en mode pilote automatique, la tentation est grande (j’en ai fait l’expérience) de laisser la voiture se débrouiller toute seule, par exemple de s’emparer de son smartphone, l’appareil qui est à la conduite ce que la grenade dégoupillée est au champ de bataille.

Toute invention majeure souffre d’être prématurée. C’est son péché véniel. La tentation de damer le pion aux concurrents est trop grande. Mais une version-test bêta qui se crashe dans un ordinateur de bureau ne provoque que des jurons bien sentis, au pire la perte de données. Sur la route, la perte peut être autrement plus catastrophique. 

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Meapasculpa: Marine à la plage

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Jeudi, 7 Juillet, 2016 - 05:57

Marine le Pen, barbotant en maillot de bain en Corse sur la couverture du magazine Closer, porte plainte pour violation de la vie privée.

Je n’aime pas voir mes people préférés en une de Voici, Public, Oops!, Closer et autres magazines trash. Ils y sont forcément malmenés, puisque le principe même est de les surprendre dans des moments qu’ils ne voulaient pas rendre publics, de l’intimité domestique ou amoureuse, des moments de laisser-aller, des courses en pyjama, des rondeurs banales mais que le flash sans pitié et le gros plan font paraître monstrueuses.

Donc à l’inverse, lorsqu’une personnalité que je n’aime pas est en couverture de ces journaux, je jubile de la voir en si mauvaise posture, je ricane du tort qui lui est fait et imagine avec délectation la vexation rageante subie.

Ça devrait bien tomber, je n’ai aucune tendresse pour Marine Le Pen.

Mais je n’arrive pas à jubiler. C’est que Marine n’est pas une people comme les autres. De la voir traitée comme une Miss France, une Loana, une présentatrice télé ou une chanteuse à la mode, ça me dérange. Pour Closer, on peut donc banaliser la patronne du Front national, la normaliser, s’intéresser à sa cellulite, son maillot de bain, son couple ou sa maison de vacances et faire comme si le reste – son parti, ses idées politiques, le machiavélisme, le fascisme – n’existait pas. Comme si ce reste était inodore, incolore et aussi inoffensif qu’une émission de variétés ou une chansonnette vite oubliée.

Closer a-t-il raison ou tort de montrer Marine Le Pen barbotant en maillot de bain en Corse, et donc de tirer une non-people, même une politicienne dangereuse et influente, vers le people? C’est là qu’il faut se souvenir que Closer, c’est Hollande et l’affaire du scooter qui le mène chez son amoureuse secrète, Julie Gayet. Closer, c’est le journal qui fait descendre les grands de ce monde de leur piédestal, les tire dans le caniveau, les pousse à notre niveau de vermisseaux de chair, de sang et de concupiscence. Closer, c’est le journal qui annonce la mauvaise nouvelle aux stars glamours et aux people: vous voulez nous faire croire que vous êtes différents? Hélas, vous ne l’êtes pas.

Or Marine Le Pen n’existe que parce qu’elle fait croire aux Français qu’elle est différente. Qu’elle n’est pas une politicarde véreuse et vénale, qu’elle est contre l’establishment, qu’elle pense, vit et agit différemment des autres, de tous les autres, à gauche ou à droite, qu’elle dénonce sans vergogne.

Du coup, la montrer bronzant comme tout bourgeois sur un bateau en Corse, en maillot de bain comme tout le monde, lisant comme tout le monde le dernier Guillaume Musso, c’est pas bon pour Marine. Elle devient comme les autres. Le pire, pour elle.

isabelle.falconnier@hebdo.ch

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Zalmaï, Armin et les autres: l’exil à 15 ans

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Jeudi, 7 Juillet, 2016 - 05:58

Récit. Il y a trente ans, le mineur non accompagné (MNA), c’était lui, Zalmaï. Comment le photographe s’est retrouvé à Neuchâtel pour rencontrer quelques «gamins». Et traduire même ce qu’ils ne disent pas.

Tu es un ado, tu aimes l’eau, elle évoque pour toi l’été et les vacances. Tu es un ado requérant d’asile, tu as vécu l’épreuve du bateau surchargé entre la Turquie et la Grèce, l’eau ne te fait pas du tout le même effet. Zalmaï se promène à Neuchâtel avec Armin, Morteza et Mohamed et c’est ce qu’il se dit. Ce n’est donc pas un hasard si deux photos sur trois qu’il a choisi de publier dans ces pages parlent d’eux et d’eau.

«Ce petit corps perdu dans une immensité opaque (p. 23) évoque pour moi le sort de ces gamins. Ils flottent dans un océan d’incertitude.» Il sait de quoi il parle, lui, Afghan comme eux, exilé à 15 ans. La troisième image dit comment, sur le chemin, on s’accroche les uns aux autres pour se fabriquer, de bric et de broc, une sorte de famille de substitution: «Le pire cauchemar, c’est d’être seul.»

Ces «gamins», il y a un sigle pour les désigner: MNA, mineurs non accompagnés (Mohamed y échappe, il est là avec sa mère et sa sœur). Ayant appris qu’il pouvait en rencontrer une poignée à Neuchâtel, Zalmaï le photographe, après avoir arpenté la route des Balkans pendant près d’un an pour l’ONG Human Rights Watch, a voulu venir les voir. «J’ai photographié l’Afghanistan en guerre, puis, jusqu’à Calais, les conséquences de ce conflit non résolu. Je veux maintenant accompagner ces gens au bout de la route.»

Ainsi, ce jour-là, les «gamins», ravis de parler leur langue avec un des leurs, ont raconté à Zalmaï leur désir inassouvi de se faire des amis suisses, leur soif de s’intégrer dans un club sportif, là où l’échange passe moins par les mots. Et surtout, en marchant à côté d’une école, leur frustration de passer trop de temps à glander: «Si seulement on pouvait s’asseoir sur un de ces bancs et apprendre!» Car Armin, Morteza et Mohamed flottent aussi entre enfance et âge adulte: trop vieux pour bénéficier de la prise en charge de l’école obligatoire, ils n’ont que des cours de français, plus ou moins bons et nombreux, à se mettre sous la dent.

De Zalmaï à Zahra à Sahar

Mais il faut d’abord raconter comment cette rencontre est advenue. Zalmaï, réfugié afghan devenu citoyen suisse, est d’abord un grand photographe. Ce sont ses images qui parlent. Mais depuis quelque temps, sollicité pour témoigner de son expérience, il découvre, aussi, le poids des mots: «C’est fou l’effet que ça fait quand on parle à la première personne.»

Il dit, par exemple, ceci: «J’avais 15 ans, je ne connaissais pas le mot «réfugié». Je ne savais pas ce qu’était une frontière. Je n’avais pratiquement jamais quitté Kaboul et ma vie protégée. Ce voyage terrifiant à travers les montagnes, c’était ma première sortie sans mes parents.» Ceux qui l’écoutent cessent alors de considérer le «problème des réfugiés» comme une thématique. Ils voient des gens, chacun avec une histoire. Ils comprennent – pour de bon – que ça pourrait être la leur. Pire: celle de leur enfant.

La dernière fois que Zalmaï a témoigné, c’était en mai au Forum des 100. Moment d’émotion intense. Tout le monde a tweeté sa phrase: «Ce n’est pas une crise des réfugiés, c’est une crise de la compassion.» Il entend par là: trouver des solutions au «problème des réfugiés» est difficile, oui. Ça ne nous empêche pas de les regarder, de leur parler, de compatir et d’aider.

Au Forum des 100, Zalmaï a rencontré Zahra. Zahra Banisadr, fille d’Abol Hassan, le premier président de la République d’Iran éjecté en 1981 par la dictature des mollahs. Zahra, réfugiée à 15 ans à Paris, où elle a vécu un an de solitude éperdue sans savoir si elle allait revoir ses parents vivants.

Zalmaï et Zahra se comprennent à demi-mot. Quand ils parlent, par exemple, du «trou noir» qui menace de vous aspirer l’âme quand vous flottez dans un océan d’incertitude. Parce que, à 15 ans, si vous avez perdu tous vos repères, vous êtes en grave danger d’effondrement intérieur. Zalmaï: «Avoir une famille, un pays, s’aimer, se séparer, je n’avais jamais réfléchi à la signification de tout cela. Ça m’est tombé dessus en huit jours, c’était trop. Je n’avais plus envie de vivre, je ne mangeais plus, j’ai perdu 12 kilos. La dépression: ce mot-là non plus, je ne le connaissais pas.»

Heureusement pour lui, Zalmaï voyageait avec son frère aîné: «Il m’a protégé, il m’a sauvé la vie.» Zahra lui fait écho: «Je me souviens, j’étais à l’école, j’essayais de lire, et les lignes dansaient devant mes yeux. Je n’arrivais pas à me concentrer. Aujourd’hui, j’entends dire des adolescents qui essaient d’apprendre le français: «Ils ne sont pas concentrés.» Comment le seraient-ils? L’incertitude, ça vous plombe la tête. Il faut un minimum de tranquillité mentale pour penser et apprendre.»

Zahra vit à Neuchâtel, où une amie iranienne, Sahar Ghaleh, «marraine» plusieurs de ces adolescents: Armin, Morteza, Mohamed et quelques autres, des Afghans venus d’Iran, où la communauté de ces réfugiés sans statut compte un million et demi de personnes.

C’est ainsi que Zalmaï est venu à Neuchâtel. Sahar  y est interprète. Elle-même fille d’une réfugiée au moment de son arrivée en Suisse, à 12 ans. Armin et les autres, elle les a rencontrés dans le cadre de ses mandats professionnels («le dhari d’Afghanistan et le farsi d’Iran, c’est la même langue»). Mais très vite, elle s’est retrouvée à faire plus.

D’abord, avec une poignée d’autres bénévoles, elle a fondé l’association Effet Papillon, qui dispense des sortes de cours d’appui en langue maternelle, pour aider les réfugiés en panne dans leur apprentissage du français. Une aide nécessaire parce que la qualité des cours offerts dans le canton est très inégale. Mais aussi parce que, avec les accidentés du lien, rétablir le courant avec la langue de la sécurité affective est un geste crucial de premier secours. Sur ce terreau, l’apprentissage peut fleurir.

Mais Sahar ne s’en tient pas là avec les «gamins»: «Ce sont des enfants en quête d’affection. Ils ont désespérément besoin de parler, de nouer un lien de confiance avec un adulte avec qui ils se sentent en sécurité.» Les MNA qui vivent dans un centre pour mineurs (lire encadré à la page suivante) ont leur éducateur de référence. Mais lorsqu’ils sont logés, comme Armin et Morteza à Couvet, dans un centre pour adultes, ils n’ont personne. Rien que des Securitas.

Les deux ados afghans ont une tutrice, très utile pour gérer leur dossier et peut-être plus active qu’ils ne l’imaginent pour défendre leurs intérêts (elle n’est pas habilitée à nous parler). Mais ce n’est pas auprès d’elle qu’ils trouvent ce lien qui réchauffe dont ils ont éperdument besoin. Par chance, ils ont rencontré Sahar: ils ont désormais une marraine informelle. «Quand je ne les vois pas, je passe mon temps à leur répondre sur WhatsApp. Armin, par exemple, il m’appelle tout le temps…»

Les «gamins» et les Securitas

Armin, le voilà justement; 15 ans et un sourire à faire fondre un iceberg. Sahar: «Il se cache derrière son sourire. Quand il rigole un peu trop, je sais que ça ne va pas du tout…» Tout en faisant connaissance, Zalmaï traduit: Armin vient de Kashan, il est là depuis sept mois, il raconte le bateau pour la Grèce et le voyage terrifiant surmonté grâce à la protection de son grand frère: «Tout comme moi! s’émeut le photographe. La différence, c’est que dans les années 80, les réfugiés afghans étaient des héros accueillis à bras ouverts.»

Armin a perdu un frère et son père en Iran, mais à leur évocation, les larmes lui montent aux yeux et il change de sujet. Parfois, dans les entretiens avec les personnes qui décident de son sort, il n’arrive plus à parler, il dit: «C’est le chaos dans ma tête.» Sa mère lui manque terriblement, au point qu’il est parfois tenté de repartir, malgré les risques. Ils sont grands.

Zalmaï: «Les réfugiés afghans sont terriblement maltraités en Iran, ils n’ont aucun statut et même pas le droit d’aller dans les parcs publics. Surtout, les garçons risquent à tout moment l’arrestation, avec, à la clé, la terrible alternative: soit tu vas te battre en Syrie, soit tu es expulsé.» Sahar hoche la tête: «Ce que j’entends ici sur mon pays est très difficile à encaisser. Si je me démène autant, c’est aussi dans l’espoir de donner à ces personnes une meilleure image des Iraniens.»

Arrive aussi Morteza, 16 ans. Il vient de Téhéran, et la nuit où il a traversé la frontière turque, il a failli y rester: les gardes iraniens tirent sur les fuyards, c’est un fait avéré par plusieurs observateurs. Morteza est là depuis sept mois comme Armin mais, contrairement à ce dernier, il commence à parler un peu français. Sahar explique: il est parmi les chanceux qui suivent les meilleurs cours du canton, au centre de formation CEFNA, à La Chaux-de-Fonds, dans le cadre du programme JET, jeunes en transition. Armin, lui, n’a eu jusqu’ici que 6 heures de cours par semaine et rien à faire le reste du temps.

Ils racontent le centre de Couvet. Les adultes saouls qui se bagarrent la nuit. Les Securitas, «certains gentils, d’autres beaucoup moins», les petites injustices ordinaires dont ils se sentent victimes, sans oser alerter le directeur. Mille petites anecdotes qui disent: tout ce qui nous arrive est aléatoire et arbitraire. Il y a certainement une logique derrière ce qui leur arrive: mais qui la leur explique?

Morteza doit rencontrer bientôt une famille d’accueil, mais il n’en est pas sûr: «Si c’est vrai, je suis content.» Il ferait donc partie des 20 mineurs qui devraient trouver un foyer d’ici à la fin de l’été: le canton a décidé d’agir, tout le monde admet qu’un centre pour adultes, ce n’est pas un endroit pour les MNA.

Arrive Mohamed, 17 ans, qui parle assez bien le français. Mais pas assez pour être admis au centre de formation CPLN: essayé, pas pu. «Vous écrivez un article? Vous pouvez m’aider? Parce que je suis mineur, on me donne la moitié de la somme que reçoit ma mère. Mais si je veux aller à l’école, on me dit que ce n’est pas possible parce que je suis adulte. C’est bizarre, non?»

«Tu me reconnais?»

Zalmaï a fait une autre rencontre à Neuchâtel. Un homme qui s’est précipité sur lui, la joie sur le visage. «Tu me reconnais? Tu étais en Hongrie, tu nous as aidés!» Le photographe se souvient: «C’était le jour où la frontière hongroise a fermé. Je leur ai dit qu’il était inutile d’attendre et conseillé de continuer sur la Croatie. Quand ces personnes trouvent sur la route quelqu’un qui parle leur langue, elles sont tellement heureuses!» Silence. «Ça m’arrive souvent. A Calais, j’ai revu un homme que j’avais sorti de la mer à Lebsos. Je vis avec, dans la tête, le souvenir de milliers d’yeux qui me regardent en espérant une aide.»

Mais à quoi bon aider quelqu’un qui, au bout du compte, sera renvoyé? Tous ces gestes ne sont-ils pas dérisoires si on ne résout pas le problème global? «Aucun geste n’est dérisoire. Parce que quand on est menacé par le grand trou noir, on s’accroche à la plus infime petite lumière. Tout ce que tu donnes est bon à prendre. Même si celui que tu aides doit repartir, ce sera son bagage d’humanité.» Le smartphone de Zalmaï vibre: encore le WhatsApp d’un ami lointain, rencontré sur la route des Balkans. 


MNA, les chiffres

– Les mineurs non accompagnés (MNA) étaient 2736 en Suisse en 2015, 8 fois plus qu’en 2013. Ils sont en majorité Afghans et Erythréens. Soixante-six pour cent d’entre eux ont entre 16 et 18 ans: ils ne bénéficient donc pas de la scolarisation garantie par la scolarité obligatoire.

– A l’échelle suisse, une minorité seulement de MNA vivent dans des centres spécialisés pour mineurs, dotés d’un encadrement éducatif stable et professionnel. Vaud privilégie cette solution.

– A Neuchâtel, les MNA sont une soixantaine, selon les indications fournies par le Service de protection de la jeunesse. Vingt vivent dans une institution pour mineurs «avec encadrement éducatif léger», 10 dans une institution d’éducation spécialisée, une poignée de presque adultes en studio. Le reste cohabite, comme Armin et Morteza, avec des adultes dans les centres d’accueil de Couvet et de Fontainemelon. Les autorités cantonales se disent conscientes que ce n’est pas leur place. Ce printemps, une action a été lancée pour trouver des familles d’accueil. Vingt familles se sont manifestées (d’autres peuvent encore le faire au Service de protection de l’adulte et de la jeunesse, via le site ne.ch). Le «matching» est en cours. A la rentrée, 20 mineurs non accompagnés devraient avoir trouvé un foyer.

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Algues et insectes au menu

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Jeudi, 7 Juillet, 2016 - 05:58

Vous reprendrez bien un peu de friture de sauterelles? Et avez-vous goûté aux röstis aux vers de farine? Migros et Coop, les deux plus gros commerçants de détail en Suisse, se sont alliés pour imaginer la nourriture du futur. Une première, selon la NZZ am Sonntag. Les deux enseignes encouragent par un montant de 250 000 francs par an huit start-up sélectionnées par Kickstart, «the Swiss Accelerator». Inaugurée à Zurich en janvier 2016, cette plateforme vise à encourager les entreprises naissantes et leur implantation en Suisse.

Parmi les huit finalistes (sur 176 dossiers reçus), la société finlandaise EntoCube a été récompensée pour ses conteneurs permettant de cultiver des insectes propres à la consommation, en les nourrissant de déchets végétaux. The Algae Factory, basée aux Pays-Bas, propose, elle, un substitut aux protéines animales en développant l’exploitation des algues. Les projets doivent encore être affinés avant de pouvoir un jour être commercialisés.

Mais ils sont prometteurs: algues et insectes nécessitent beaucoup moins de ressources que l’élevage bovin, par exemple. Et offrent un grand rendement en protéines. Ils représentent un espoir pour nourrir la planète dans les décennies à venir. En attendant, il faudra aussi faire évoluer nos goûts, socialement «construits», pour nous mettre en appétit.

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