Quantcast
Channel: L'Hebdo - Société
Viewing all 15989 articles
Browse latest View live

Boris Cyrulnik: «Les héros d’aujourd’hui sont éphémères»

$
0
0
Jeudi, 7 Juillet, 2016 - 05:59

Interview. Le psychiatre Boris Cyrulnik revient pour «L’Hebdo» sur les liens entre sport et résilience et sur notre besoin d’héroïser aujourd’hui les champions sportifs.

L’homme qui a popularisé le concept de résilience dans le domaine francophone sait de quoi il parle. Né en 1937 à Bordeaux, dans une famille d’immigrés juifs, Boris Cyrulnik a survécu à la guerre, caché par ses parents dans une pension. Déportés, sa mère et son père sont morts à Auschwitz.

Dans son dernier livre, Ivres paradis, bonheurs héroïques (Odile Jacob), le psychiatre raconte comment le petit garçon qu’il était a commencé à surmonter la douleur et l’insécurité en lisant des histoires de héros. A l’époque, les héros n’étaient pas des sportifs, comme c’est le cas aujourd’hui. C’était Tarzan, Rémi (du roman Sans famille d’Hector Malot) ou encore Oliver Twist. C’est avec eux qu’il a appris à lire, lui qui n’avait pas le droit d’aller à l’école. «La vie est un champ de bataille où naissent les héros qui meurent pour que l’on vive.»

Depuis, Boris Cyrulnik a fait de la résilience le centre de son approche thérapeutique. En mécanique, la «résilience désigne la résistance d’un matériau au choc, sa faculté de retrouver sa forme initiale après un impact. Au figuré, le mot évoque la force morale d’un individu qui ne se laisse abattre par les événements.»

En 1982, la psychologue américaine Emmy Werner a commencé à utiliser le terme comme métaphore pour décrire le processus de survie et la reconstruction d’un individu après une «agonie psychique», soit un traumatisme psychique extrême. Boris Cyrulnik l’a adopté à son compte. Il n’a cessé depuis de vulgariser cette notion dans ses nombreux ouvrages (Un merveilleux malheur, 1999, Les vilains petits canards, 2001, Le murmure des fantômes, 2003). Nous avions envie de lui demander ce qu’il pensait des héros contemporains: les sportifs. Et de la résilience de Martina Hingis.

La pratique sportive est-elle un moyen de pratiquer la résilience?

Disons plutôt que le sport peut aider des personnes blessées moralement à devenir résilientes. D’abord parce qu’il permet de sortir de l’isolement et donc évite de refouler son traumatisme. Ensuite parce que le sport donne un projet, une motivation, permet de trouver une valorisation et d’exister socialement. Et nous savons maintenant que la pratique sportive a une influence considérable sur le développement de notre cerveau.

A l’inverse, les sportifs «programmés» dès l’enfance pour devenir des champions semblent vulnérables. Comment gérer les défaites et la fin de carrière?

Parfois, les reconversions ne sont pas aisées. Après une vie sacrifiée pour le sport, le vide peut être ressenti comme un traumatisme. Que faire après avoir recherché l’intensité et érotisé la souffrance physique? C’est pour cette raison par exemple que j’avais accepté de présider le colloque Sport et résilience, à Paris, en 2012, qui invitait des sportifs de haut niveau et des entraîneurs à s’exprimer et à mener une réflexion sur le sujet.

Un poids supplémentaire repose sur les épaules des sportifs d’élite d’aujourd’hui. Ils sont, expliquez-vous, investis d’une charge symbolique: celle d’être les héros de nos sociétés contemporaines.

En temps de paix, nous avons besoin de héros éphémères, pour nous faire rêver et nous montrer le chemin. Des héros quotidiens qui nous éclairent, nous font rire, nous procurent des moments de gaieté. La définition du héros, c’est qu’il est un sauveur qui montre la voie, comme une étoile du berger. Ce rôle peut être tenu par Dimitri Payet ou Zidane. Ils sont légendaires, mais on les oubliera rapidement. Si les héros sont aujourd’hui éphémères, c’est pour moi la preuve que nous vivons en temps de paix et en démocratie.

De quoi naît ce besoin d’avoir des héros?

Si on est en difficulté dans son enfance, on a besoin de figures constructives, de figures d’identification. Un sportif, un musicien ou Tarzan! Si on est adulte et qu’on a encore besoin d’un héros, cela veut dire qu’on est soit dans la difficulté, soit que, culturellement, notre groupe social est en difficulté. On cherche un sauveur.

On met souvent en avant des hommes sportifs. Qu’en est-il des femmes?

Elles ont la même fonction, mais il y en a beaucoup moins qui sont héroïsées, c’est vrai. On en trouve dans les sports d’endurance et de risque. J’ai discuté avec de nombreuses athlètes qui entraient dans cette catégorie. Certaines faisaient le tour du monde à la voile, d’autres traversaient les montagnes à pied. Elles m’ont expliqué que l’enjeu, pour elles, était de montrer qu’elles étaient capables de faire les mêmes choses que les hommes. C’est un désir de réparation, une recherche de parité. Ces femmes servent d’héroïnes à d’autres femmes. Prenez la navigatrice Florence Arthaud. Elle a été divinisée, aimée et admirée par des hommes et par des femmes.

Les femmes sont-elles en quête d’héroïsation par le sport?

Non, la plupart préfèrent pratiquer des sports sans héroïsation. Pensez au jogging ou à la culture physique dans une salle de fitness. Pour les femmes, le sport a souvent une fonction de bien-être. Certaines le pratiquent simplement pour le plaisir du jeu. Dans le midi de la France, il y a des équipes de rugby féminines. Ce sont des héroïnes du quotidien, le temps d’un match. Elles font cela pour s’amuser! Alors qu’une femme qui pratique un sport à risque est dans une recherche idéologique de parité.

Qu’est-ce qui fait l’étoffe d’un héros ou d’une héroïne?

Au départ, les héros sont eux-mêmes des «éclopés» qui doivent surmonter leur fragilité. Ensuite, en temps de guerre, ils désirent donner leur vie pour nous, se sacrifier pour la collectivité. Tout dépend du contexte. En temps de paix, on va jouer à la guerre. Ainsi, le sport met en scène un combat. Souvenez-vous, on emploie des mots guerriers pour évoquer un match de tennis. Un bon sportif est un «tueur». Il dira: «Je vais me défoncer pour sauver l’honneur de mon équipe.»

Les grandes sportives sont prêtes à se sacrifier?

Oui, de nombreuses sportives se sont sacrifiées. Beaucoup ont pris des drogues, par le passé. Des hormones mâles, de la testostérone, des hormones de croissance… Cela se voit parce que leurs cuisses n’ont plus de cellulite, leurs deltoïdes sont très développés, elles ne courent plus de la même manière. Leur corps est modifié. Elles l’ont fait consciemment, prêtes à s’abîmer pour gagner une compétition ou un match. L’étoffe des héros est faite de narcissisme. Ils nous disent: «Par mon sacrifice, vous allez m’aimer.»

A qui s’adresse ce sacrifice, au public ou à leurs proches? Martina Hingis, pour revenir à elle, a toujours vécu sous l’influence de sa mère, son mentor.

Généralement, c’est l’emprise des pères qui fait de leur fils ou de leur fille un champion. Je n’emploierai pas le mot de héros, dans ce cas-là. C’est nous qui héroïsons ces vedettes. Mais beaucoup de ces champions, une fois leur carrière achevée, confient qu’ils étaient sous l’emprise de leur père ou de leur mentor, et qu’ils n’étaient pas heureux. Ils étaient bien entraînés, peut-être, mais pas heureux.

Martina Hingis a connu des déboires, mais elle a toujours su revenir au premier plan. Son incroyable capacité à rebondir est-elle le signe de la résilience?

La définition de la résilience et simple: c’est la reprise d’un nouveau développement après une agonie psychique. Martina Hingis a-t-elle vécu une agonie psychique dans les creux de sa carrière? Je ne connais pas assez bien son histoire pour le dire. Il me semble qu’il s’agit plutôt d’une difficulté développementale, qui a comporté des passages à vide et de bons moments. Celui qui déclenche un processus de résilience, quand par bonheur il se remet à vivre après un traumatisme, va radicalement changer de façon de vivre.

Comment pense une personne résiliente?

J’ai travaillé avec des hommes et des femmes touchés par les attentats parisiens du Bataclan. Pour l’expliquer de façon triviale, leur raisonnement est le suivant: «J’ai été blessé, j’ai perdu ma famille, mais je vais m’organiser pour vivre le moins mal possible, et parfois même pour avoir une belle vie. Je ne vais plus perdre une minute et passer l’essentiel de mon temps avec les gens que j’aime.» Le héros désire sacrifier jusqu’à sa vie pour être aimé. Alors que celui qui déclenche un processus de résilience veut vivre!

Le héros se situe au-delà de la victoire et de la défaite, expliquez-vous…

On ne demande pas au héros d’être vainqueur, mais de sauver l’honneur et de donner une noble image du groupe. Comme Roland à la bataille de Roncevaux, ou comme Zidane. Avec son coup de tête, le 9 juillet 2006, lors de la finale de la Coupe du monde de football à Berlin, Zidane se fait exclure et l’équipe de France perd le match contre l’Italie. Mais, lorsqu’on a appris que son adversaire italien, Marco Materazzi, avait insulté sa mère et sa sœur, le coup de tête est devenu un symbole de l’honneur vengé. Il a sauvé l’honneur de la France.

A l’inverse, le public n’a pas pardonné à la main de Thierry Henry d’avoir touché le ballon. Il a fait gagner la France contre l’Irlande, lors du match de qualification pour la Coupe du monde de football 2010. Mais en trichant, il a symboliquement souillé l’honneur du pays. 

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
Franck Pennant / AFP
Rubrique Une: 
Auteur: 
Pagination: 
Pagination masquée
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

Staccato: il a fait un bébé tout seul

$
0
0
Jeudi, 7 Juillet, 2016 - 05:59

C’est une vieille chanson intitulée Elle a fait un bébé toute seule. Jean-Jacques Goldman y évoque «ces années un peu folles où les papas n’étaient plus à la mode». En cru, une femme qui dit: un enfant si je veux, quand je veux, et les mecs, si vous vous croyez indispensables, vous vous fourrez le doigt dans l’œil.

Trente ans déjà. Quoi de neuf en 2016? Tusshar Kapoor, star de Bollywood, fait un bébé tout seul. Il annonce sa naissance en ces termes: «Grâce à Dieu et à l’excellente équipe médicale [du centre de procréation médicalement assistée] de Jaslok, devenir parent est désormais à la portée de tous ceux qui décident de fonder une famille en solo.»

Pas un mot pour mentionner la femme qui lui a loué son ventre. L’acteur parle technique, surrogacy (gestation pour autrui). En cru, il dit: un enfant quand je veux, si je veux. Et les nanas qui se croient indispensables se fourrent le doigt dans l’œil.

Avant lui, le chanteur italo-espagnol Miguel Bosé avait ouvert les feux. Sous les applaudissements bruyants de sa maman, Lucia, qui expliquait: il a bien fait, les femmes, toutes des salopes (sauf moi).

Je suppose qu’il faut appeler cela une avancée sociétale: au tableau du match procréatif, les femmes avaient pris l’avantage. Grâce à la GPA, le score est désormais de 1 partout. Quand l’égalité va, tout va, tralala.

Désolée, je n’entonne pas. Et ne venez pas me dire que je stigmatise les familles monoparentales. Je me réjouis infiniment de la disparition des «filles-mères» et du respect dû, en 2016, aux mères célibataires (les pères célibataires, eux, n’ont jamais été honteux).

Mais là, on parle d’autre chose: on parle d’une industrie de la procréation qui valorise le modèle du parent unique comme le truc ultracool à ne pas manquer. On parle de la promesse d’un avenir radieux où les individus, enfin libérés des contraintes de la rencontre sexuelle – beurk – frôleront le divin idéal de l’auto-engendrement par la grâce du Saint-Esprit médical. L’égalité progresse peut-être, mais moi, je cale.

Sans compter ce petit détail si souvent négligé: l’égalité ne progresse que chez les riches. Dans ses usines à bébés, la nouvelle industrie de la procréation exploite un prolétariat exclusivement féminin. Mince, Jean-Jacques, encore raté.

anna.lietti@hebdo.ch/ @AnnaLietti

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
Rubrique Une: 
Auteur: 
Pagination: 
Pagination masquée
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

Euro 2016: la mauvaise affaire de l’Islande

$
0
0
Jeudi, 7 Juillet, 2016 - 05:59

Dans n’importe quel pays, plus l’équipe nationale de football engrange de victoires, mieux l’économie domestique se porte. Portés par l’enthousiasme, les gens consomment avec plus d’allégresse, ce qui remplit les tiroirs-caisses des commerçants et donne du travail aux usines. Mais pas en Islande, où l’accession de l’équipe en quart de finale de l’Euro devrait avoir un impact négatif sur la croissance, selon la banque d’affaires islandaise Arion.

Avec quelque 30 000 de ses résidents venus en France assister aux matchs, le pays a perdu près d’un résident sur dix, lequel exprime sa joie consumériste à l’étranger. «Le chiffre d’affaires des cartes de crédit devrait chuter», prévient un analyste de la banque Arion. Ce qui n’est pas bien grave, le pays étant en plein boom économique.

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
Rubrique Une: 
Auteur: 
Pagination: 
Pagination masquée
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

Martina Hingis, la résiliente

$
0
0
Jeudi, 7 Juillet, 2016 - 06:00

Laurent Favre

Dossier. Blessures sentimentales, déceptions sportives, suspension pour dopage, retraites anticipées, la Suissesse a surmonté tous les obstacles pour rayonner, à 36 ans, sur les courts du monde entier. Si la résilience est l’art de rebondir, alors Martina en est un des meilleurs exemples.

C’était à Roland-Garros, boulevard d’Auteuil, porte E, l’entrée des accrédités. Une fin de matinée grise et froide. Une queue de cheval dans la foule attend son tour au contrôle de sécurité, tend son badge à l’œil électronique du portique, ouvre son sac à double fermeture éclair, écarte les bras pour la fouille corporelle. Ne l’ont-ils pas reconnue? Apparemment pas, mais la queue de cheval ne s’en formalise pas; elle reprend son sac et sa route. Intrigué, nous marchons sur ses pas.

La queue de cheval remonte l’allée qui longe le court Philippe Chatrier, toujours dans l’indifférence générale. Un spectateur va bien finir par mettre un nom sur ce sourire? Mais non; elle fend la foule sans que personne ne lui prête attention. Si seulement elle se promenait avec un garde du corps à oreillette ou si elle avait des lunettes noires de star voulant passer inaperçue, ou au moins quelqu’un pour lui porter son sac! Il est presque plus gros qu’elle, ce sac, il la rend toute petite, toute frêle. Il la renvoie vingt ans en arrière, lorsqu’elle était adolescente, que le monde s’émerveillait de ses prouesses et de son sourire.

A l’époque, elle n’aurait pas pu remonter l’allée sans déclencher une émeute – elle ne s’y serait d’ailleurs même pas risquée – et il n’aurait pas été nécessaire de se pencher sur l’accréditation qui pendouille du sac pour y lire son nom: Martina Hingis.

Martina Hingis, 36 ans en septembre, joue toujours au tennis, elle participe toujours aux tournois de Roland-Garros et de Wimbledon, elle gagne toujours 90% de ses matchs, mais elle n’est plus une héroïne du circuit tennistique professionnel. Pas totalement une anonyme, en dépit des apparences, mais guère mieux qu’un second rôle. Le double féminin et le double mixte sont des épreuves respectables et souvent intéressantes, mais il faut dire ce qui est: ce ne sont que des compétitions de complément. Pour les organisateurs et les journalistes, c’est la variable d’ajustement.

Les matchs sont déplacés d’un court à un autre au gré des besoins de la programmation, les médias assistent aux conférences de presse s’ils ont le temps, le public est souvent clairsemé. Les gains y sont accessoires: Novak Djokovic, vainqueur du simple messieurs des Internationaux de France, a remporté 2 millions d’euros; Martina Hingis, lauréate du double mixte, a empoché 116 000 euros, à partager avec son partenaire Leander Paes.

Telle est la vie de Martina Hingis aujourd’hui, celle d’une pigiste de luxe du tennis. Une existence heureuse, à en croire les sourires qu’elle diffuse sur les courts du monde entier. La vie, pourtant, n’a pas toujours été tendre avec celle que l’on surnommait «la petite princesse de Trübbach», qui jouait devant 5000 personnes à 9 ans, que l’on baladait dans une Cadillac rose à 16 ans.

Has been à 20 ans

La chronique de ses déboires sportifs, sentimentaux et même judiciaires a émaillé ce début de XXIe siècle. On l’a vue au bras d’un golfeur, d’un hockeyeur, d’un footballeur et de quelques joueurs de tennis dans ce que l’humoriste Nathanaël Rochat a qualifié de «pentathlon de l’amour». Elle a aussi fricoté avec un businessman ukrainien un peu louche, laissé en plan deux fiancés et divorcé avec fracas d’un cavalier français épousé à la surprise générale en 2010. Elle s’est essayée à la mode, au coaching, à l’équitation, elle a perdu un procès contre un ancien équipementier et été suspendue deux ans pour un contrôle antidopage positif à la cocaïne où le mot important n’était pas «dopage» mais bien «cocaïne».

Etalés sur une quinzaine d’années, ces déboires font partie des choses de la vie. Ce qui fait de Martina Hingis une résiliente, une héroïne de la vie, c’est d’avoir survécu à son obsolescence. Conçue, élevée et entraînée par sa mère, Melanie Molitor, pour devenir No 1 mondiale de tennis, elle y est parvenue avec une rapidité et une aisance telles que son règne devait durer dix ans et battre tous les records. Elle n’aura de fait brillé que quelques saisons, entre 1996 et 1999. La joueuse la plus précoce de l’histoire du tennis s’est soudain vue has been à 20 ans.

L’année 1997 est son millésime le plus glorieux. A 17 ans, elle remporte trois tournois du Grand Chelem sur quatre et perd inexplicablement en finale à Roland-Garros, où elle est arrivée en retard de préparation en raison d’une chute de cheval. Elle remporte le mois suivant son seul titre en simple à Wimbledon mais, cette année-là, deux jeunes sœurs afro-américaines font leur apparition sur le circuit de la WTA. Elles ont des dreadlocks à perles blanches, gloussent comme des gamines quand on leur tient la porte dans l’escalier et frappent dans la balle avec une violence alors inédite.

L’avènement des sœurs Williams, d’abord Venus, l’aînée, puis Serena, annonce le règne d’un tennis tout en puissance et en agressivité. Hingis est une star du muet qui voit débouler le cinéma parlant. Elle tient, résiste, mais s’agace et perd la sympathie du public. En 1999, elle gagne son cinquième et dernier grand titre à l’Open d’Australie, mais se discrédite en se moquant des épaules très carrées de la finaliste Amélie Mauresmo. La foule parisienne le lui fait payer quatre mois plus tard.

En finale face à Steffi Graf, une autre résiliente qui a su s’affranchir de la férule paternelle et se faire apprécier du public, Martina Hingis perd plus qu’un match. Elle découvre qu’on ne l’aime pas. «J’avais de la difficulté à accepter des critiques, je les trouvais trop dures pour une adolescente», dit-elle aujourd’hui. Son beau-père et manager, l’ancien journaliste Mario Widmer, rappelle le contexte. «Martina était une star internationale à 16 ans dans un pays qui n’avait jamais connu ça auparavant.»

En 2000, lors d’une exhibition à Santiago du Chili, elle se dispute violemment pour une broutille avec sa partenaire de double, Anna Kournikova. «Tu te prends pour la vedette, mais c’est moi la reine du tennis», lui lance la Saint-Galloise sur le court, avant d’autres échanges d’amabilités et d’objets divers dans le vestiaire. Le charme est rompu. En 2003, après des absences plus ou moins prolongées en raison de blessures à répétition, elle annonce sa retraite. La première. Elle pense alors pouvoir se réinventer en cavalière de saut d’obstacles. Une chimère dont elle prend vite conscience.

En 2006, elle revient au tennis. Elle est encore jeune (26 ans) et, moins d’un an plus tard, la revoici déjà dans le top 10 mais, le 1er novembre 2007, elle est contrôlée positive. Le test antidopage ne démontre pas une volonté de tricher mais trahit l’absorption de cocaïne. Pour un cas similaire quelques années plus tard, le joueur français Richard Gasquet, épaulé par les avocats d’Arnaud Lagardère, obtiendra un non-lieu. Martina, elle, avec une dose cinq fois inférieure, refuse de se défendre, ni même de s’expliquer, et se fait suspendre. Deuxième retraite.

Humilité et maturité

Pourquoi est-elle revenue une seconde fois en 2013, à déjà 32 ans, après s’être essayée à un rôle de coach? Sa réponse classique et évidente est celle-ci: «En entraînant Anna Pavlyuchenkova et Sabine Lisicki, je me suis rendu compte que je soutenais toujours la comparaison avec les meilleures.» Elle avança une raison plus profonde lors de l’US Open 2015. «Le monde du tennis est quelque part un peu ma famille. C’est comme revenir dans un endroit où je suis à l’aise, heureuse, respectée et appréciée. C’est tout ce que vous demandez.»

C’est ainsi que l’équipe de Suisse de Fed Cup l’a vue débarquer en avril 2015, après dix-sept ans d’absence en équipe nationale, pour un obscur barrage de promotion-relégation. «Lorsqu’elle est arrivée, nous étions au petit-déjeuner, se souvient Christiane Jolissaint, cheffe de délégation de l’équipe de Fed Cup et vice-présidente de Swiss Tennis. Tout de suite, elle s’est montrée très ouverte, très abordable, pas du tout «j’me la pète».

C’était pourtant une rencontre assez bizarre, avec plusieurs joueuses un peu blessées. Elle ne devait jouer que le double, elle a disputé les deux simples et pas le double…» Aucune joueuse n’avait le dixième de son palmarès, mais elle s’est fondue dans le groupe avec joie et simplicité. «Après son premier match perdu, elle avait un peu les larmes aux yeux», raconte Timea Bacsinszky.

Prévue pour disputer le double, Hingis s’est finalement retirée de l’équipe au moment décisif. Fatiguée, un peu blessée, elle a eu peur de ne pas être à la hauteur. «Elle s’est souvenue de Patty Schnyder, qui, dans les mêmes circonstances en finale de la Fed Cup 1998 Suisse - Espagne, n’aurait peut-être pas dû jouer le dernier match», dévoile Timea Bacsinszky. A l’époque, Hingis avait froidement désigné Schnyder comme responsable de la défaite. Dix-sept ans plus tard, elle acceptait humblement d’être à son tour le maillon faible. «Après notre victoire, elle était super contente, elle n’arrêtait pas de dire à quel point c’était fort.»

Depuis 2013, Martina Hingis ne joue plus que le double et le double mixte. Depuis deux ans, elle a monté une «joint-venture» à succès avec deux Indiens, Sania Mirza et Leander Paes. Pour elle, cette troisième carrière n’est que la continuité d’un seul et même parcours. Mais elle admet ne plus être tout à fait la même: «Je me rends compte que mon attitude a changé, que ma relation au sport est totalement différente. A 16 ans, je luttais contre la peur. M’entraîner avec ma mère était un stress, je n’avais pas le droit de rater. Mais elle a mis du professionnalisme dans ma désinvolture. Aujourd’hui, chaque victoire est un bonus, je n’ai rien à prouver à quiconque et je peux vivre pleinement le plaisir du jeu.»

«Le fait d’avoir coupé avec le tennis à un moment lui a fait du bien, estime Christiane Jolissaint. Elle a pu faire autre chose, et cela lui a permis ensuite de reprendre goût au tennis.»

La maturité de Martina Hingis frappe également René Stammbach, le président de Swiss Tennis, qui la connaît depuis qu’elle a 12 ans. «Martina a très vite été très mûre, mais elle possède aujourd’hui un vécu, une expérience de femme, pas seulement de joueuse, qui font qu’elle est décontractée en toute circonstance. Cela se reflète dans sa manière de jouer. J’avais été frappé de l’observer lors du double de la rencontre de Fed Cup contre l’Allemagne: il y avait quatre joueuses sur le terrain, mais elle dirigeait tout le jeu comme si les autres étaient ses marionnettes.» Son partenaire de double, l’Indien Leander Paes, fait le même constat.

«Pour moi, elle n’est pas juste une excellente joueuse de tennis. Vous écrivez tous sur la sportive, mais vous êtes en train de décrire la personne, car Martina est une championne de la vie encore plus grande. Elle s’accommode de toutes les difficultés avec une grâce extraordinaire et une facilité déconcertante. Rien ne peut l’atteindre.»

Le retour d’une petite merveille

Si Martina Hingis pratique le yoga depuis son enfance («Ma mère me forçait. Quand on est enfant, on trouve cela ennuyeux mais, aujourd’hui, c’est un recours utile.»), l’explication de sa connexion particulière avec deux joueurs indiens est plus technique que spirituelle. Les doubles sont une vraie tradition en Inde, et Mirza ainsi que Paes d’excellents joueurs qui permettent à Hingis de se maintenir au sommet.

«Elle est très professionnelle et s’entraîne avec beaucoup de sérieux, observe Christiane Jolissaint. Pourquoi est-elle revenue? Je pense qu’elle prend du plaisir, y compris du plaisir à être de nouveau la petite merveille dont on parle. Je me souviens d’avoir été invitée par le Blick à venir taper des balles avec elle quand elle n’avait que 8 ou 9 ans. Sa façon de se tenir à l’intérieur du court, sa justesse technique et son intelligence tactique, c’était déjà impressionnant. Son talent méritait un autre parcours et sa fin de carrière a été chamboulée, c’est sûr. Je ne sais pas comment elle l’a vécu, mais à travers quelques allusions, ou des non-dits, on comprend que cela a été très difficile pour elle. Normalement, avec ce genre de trajectoire, on part sur de mauvais sentiments. Elle a su revenir pour transformer son histoire en quelque chose de positif.»

La fin de l’histoire sera encore plus belle si Hingis remporte, comme elle l’espère, une médaille aux Jeux olympiques de Rio. Elle disputera le double avec sa jeune protégée Belinda Bencic (longtemps entraînée par sa mère) et le double mixte avec Roger Federer. Un vieux rêve, déjà esquissé en 2012. Cette fois, elle a sondé très en avance Federer et Wawrinka, qui a laissé la priorité du choix à son aîné. Ce sera Hingis-Federer, pour le régal des puristes. Et le prestige de la Suisse?

«Tant mieux si le pays en profite, explique René Stammbach, mais les sportifs accomplissent des exploits d’abord pour eux-mêmes.» Dans un sport aussi individuel et individualiste que le tennis, Martina Hingis a finalement trouvé son bonheur dans le partage et le collectif. 

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
Christoph Koestlin
Walter Bieri / Keystone
Timothy A. Clary / Keystone
Jacques Demarthon / AFP
Tony Feder / AP Photo
Steffen Schmidt / Keystone
Lee Jin-man / Keystone
Walter Bieri  / Keystone
Michel Dufour / WireImage
Joe Castro / EPA
Rubrique Une: 
Pagination: 
Pagination masquée
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

Etudes de lettres, fabrique à chômeurs?

$
0
0
Jeudi, 7 Juillet, 2016 - 06:00

Alors que nombreux sont ceux qui prétendent que les filières en sciences humaines n’auraient aucun débouché si ce n’est le chômage, des études statistiques démontrent tout le contraire. S’il est un enseignement en phase avec les réalités du XXIe siècle, c’est bien les lettres!

En Suisse et ailleurs, nombreuses sont les voix qui remettent en question les formations en sciences humaines qui ne mèneraient à rien d’autre qu’au chômage.

Que nenni! Les humanités se défendent et démontrent leur utilité au travers d’études et de statistiques. Ainsi, la Faculté de philosophie, arts et lettres de l’Université catholique de Louvain a réalisé il y a peu une enquête de nature scientifique qui corrobore les résultats que l’Université d’Oxford a recueillis sur le devenir professionnel de ses diplômés. Première observation, 90% des diplômés ont un emploi. Seconde observation, la diversité des emplois occupés par les diplômés ès lettres.

Si 40% d’entre eux ont versé dans l’enseignement, 60% sont actifs dans le secteur socioculturel, la publicité et les médias, les institutions internationales, la traduction et l’interprétation, la recherche scientifique, le management et la finance, les nouvelles technologies, le secteur de l’édition et les librairies, les musées, les différentes formes d’administration, les banques et les assurances, le tourisme, la gestion du personnel, le secteur associatif, etc.

S’il est une formation en phase avec les réalités du XXIe siècle, c’est donc bien les lettres. Mais pourquoi?

L’étude belge démontre la forte capacité d’adaptation des personnes formées au sein de cette filière, un paramètre devenu essentiel. Jugées également stratégiques et particulièrement spécifiques aux humanités, la capacité de gérer de manière autonome son travail, l’analyse critique, la compétence rédactionnelle et l’ouverture sur le monde acquise, notamment, au travers de la maîtrise de langues étrangères.

Enfin, selon les auteurs de cette étude belge mais également de l’avis de différents chercheurs anglais et américains, la puissance créatrice, génératrice d’innovations, qu’engendre la filière des lettres constitue un atout capital non seulement pour les diplômés eux-mêmes, mais surtout pour l’ensemble de la société.

L’Association of American Colleges and Universities va encore plus loin en signalant dans son rapport 2015 que 74% des employeurs conseillent aux jeunes gens une formation universitaire en philosophie, arts et lettres comme étant le meilleur moyen de se préparer à l’économie globale actuelle.

Ce constat est largement corroboré en Suisse par l’Office fédéral des statistiques dont les chiffres indiquent que, en 2015, le taux de chômage des anciens étudiants des sciences humaines et sociales (humanités), cinq ans après l’obtention de leur diplôme, est plus bas (2,8%) que celui des diplômés en sciences exactes et naturelles (3,8%). Le président de la Conférence des recteurs des universités suisses, Antonio Loprieno, rappelait également, il y a quelques mois, que le profil des étudiants en humanités leur permet une grande flexibilité et est une source d’innovations importantes.

Pourtant, malgré ces conclusions auxquelles parviennent de multiples et différentes analyses, la part de l’enveloppe budgétaire du Fonds national suisse de la recherche réservée aux sciences humaines et sociales reste bien faible, une délicatesse concédée difficilement. Quel regrettable manque de clairvoyance!

Retrouvez les billets de Christophe Vuilleumier dans son blog Les paradigmes du temps

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
Rubrique Une: 
Auteur: 
Pagination: 
Pagination masquée
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

Un notaire suisse sème la pagaille à Barcelone

$
0
0
Jeudi, 14 Juillet, 2016 - 05:48

Marie Maurisse

Enquête. Le riche Julio Muñoz Ramonet a légué il y a des années des palais, jardins et œuvres d’art à la ville catalane. Mais son testament est aujourd’hui remis en question par un notaire grison.

Des lettres, le notaire Romano Kunz en rédige des dizaines par mois depuis son bureau de Coire, dans les Grisons. Mais celle qu’il a adressée il y a quelques semaines à la maire de Barcelone, Ada Colau, est pour le moins explosive. Il y affirme qu’une partie du patrimoine public de la ville doit passer entre des mains privées. Dans toute l’Espagne, l’affaire fait grand bruit.

Les biens concernés, dont la valeur atteindrait un montant total de 250 millions d’euros, sont un palais de la Carrer de Muntaner, un immeuble situé Carrer de l’Avenir, ainsi que plus de 700 œuvres d’art, dont La Vierge du Pilar de Francisco de Goya et L’A4nnonciation du Greco. Figurent également sur la liste des Delacroix, des Botticelli et des Rembrandt.

Des œuvres dissimulées

La missive du notaire suisse tombe d’autant plus mal que les jardins du palais de la Carrer de Muntaner, dessinés par l’architecte français Jean Claude Nicolas Forestier en 1916, ont été ouverts au public pour la première fois il y a un mois à peine. Quant à l’immeuble de la Carrer de l’Avenir, la Municipalité a prévu d’en faire une bibliothèque municipale.

Ce patrimoine majestueux appartenait à Julio Muñoz Ramonet, un homme d’affaires franquiste qui a fait fortune dans le textile. Le Catalan s’est exilé en Suisse dès 1986 afin d’échapper aux poursuites de Madrid pour fraude fiscale. Mais il connaissait bien le pays pour y posséder deux banques (la Banque suisse d’épargne et de crédit à Saint-Gall ainsi que la Banque genevoise de commerce et de crédit à Genève) et avoir été au centre d’un procès pour escroquerie à Genève, dans les années 70. La réputation de Julio Muñoz Ramonet est sulfureuse. A sa mort, en 1991, dans un hôtel de Saint-Gall, le multimillionnaire expliquait dans un testament-fleuve qu’une partie de ses biens étaient légués à la ville de Barcelone.

Mais ses quatre filles – Carmen, Isabel, Helena et Alejandra – ne l’ont pas entendu de cette oreille. Elles cachent d’abord le fameux testament, jusqu’à ce que la plainte d’un débiteur de leur père les oblige à le rendre public. Qui doit alors hériter de ces millions? Barcelone ou la famille de Ramonet? Le feuilleton judiciaire dure jusqu’en 2012, quand le Tribunal suprême d’Espagne tranche en faveur de la ville: les splendeurs appartiennent désormais au patrimoine public.

Vexé, le clan Ramonet n’accepte pas le jugement et refuse de livrer à Barcelone une partie des œuvres d’art et des toiles de maître, qui sont acheminées et dissimulées, selon El País, dans un palais à Madrid. Mais, en décidant d’envoyer cette lettre plus de quatre ans après la décision du Tribunal suprême, le notaire grison Romano Kunz, qui était par ailleurs un ami du riche Ramonet, vient de déterrer la hache de guerre. Son argument principal est que le testament en question aurait été mal traduit et que, par conséquent, son exécution «ne correspond pas à la dernière volonté» du défunt, écrit El Confidencial, citant la lettre.

Ce qui surprend, c’est que le même Romano Kunz s’était fâché avec les filles Ramonet quelques années auparavant au sujet, notamment, d’une collection de miniatures que leur père avait offerte à la ville de Coire. Kunz avait alors renoncé à son statut d’exécuteur testamentaire contre 230 000 francs, mentionne El País. Pourquoi vient-il aujourd’hui à la rescousse de ses ennemis passés? Romano Kunz n’a pas répondu à nos questions.

De son côté, la fondation privée Julio Muñoz Ramonet, qui gère depuis 1995 ce patrimoine pour le compte de la ville de Barcelone, ne se laissera pas faire. Selon Eudald Vendrell, avocat de cette fondation, la lettre du notaire grison et l’entêtement des filles Ramonet sont une «nouvelle manifestation de leur attitude visant à contourner la volonté testamentaire de leur père et d’éviter la réalisation de son legs généreux à la ville de Barcelone». 

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
DR
DR
El Greco
Rubrique Une: 
Pagination: 
Pagination masquée
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

Martine Rossel: «L’influence du psychisme sur le cancer n’est pas prouvée»

$
0
0
Jeudi, 14 Juillet, 2016 - 05:49

Interview. Trouver une explication psychologique et se battre: difficile pour le malade du cancer d’échapper à ces deux injonctions. Mais des voix s’élèvent pour dénoncer leurs effets pervers. Comme celle de la psychologue Martine Rossel.

A peine la maladie annoncée, n’importe qui se sent autorisé à vous bombarder d’interprétations sauvages puisées dans la «nébuleuse psychotruc». Au top du hit-parade: «C’est dû à un non-dit» car, comme chacun sait, le non-dit se transforme en «mal-à-dit». En deuil de sa sœur, Pascale Leroy a entendu bien mieux encore: le problème de la défunte, morte d’une tumeur au cerveau, c’est, voyez-vous, qu’elle était «une femme de tête»…

La violence des «lacâneries» ordinaires: c’est l’un des fléaux collatéraux du cancer. Dans un livre fraîchement paru*, l’éditrice parisienne la documente avec une ironie mordante et libératoire. L’auteure fait le récit de la maladie de sa sœur, raconte comment elle en a cherché le pourquoi jusqu’à friser le ridicule. Avant de se casser le nez sur l’irréductible absurdité de la vie et de la mort. Conclusion: notre problème, c’est «le refus d’admettre que nous n’avons pas les pleins pouvoirs sur nos existences».

L’autre fléau contre lequel s’insurge Pascale Leroy est la conviction que, si l’on lutte et qu’on «affronte sa maladie», on en sort victorieux. «En somme, ironise-t-elle, c’est facile de ne pas mourir, il suffit de ne pas le vouloir.» Ce propos détonnant rejoint celui du psychiatre et psycho-oncologue français Patrick Ben Soussan. Grand pourfendeur de «l’injonction à se battre», il en dénonce la conséquence perverse: la culpabilité du malade**.

Les voix de Pascale Leroy et de Patrick Ben Soussan rament à contre-courant dans un océan de convictions dominantes: le lien entre psychisme et cancer fait aujourd’hui figure de vérité acquise. Mais sur quoi repose cette certitude? Et quels sont ses effets sur les patients? Martine Rossel, coordinatrice de la Plateforme romande de psycho-oncologie, a fait le tour de la recherche sur la question. Par ailleurs, elle accompagne des patients au quotidien. Elle considère les deux livres susmentionnés comme hautement salutaires. Rencontre.

La maladie est un message que notre corps nous adresse parce que nous nous sommes coupés de nos besoins: voilà qui passe aujourd’hui pour une vérité communément admise. Est-ce particulièrement le cas face au cancer?

Oui et non. Oui, dans la mesure où, après la peste, la lèpre, la tuberculose, le cancer est aujourd’hui le grand mal qui nous tient en échec. Une maladie potentiellement mortelle, ça attise les fantasmes. Non, parce que toutes les maladies ont fait l’objet, à un moment ou à un autre, d’une interprétation qui suppose un lien de cause à effet avec le psychisme. Vous avez mal au dos? C’est bien sûr que vous en avez plein le dos. Vous souffrez d’allergie? Vous devez d’urgence vous interroger sur la toxicité de votre milieu de travail… On a longtemps fait pareil pour les brûlures gastriques («Il t’est arrivé quelque chose que tu as mal digéré»), avant de découvrir Helicobacter, une bactérie qui a fourni une explication plus terre à terre.

Le cancer aurait donc une origine psychologique: dans quelle mesure cette «théorie profane» est-elle scientifiquement étayée?

Elle ne l’est pas! La psychogenèse du cancer reste bien sûr un sujet controversé: on trouve des études isolées qui en alimentent la thèse. Mais, quand on fait la synthèse des recherches sur la question, comme dans les méta­analyses, on arrive à cette conclusion: l’influence du psychisme sur le cancer n’est pas prouvée.

Sur quoi, plus exactement, ont porté les études?

On a cherché du côté des types de personnalités, des événements existentiels traumatisants, de la dépression. Conclusion: tous cancers confondus, l’influence d’aucun de ces trois facteurs sur la maladie n’a pu être établie. Ni sur son apparition, ni sur son évolution, ni sur la survenue d’une récidive.

Les liens entre le corps et l’esprit, ce n’est pas facile à objectiver…

Tout à fait d’accord. Ces résultats ne prouvent pas de manière absolue que la relation n’existe pas. Seulement qu’elle n’a pas pu être mise en évidence.

Vous êtes à la fois infirmière et psychologue, vous accompagnez des malades tous les jours: quelle est votre intime conviction?

Je ne crois pas à l’influence du psychisme sur le cancer. En revanche, je constate qu’il s’agit d’une représentation sociale très puissante, d’un automatisme mental propre à notre époque. Et qu’elle engendre toutes sortes d’inconvénients qui compliquent la vie du patient. Non seulement il est malade, mais en plus il se sent coupable de l’être puisque ça vient de lui, donc qu’il aurait pu l’éviter. Ajoutez à cela les conseils délétères. Je prends l’exemple d’une personne en rémission d’un cancer à forte probabilité de récidive: l’encourager à se mettre à son compte pour échapper à un milieu de travail toxique, c’est pour le moins irresponsable!

Et l’injonction à se battre, vous l’observez dans votre pratique?

Oui, et cela me met en colère: les malades sont sous pression de l’optimisme obligatoire. Il faut être positif et se battre, parce que «le moral, c’est 50% de la guérison». Quand on est au fond du trou d’une chimiothérapie, terrassé par la lourdeur des traitements, se dire qu’on n’est pas assez combatif, ça rajoute au mal-être. On a l’impression qu’on ne fait pas ce qu’il faut, qu’on laisse en quelque sorte la porte ouverte au mal.

Ces «théories profanes» n’influencent pas seulement le malade et ses proches, mais également le personnel soignant: davantage les infirmiers ou les médecins?

La conviction que le cancer suit un événement traumatique est très ancrée dans le personnel infirmier. Les médecins sont un peu moins portés sur les interprétations sauvages. En revanche, ils partagent une forte croyance dans les vertus de la volonté. «Le moral, c’est 50% de la guérison», je l’entends aussi dans leur bouche.

Toute la psychosomatique est fondée sur l’idée d’un lien entre psychisme et maladie. Faut-il la balayer d’un revers de main?

On ne peut pas ignorer ce que cette théorie a apporté, même si elle ne répond pas rigoureusement aux critères de définition d’une science. Ce qui est surtout frappant, c’est l’engouement dont elle a fait l’objet dans les années 1970 et 1980, puis ses retombées sous forme de vérité acquise, relayée par une multitude d’ouvrages de développement personnel plus ou moins délirants. J’ai vu une patiente partir en quête de son secret de famille, parce que le secret de famille, c’est LA cause du cancer du sein, avait-elle cru comprendre en lisant David Servan-Schreiber. Une autre avait lu quelque part que ce même cancer est celui de la femme soumise.

Ou encore que les causes sont différentes pour le sein gauche ou le sein droit… Le psychologue social Serge Moscovici a bien montré comment, lorsqu’une théorie scientifique se diffuse dans le corps social, elle engendre toutes sortes de croyances qui dénaturent le propos d’origine. Et peu importe si la recherche les dément: le discours d’une personne célèbre a mille fois plus d’impact que n’importe quelle étude scientifique.

Malgré tout son optimisme et ses recettes anticancer, David Servan-Schreiber est mort…

«Oui, mais s’il n’avait pas fait tout ça il serait mort bien avant», disent ses adeptes. Les personnes qui veulent croire ont une grande faculté d’adaptation. Et elles ne tiennent pas compte des contre-exemples. J’en ai malheureusement vu beaucoup. Cette jeune femme, par exemple, supercombative, dotée d’une énergie incroyable, morte sept semaines après le diagnostic.

Mais si la foi fait vivre, quel mal y a-t-il à croire?

Aucun mal. Je ne me permets d’ailleurs pas d’ébranler les convictions des patients que j’accompagne, de quel droit le ferais-je? Là où ça se complique, c’est quand j’entends: «Si je récidive, c’est que j’ai fait faux quelque part.» Ou alors: «J’ai une hygiène de vie irréprochable et j’ai quand même un cancer, pourquoi?»

Pourquoi cette obsession du pourquoi? L’inexplicable nous est devenu insupportable?

Nous avons perdu la conscience de l’absurde, Camus est bien loin. Nous vivons dans des sociétés orientées contrôle et gestion. Nous entretenons l’illusion de la toute-puissance.

Avant, la maladie était une épreuve envoyée par Dieu. Nous sommes devenus nos propres dieux?

Peut-être. Mais notez que la culpabilité face à la maladie nous ramène à notre vieux fond judéo-chrétien.

La psychologie est tout de même utile face au cancer, puisque la psycho-oncologie existe: en quoi consiste-t-elle?

Elle s’est développée dans les années 1980 et s’intéresse aux conséquences psychiques du cancer avec la question: comment aider? Comment accompagner les patients dans la crise existentielle majeure qu’ils traversent? Comment trouver les meilleurs ajustements face aux traitements? Aujourd’hui, il y a des psycho-oncologues dans tous les hôpitaux publics en Suisse. Côté privé, en revanche, la clinique de La Source, où je travaille, est la seule à la ronde à disposer d’un psychologue attaché.

De quoi a besoin une personne atteinte du cancer?

D’être écoutée. De pouvoir dire comment elle voit les choses, pour que l’accompagnement puisse être ajusté au mieux. C’est ce qui est frappant avec les interprétations psychologisantes et les encouragements à se battre: ce sont des discours qui pleuvent sur le malade sans qu’il ait rien demandé. On parle à sa place, on lui dit comment il doit vivre sa maladie. Notez, la plupart des malades ont tellement entendu «Il faut vous battre» qu’ils ont complètement intégré ce discours. C’est ce qui leur complique la vie.

Dire à quelqu’un «Tu vas guérir, j’en suis sûr», c’est un message bienveillant et encourageant, non?

Pas forcément. Si vous êtes rongé par une saloperie immonde et que vous entendez «On va y arriver», vous pouvez aussi avoir l’impression de n’être pas du tout compris. D’ailleurs, se battre, ça veut dire quoi? J’ai demandé aux patients. Ils répondent: je ne vois pas ce que je peux faire de plus que me plier au traitement. 

* Pascale Leroy: «Cancer et boule de gomme», Robert Laffont, 175 p.
** Patrick Ben Soussan: «Le cancer est un combat», Erès, coll. «Même pas vrai», 2004.  

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
Von Arx Myriam
Rubrique Une: 
Auteur: 
Pagination: 
Pagination masquée
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

Des réfugiés débarquent en Italie grâce aux couloirs humanitaires

$
0
0
Jeudi, 14 Juillet, 2016 - 05:52

Antonino Galofaro

Reportage. Depuis le début de l’année, 281 Syriens sont arrivés légalement en Italie grâce à des couloirs humanitaires entre Beyrouth et Rome. Ils essaient aujourd’hui de s’intégrer à l’aide d’organisations religieuses. Rencontre.

Abdel Ghani a les traits tirés, ce jeudi matin. Il vient d’atterrir à Rome après quatre années passées au Liban, après avoir fui la guerre en Syrie. Ses yeux sont cernés, sa voix tremble, mais il tient à remercier ceux qui ont rendu possible son exil. Une centaine de personnes sont réunies à Fiumicino, l’aéroport de la capitale italienne, pour l’accueillir, lui, sa femme, ses trois enfants ainsi que 76 autres Syriens.

Ils sont arrivés légalement grâce à des couloirs humanitaires mis en place par l’Italie. Ce n’est pas le cas des 70 930 autres personnes débarquées dans les six premiers mois de 2016 sur les
côtes italiennes, selon un chiffre du Ministère italien de l’intérieur. Au total, la Péninsule a vu affluer sur son sol 153 000 migrants en 2015 et 170 000 en 2014. Sur cette période, plus de 10 000 personnes ont perdu la vie en tentant de traverser la Méditerranée. «C’est un nombre aussi élevé qu’entre 1988 et cette période», s’emporte Daniela Pompei.

Elle est la responsable des services aux immigrés au sein de la Communauté de Sant’Egidio, une puissante organisation catholique italienne. Pour mettre un terme aux innombrables morts en mer, Sant’Egidio s’est associée aux Eglises évangéliques italiennes pour créer un chemin sûr. Un protocole d’entente signé le 15 décembre 2015 avec le gouvernement italien a permis la naissance de couloirs humanitaires.

Le projet prévoit l’arrivée en Italie d’un millier de personnes sur deux ans. Il veut permettre aux victimes de guerres ou de pauvreté de pouvoir se rendre sur le continent européen «en toute sécurité et légalement, sans risquer leur propre vie». Les réfugiés arrivés ce 16 juin viennent s’ajouter à 200 autres personnes parvenues en Italie grâce aux premiers couloirs humanitaires des mois de février et de mai. L’opération est financée par les organisations, qui dépensent 20 euros par jour et par personne. Elles espèrent ouvrir d’ici à l’automne des couloirs avec le Maroc et l’Ethiopie.

Ce jeudi 16 juin, une cérémonie d’accueil est organisée dans le hall d’embarquement du terminal 5, fermé pour l’occasion. Des volontaires ont apporté des fleurs, des réfugiés arrivés plus tôt dans l’année tiennent des banderoles. Ils y ont inscrit en couleur «Bienvenue en Italie», en italien et en arabe. Au milieu de la foule, Abdel Ghani, un ancien commerçant syrien, raconte son histoire. Il est originaire de Homs, dans l’ouest de la Syrie. Son fils étant atteint d’une maladie chronique des reins, il a décidé de fuir la guerre. A Beyrouth, il entend parler des couloirs humanitaires. Après vérification de son histoire, la Communauté de Sant’Egidio lui permet de s’envoler pour l’Italie avec sa famille.

«Nous avons tout abandonné, relate-t-il. Dans l’avion, c’était très difficile, car nous ne savions pas du tout ce qui nous attendait. Mais tout est devenu facile quand nous avons vu l’accueil que l’on nous a réservé.»

Les membres de cette famille font partie des personnes «vulnérables» retenues par les promoteurs des couloirs humanitaires. Ces derniers assurent appliquer les mêmes critères de sélection que le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et l’Union européenne. «Les familles avec des enfants, les femmes seules, les personnes âgées, malades ou handicapées» sont autant de cas en situation de vulnérabilité.

Des membres de l’organisation catholique se rendent régulièrement au Liban pour des missions de plusieurs mois. Ils vérifient l’histoire des personnes qui leur sont signalées, puis les suivent jusqu’à leur arrivée en Italie. Rome n’est qu’une étape. Une fois débarqués, les réfugiés sont disséminés à travers toute la Péninsule selon les propositions d’accueil que reçoit Sant’Egidio. Ils sont aujourd’hui logés à Rome, Turin, Milan, Lucca ou encore Bari. Et même sur l’île d’Ischia, au large de Naples. Ils sont pour la plupart accueillis par des instituts religieux ou par des diocèses.

Mais où que se trouvent les réfugiés, leur parcours d’intégration doit être le même partout, exige Sant’Egidio. «Ils se rendent très vite à la préfecture pour déposer leur demande d’asile politique», détaille Daniela Pompei. Vu les profils choisis, «il y a peu de chances que leur demande soit refusée, poursuit-elle. Toutes les institutions ont connaissance de notre projet, ce qui accélère beaucoup les procédures.»

La deuxième priorité pour la communauté est l’apprentissage de la langue. Deux jours seulement après leur arrivée, les Syriens logés dans la capitale italienne se retrouvent dans l’école de Sant’Egidio, dans le quartier central de Trastevere. L’établissement est caché derrière une imposante grille métallique, au détour de ruelles typiquement romaines.

Suivi psychologique

Cristina est originaire d’Alep, dans le nord-ouest syrien. En Italie avec son mari depuis vingt-six ans, elle accompagne sa sœur Zuhur, arrivée de Beyrouth le 16 juin, à son premier cours d’italien. Cristina ne réussit pas à contenir son sourire, trop heureuse d’avoir retrouvé sa sœur après qu’elle a fui la guerre il y a trois mois. Bien qu’elle parle parfaitement l’italien, elle tient à assister elle aussi à la leçon.

Dans une classe de moins d’une vingtaine de personnes, Walter, le professeur, se présente et serre la main de chacun de ses élèves. Le cours du jour durera deux heures et posera les premières bases. Les nouveaux étudiants apprennent à dire comment ils s’appellent, d’où ils viennent et s’ils sont un homme ou une femme. Walter, malicieux, demande à une jeune fille du premier rang si elle est un garçon. Confrontée à la première difficulté du jour, la négation, elle est incapable de répondre. Le professeur explique, la classe éclate de rire.

Les réfugiés profitent ici de la bonne humeur de leur professeur. Mais les difficultés qu’ils rencontrent en dehors de ce havre de paix sont réelles. Si, du point de vue administratif, tout fonctionne, ce n’est pas le cas sur le plan émotionnel. Découragement ou dépression touchent parfois les nouveaux arrivés. «Ils sont tous suivis, affirme Daniela Pompei. Ce qu’ils veulent, c’est reprendre simplement une vie normale.»

Un exemple pour l’europe

Certains d’entre eux, arrivés en février, ont été inscrits à des formations professionnelles afin qu’ils puissent trouver du travail. Ceux qui étudiaient pourront retourner à l’université une fois qu’ils parleront l’italien. L’intégration de ce premier groupe se déroule bien, assure-t-on à Sant’Egidio. Yasmine et Suliman Al Hourani, avec leurs enfants de 4 et 7 ans, se déplacent désormais dans la capitale de façon autonome. D’ici peu, ils emménageront avec une autre famille dans un appartement du centre. Souffrant d’une tumeur à l’œil, Falak, leur fille aînée, a été opérée quelques jours seulement après son arrivée en Italie, en février. Son suivi occupe le quotidien de ses parents depuis qu’ils sont à Rome. Leur fils Hussein a pu intégrer l’école maternelle.

Les promoteurs des couloirs humanitaires souhaitent qu’ils soient un exemple pour toute l’Europe. Ils les ont présentés devant le Parlement européen fin juin. Et le pape, rentrant le 16 avril de Lesbos, en Grèce, avec douze réfugiés à bord de son avion, reste la meilleure vitrine de leur projet. Comme pour Abdel Ghani et ses proches, ces deux familles n’ont pas réussi à contenir leur émotion en arrivant un samedi soir de printemps devant le centre d’accueil de la Communauté de Sant’Egidio, à Rome, accueillis eux aussi avec des fleurs et des chants d’autres réfugiés. 


Bientôt en Suisse aussi?

Intéressé par l’expérience italienne, le conseiller national Carlo Sommaruga a déposé une motion demandant au Conseil fédéral d’ouvrir des corridors humanitaires pour les demandeurs d’asile les plus vulnérables.

C’était en mai 2015 à Augusta, le port de Syracuse, en Sicile. Présidée par le Genevois Carlo Sommaruga, la Commission de politique extérieure du Conseil national assiste au débarquement de 286 migrants sauvés en mer. Une expérience qui marque les esprits des parlementaires helvétiques.

Comment éviter ces traversées tragiques aux réfugiés les plus vulnérables, femmes enceintes, enfants, handicapés, personnes âgées? Le socialiste se dit impressionné par la solution italienne élaborée grâce à un partenariat entre l’Etat et les Eglises, notamment la Communauté de Sant’Egidio. Il a déposé, le 15 juin dernier, une motion demandant au Conseil fédéral d’ouvrir des couloirs humanitaires du même type. Son texte a reçu le soutien de socialistes, mais aussi de quelques démocrates-chrétiens et libéraux-radicaux.

Carlo Sommaruga s’emploie désormais à mobiliser les Eglises réformées et catholiques pour qu’elles s’engagent concrètement en faveur d’un tel projet, qui repose aussi sur la solidarité individuelle et permet de canaliser les élans de générosité. Il note encore que la participation de la Suisse aux efforts de relocalisation des réfugiés des contingents du HCR permet déjà des arrivées sûres. En effet, face aux tragédies à répétition en Méditerranée, qui peut vraiment soutenir qu’on en fait déjà assez?

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
Alberto Pizzoli / AFP
Max Rossi / Reuters
Eric Vandeville
Rubrique Une: 
Pagination: 
Pagination masquée
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

David Spiegelhalter: «Le risque est plus grand de mourir dans sa baignoire que sous les balles de terroristes.»

$
0
0
Jeudi, 14 Juillet, 2016 - 05:53

Propos recueillis par Maik Grossekathöfer et Guido Mingels

Interview. Les attentats de Paris et Bruxelles ont attisé les peurs au sein de la population. Les terroristes vont-ils bientôt sévir chez nous? Le statisticien britannique David Spiegelhalter, explorateur du risque, manie avec science et humour le concept de micromort, une unité de mesure bien commode.

Nous avons peur. Peut-être pas nous tous, mais pas mal d’entre nous. Une peur qui s’est insinuée dans les têtes après les attentats de Paris et de Bruxelles. L’impression que ce n’est qu’une question de temps avant que cela se produise aussi chez nous. D’ailleurs, nous passons de nouveau nos vacances dans des pays comme la Grèce plutôt qu’en Egypte, en Tunisie ou en Turquie. Mais quelle est la réalité du danger? Statisticien et analyste du risque, Sir David Spiegelhalter, 62 ans, a passé sa vie à étudier la dimension mathématique du danger. Il calcule la probabilité pour l’être humain d’être victime de violence, d’un accident ou d’une maladie.

Pour venir chez vous à Cambridge, nous avons dû prendre le métro, le train, l’avion, le taxi. Quelle a été la probabilité que nous succombions?

Une sur un million. Telle est en tout cas la probabilité que vous soyez morts demain soir. C’est le risque moyen pour un adulte en Europe de l’Ouest. Voyons maintenant si les facteurs de risque liés à votre voyage y changent quelque chose. Commençons par l’avion. Le transport aérien est exceptionnellement sûr et la récente disparition d’un appareil d’Egyptair n’y change rien: pour une probabilité de mort d’un sur un million, vous devriez voler durant dix-huit heures, soit 12 000 kilomètres.

Le train est encore plus sûr, vous pouvez rouler 16 000 kilomètres pour le même risque. Votre véhicule le plus dangereux, et de loin, aura été le taxi: il suffit d’un trajet de 530 kilomètres pour encourir un risque sur un million de mourir. Donc, comme vous n’avez parcouru aujourd’hui que des trajets plutôt courts, votre risque de casser votre pipe n’a été guère plus élevé que si vous étiez restés à la maison.

C’est rassurant. Quels sont les plus grands risques dans la vie quotidienne?

Le trafic routier reste le plus dangereux, quand bien même il l’est beaucoup moins qu’il y a trente ans. Mais tout tient au moyen de déplacement: il suffit de faire 10 kilomètres à moto, 40 kilomètres à vélo ou 43 kilomètres à pied pour atteindre une micromort.

Une microquoi?

Une micromort. C’est une unité de mesure très commode qui a été inventée en 1980 par Ronald Howard, le spécialiste américain en analyse des décisions. La micromort désigne précisément la probabilité d’un sur un million qu’on a de mourir. Exemple, vous jouez à la roulette russe avec une pièce de monnaie, selon la règle suivante: vous lancez la pièce vingt fois et ce n’est que si la pièce affiche vingt fois le côté face que vous devez vous tirer une balle dans la tête. Cela représente exactement la probabilité d’un sur un million.

Cela paraît hautement improbable.

Et ça l’est. C’est de la pure mathématique: deux fois deux fois deux, etc. jusqu’à 220 représente à peu près un million. Aux Etats-Unis, la probabilité de micromort est plus élevée, de 1,3, parce qu’on y dénombre plus de meurtres et d’accidents de voiture. Le concept permet de rendre les risques mesurables et de les comparer entre eux: le risque de mourir au cours d’un marathon est de sept micromorts, en plongée sous-marine de cinq micromorts, en un week-end de ski d’une micromort et demie. Avaler une pilule d’ecstasy, c’est une demi-micromort.

On dit que la probabilité d’être touché par la foudre est plus grande que celle de mourir dans un attentat. C’est vrai?

Cela dépend du lieu où vous habitez. Pour des raisons climatiques, la comparaison avec la foudre ne fonctionne pas partout. En Angleterre, moins de cinq personnes sont tuées chaque année par la foudre; aux Etats-Unis, on en compte environ cinquante. Mais il y a, à coup sûr, plus de gens qui meurent dans leur salle de bain que sous les balles des terroristes. Reste que ce genre de comparaison ne rime à rien.

Pour quelle raison?

L’année dernière, des terroristes ont tué 147 personnes à Paris. La France compte 66 millions d’habitants. Pour l’individu, la probabilité de mourir dans un attentat était donc de deux micromorts. C’est très peu: dix-neuf lancers de pièce de monnaie au lieu de vingt avec le côté face qui apparaît. Mais ce n’est qu’un chiffre dénué de tout sentiment. Le danger réel et le danger ressenti sont deux choses complètement différentes.

Depuis les attentats de Paris et de Bruxelles, plein de gens ne se demandent plus si, mais quand une bombe explosera sous leurs fenêtres.

C’est assez compréhensible. Le terrorisme est un danger incontrôlable. En 2005, après les attentats du métro de Londres, qui ont fait 56 victimes, j’ai été très ébranlé comme beaucoup de mes compatriotes. Ni moi ni aucun de mes proches n’avons été touchés, mais j’étais en colère parce que j’ai la conviction que ce genre d’attaque ne doit pas se produire dans notre société. Là, il ne suffit pas de dire: le même nombre de personnes meurent dans le trafic en deux semaines. L’indignation ne met pas seulement les gens en colère, ils perdent aussi confiance dans leur sécurité.

Et cette peur est précisément l’objectif du terrorisme.

Exactement. Les terroristes se fichent des gens qu’ils tuent, car ces derniers ne sont qu’un moyen de désécuriser une société. C’est très malin. Cela dit, ce serait une erreur fatale de ne plus prendre le métro après des attentats comme ceux de Londres et de Bruxelles.

Pourquoi?

Lorsque, par trouille du terrorisme, on choisit de rouler en voiture ou à vélo, on accroît sensiblement son risque personnel. Mon collègue allemand Gerd Gigerenzer l’a montré dans une étude qui a fait du bruit: en 2001, après les attentats du 11 septembre à New York, beaucoup d’Américains n’ont plus voulu prendre l’avion et ont recouru à la voiture. Et l’année suivante, on a dénombré 1600 tués de plus sur les routes.

Des médias ont publié des cartes des régions touristiques à éviter. Iriez-vous en vacances en Tunisie, en Egypte ou en Turquie?

Je n’aime pas la plage. Mais oui, j’irais. Il y a sans doute plus de risque au centre des villes de Paris, de Londres ou d’Istanbul, mais on reste à un niveau extrêmement bas. Néanmoins, je comprends les gens qui disent: «J’irai là où je me sens le mieux», car ils réduisent ainsi la nécessité d’être prudent. Ils se trompent quant à la réalité du risque mais, émotionnellement, cela leur convient mieux.

Nous avons aussi peur des centrales nucléaires, des déchets, des rayons.

Là aussi il faut comparer. Lorsque vous volez de Londres à New York, vous vous exposez à un rayonnement de 0,07 millisievert (unité d’évaluation de l’impact des rayonnements sur l’homme, ndlr). C’est à peu près la même dose qu’à la mairie de Fukushima deux semaines après le désastre. Et c’est cent fois moins qu’une tomographie intégrale du corps, qui comporte 10 millisieverts. Or on a peur du nucléaire mais pas d’une IRM. Autrement dit, nous avons moins peur des choses dont nous comprenons l’utilité directe.

Pourquoi l’homme a-t-il tant de peine à apprécier raisonnablement les risques?

Parce que c’est compliqué. Je suis professeur, je sais résoudre mentalement une quantité de questions de maths mais, pour calculer une probabilité, j’ai besoin d’un crayon et de papier. En plus, nous jugeons plus probables des événements que nous connaissons pour les entendre rabâchés par les médias: nous surestimons le risque qu’un cambrioleur s’introduise chez nous et nous sous-estimons le risque de succomber à quelque chose d’ennuyeux comme une crise d’asthme. Nous surestimons le risque de choses que nous n’aimons pas, telle l’énergie atomique ou les antennes de téléphonie mobile, et nous sous-estimons complètement le risque de choses que nous aimons. Comme la pizza.

La pizza?

Oui. Les grands dangers qui nous menacent ne sont pas les accidents, les risques aigus, les événements soudains. Le plus grand danger est notre mode de vie au jour le jour. Les risques chroniques tels que la fumée, des aliments malsains comme la pizza ou, dans une moindre mesure, l’alcool sont les grands tueurs de notre temps. Ils sacrifient des millions d’années de vie.

Les gens devraient donc se soucier davantage de leur consommation de cigarettes et de malbouffe. Pouvez-vous quantifier le danger du tabac?


Pour évaluer les risques chroniques, j’utilise l’unité de microvie. Une microvie, c’est 30 minutes d’espérance de vie. Le tabac, la pizza au salami et trois verres de vin rouge ne nous tuent pas tout de suite mais abrègent notre existence. Une seule cigarette nous coûte 15 minutes de vie résiduelle, autrement dit une demi-microvie. Un paquet, c’est déjà dix microvies. Deux centimètres de tour de hanches excédentaires, c’est une microvie tous les jours. Si vous regardez le Concours Eurovision de la chanson à la télé au lieu de bouger, vous ne gaspillez pas que trois heures de votre vie, mais trois heures et 45 minutes. Ce sont des moyennes, bien sûr: mon père n’a jamais fait de sport ni mangé de salade, il a 93 ans et se porte bien!

Les jeunes se disent: «Si je renonce à l’alcool et aux cigarettes, je vivrai peut-être plus longtemps mais j’aurai moins de plaisir.»

Pour les jeunes, la fin de la vie est lointaine et une demi-heure de perdue ne les dérange pas plus que ça. L’idée de manger leur porridge à 110 ans dans un EMS n’est pas pour eux une perspective attrayante. Il faut donc dire les choses différemment: si tu fumes un paquet par jour, tu vieillis de 29 heures en 24 heures. Autrement dit, tu t’approches plus rapidement de l’EMS.

Il ne faut donc pas prendre de risques. N’est-ce pas mortellement ennuyeux?

Si, il faut en prendre. La disposition au risque est un élément essentiel de la vie. Il ne faut pas être imprudent, mais j’encourage les gens à oser. L’alpinisme est une activité risquée, alors que grimper jusqu’au sommet de l’Everest devient inconscient: plus de 35 000 micromorts. C’est plus dangereux qu’une opération à cœur ouvert; qu’un blitz de bombardiers durant la Seconde Guerre mondiale.

Une des craintes dominantes de nos jours concerne les enfants: ils sont surprotégés. Les parents n’aiment pas les voir jouer dehors.

Au secours! C’est justement ce que les enfants doivent faire: vivre des aventures et en tirer des leçons. Une vie sans risque n’est pas une vie. Les enfants se font mal, ils se coupent, c’est normal. La probabilité qu’un enfant ait un accident mortel ou soit kidnappé par un malade est infime, même si on lit sans cesse des histoires de ce type.

Vous avez des chiffres?

Je le dirai ainsi: dans l’ensemble de l’histoire de l’humanité, personne n’a jamais été autant en sécurité qu’un enfant de 7 ans de nos jours en Occident. Dans tous les domaines: accidents, maladies, abus.

Les enfants sont plus en sécurité que les adultes?

Un enfant de 7 ans sur 10 000 meurt avant d’atteindre l’âge de 8 ans. Ensuite, le risque de mourir augmente de 9% d’année en année. A 34 ans, le risque est d’un sur 1000. J’ai 62 ans: à mon âge, un être humain sur 100 meurt avant son prochain anniversaire. Pour moi, ce n’est pas marrant.

Vous avez évoqué la disposition au risque. Mais sans la peur, l’être humain ne serait pas devenu le mammifère dominant. L’espèce aurait disparu depuis longtemps.

Sans doute. Lorsqu’un de nos ancêtres en Afrique entendait un bruissement dans la jungle, il ne restait pas là à calculer la probabilité que ce soit le bruit du vent ou plutôt celui d’un lion en quête de son dîner. Il fuyait à toutes jambes. Bien sûr, on s’enfuit pour rien dans neuf cas sur dix. Mais ce qui est décisif, c’est que la dixième fois, quand c’est vraiment le lion qui accourt, on se soit enfui. Il peut être raisonnable de voir des risques là où il n’y en a pas. Mais, parfois, il peut aussi être plus raisonnable de combattre la peur du danger que le danger lui-même.

Que voulez-vous dire?

Pensez aux caméras de surveillance. J’ignore combien de délits elles permettent d’empêcher, sans doute très peu, mais elles confèrent aux gens un sentiment de sécurité. En Angleterre, on est filmé partout. Il est probable que les services de sécurité britanniques ont pu suivre votre voyage à Cambridge presque de bout en bout.

Qui tire profit de la peur?

Les médias. La panique stimule les tirages. Les médias attisent les peurs. Il y a des tabloïds qui ne vivent que de ça. Les médias suscitent l’indignation en parlant de l’homme décédé des suites d’une narcose lors d’une opération de routine, pas des millions de patients qui se réveillent. Il y a aussi des entreprises qui font leur beurre avec la peur: celles qui vendent des systèmes d’alarme, des armes, des logiciels de sécurité. La peur est un marché immense dont profitent aussi des partis et des mouvements politiques: les peureux sont plus enclins à se laisser séduire par leurs discours.

La peur est un sentiment puissant. Les peurs vont et viennent. Aujourd’hui, elles sont autres qu’hier, mais je pense que la somme des peurs demeure toujours à peu près la même. Quand une menace disparaît, les gens s’en cherchent une nouvelle.

© Der Spiegel
Traduction et adaptation Gian Pozzy

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
DR
Rubrique Une: 
Pagination: 
Pagination masquée
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

Point final: les Oculus Rift et Platon

$
0
0
Jeudi, 14 Juillet, 2016 - 05:55

Je n’ai pas essayé l’Oculus Rift, lancé cette année par une filiale de Facebook, ni aucun «périphérique informatique de réalité virtuelle». Mais je ne me lasse pas d’observer les personnes qui en portent. Je ne sais pas quelle réalité virtuelle ils sont en train d’explorer (les fonds marins ou la planète Saturne, qu’importe). Ce qui compte, c’est leur fragilité: ils semblent hagards et cabrent la tête en tous sens.

Leur visage est mangé par le masque, mais leurs lèvres entrouvertes dévoilent leurs dents. Soudain, leur corps exprime la peur, comme si un gouffre s’ouvrait sous leurs pieds. Magnifique révolution du virtuel: les hommes ressemblent aujourd’hui à des chevaux avec des œillères, que l’on aveugle partiellement pour mieux les diriger. Leur esprit est bridé. Victimes consentantes, ils sont livrés à des sévices dont la nature m’est encore inconnue.

Dans son essai La dictature de la transparence, paru chez Robert Laffont, l’écrivain Mazarine Pingeot revient sur le mythe de la caverne de Platon. Pour le philosophe grec, nous sommes enfermés dans une caverne et ne percevons du monde que des ombres sur les parois. Aujourd’hui, explique Pingeot, nous avons l’illusion de voir le monde objectivement, dans toute sa transparence, son immédiateté. Mais nous sommes toujours dans la caverne et les ombres de Platon ont été remplacées par les reflets aveuglants des écrans high-tech qui nous entourent. Ces écrans se rapprochent, comme des ventouses, des sangsues, les voici qui se collent à notre rétine. Immersion totale… dans la caverne de Platon. 

julien.burri@ringier.ch

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
Rubrique Une: 
Auteur: 
Pagination: 
Pagination masquée
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

Meapasculpa: Isabelle à la plage

$
0
0
Jeudi, 14 Juillet, 2016 - 05:57

C’est une grosse dame suante, boudinée dans son maillot vert, le poitrail pâle, le chapeau de travers sous le soleil de plomb. Un vrai poisson hors de l’eau, cherchant l’air, déplacée, ridicule. Je vois bien qu’elle m’adresse la parole, sur cette plage où je sieste à l’abri d’un parasol. Je la regarde avec commisération, lui répond négligemment, me replongeant illico dans mon livre. Contre toute attente, et à mon grand dam, elle continue à me parler, me demandant d’où je viens, ce que je lis. Poliment, je réponds. Elle enchaîne, et je comprends qu’elle est avocate, attachée au Tribunal des mineurs de la capitale, qu’elle a aussi écrit des romans, traduits en plusieurs langues, et que c’est pour cela qu’elle voulait savoir ce que je lisais.

Je ravale ma commisération.

J’ai été victime de la terrible inversion de valeurs de la plage.

Sur la plage, les rois marchent sans ciller, le ventre plat, pas un poil ne dépassant du bikini, la fesse haute, à l’aise dans les vagues. Ils en maîtrisent les codes, sont crédibles sous le soleil, admirables et admirés. Les autres, les hommes et les femmes ramollis, ou maigres, transpirants, se dandinant sur le sable, clairement pas dans leur élément, qu’on appelle ailleurs des intellectuels, ou des banquiers, ou des patrons, ou des hommes politiques, sont les vermisseaux de la plage.

A la plage, les rois du monde sont réduits à leur condition de simples chairs faillibles, très loin de toute notion de QI ou même de QE. Mettez Joseph Stiglitz sur une plage, ou Angela Merkel, ou Patrick Modiano, ou Marc Bonnant: il ne reste rien de Joseph Stiglitz, Angela Merkel, Me Bonnant ou Modiano. Rien que quatre pauvres créatures pâles, déplacées et vieillissantes.

Certains rois du monde – Obama, Joël Dicker, etc. – s’en sortent certainement très bien sur une plage. Mais sinon c’est l’horreur. Même sur un terrain de foot, bander ses muscles ne sert à rien sans un minimum d’intelligence de jeu. La plage se résume, elle, à une vitrine de boucher: un étalage de chairs garanties 100% sans cervelle qui n’ont aucune autre carte à jouer que celle de leur bonne, ou mauvaise mine.

Fini les signes de reconnaissance, les codes vestimentaires, le verbe convaincant, les idées. Les compétences qui comptent hors de la plage ne comptent plus sur la plage. Même la drague y est réservée aux Ken et aux Barbie. La seule fois où j’ai tenté de jouer le jeu de la plage, et accepté d’y passer l’après-midi en compagnie d’un bellâtre grec, j’avais 15 ans et j’ai fini à l’hôpital pour insolation et brûlures.

La cruauté de la plage est sans limite. Loin d’y être tous frères, tous égaux, nous nous retrouvons dominés par une poignée d’idiots bronzés imbattables au scooter des mers.

Je déteste la plage. 

isabelle.falconnier@hebdo.ch 

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
Rubrique Une: 
Auteur: 
Pagination: 
Pagination masquée
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

Croisières: Saint-Nazaire, là où naissent les géants des mers

$
0
0
Jeudi, 14 Juillet, 2016 - 05:58

Reportage. Les mythiques chantiers de Saint-Nazaire sont redevenus leader mondial de la construction de paquebots. Le carnet de commandes est plein jusqu’en 2026 et quatorze supernavires sont attendus. Visite d’un fleuron de l’industrie française où a été conçu le «Harmony of the Seas».

Interdiction de prendre des photographies. Les chantiers navals de Saint-Nazaire organisent des visites en car de leurs 110 hectares, mais protègent leurs secrets industriels. Le français tient à garder la longueur d’avance qu’il a gagnée sur ses principaux concurrents, l’italien Fincantieri et l’allemand Meyer Werft. Sur le marché, les Asiatiques sont loin derrière. Toutefois, ironie de la mondialisation, Saint-Nazaire, premier chantier du monde, appartient au groupe sud-coréen STX à hauteur de 66,66%, l’Etat français en étant actionnaire à 33,34%.

Une longue tradition

Ville d’ouvriers, et non de marins, Saint-Nazaire a vu naître les plus beaux paquebots du monde dès le XIXe siècle. Entre 1862 et 2003, 121 paquebots ont été lancés ici. L’Ile-de-France en 1927, le Normandie en 1932, le France en 1960… Mais en 1974, l’avion a définitivement gagné et les trans-atlantiques sont désarmés. Le France reste à quai, drame immortalisé par une chanson de Michel Sardou, en 1975, Ne m’appelez plus jamais France. Vendu, le seigneur des mers reprendra du service sous les couleurs de la Norvège, sous d’autres latitudes… Les chantiers de Saint-Nazaire connaissent des difficultés et se spécialisent dans la production de pétroliers.

Qui peut alors imaginer que les croisières connaîtront un nouvel âge d’or, que l’on bâtira au XXIe siècle, dans ces mêmes formes de construction et d’armement, des navires plus gigantesques encore?

La renaissance viendra du Sovereign of the Seas, lancé en 1988 pour le compte de la Royal Caribbean Cruise Line. Quarante-cinq autres paquebots suivront.

Aux abords du chantier, le visiteur aperçoit un imposant portique rouge permettant de soulever des charges de 1400 tonnes. C’est grâce à cet outil de 30 millions d’euros que Saint-Nazaire a pu redevenir le constructeur le plus performant du monde.

Le métier a changé. Dans les années 50, 10 000 ouvriers œuvraient sur le France. Aujourd’hui, on n’assiste plus à la «marée bleue», à la sortie des chantiers des ouvriers en bleu de travail. Ils sont pourtant 2600 à travailler sur quelque 110 hectares, auxquels s’ajoutent 3000 personnes sous contrat extérieur. Mais une impression de calme règne. Finies les tôles rivetées d’antan. Aujourd’hui, on soude. Souvent, d’ailleurs, ce sont des robots qui exécutent le travail. Et les plaques d’aluminium, déplacées grâce à des aimants, sont découpées au laser et à l’azote liquide.

Ce samedi de juin, on pourrait croire que les chantiers sont fermés. Pourtant, des ouvriers s’activent un peu partout, mais noyés dans ce décor gigantesque. C’est un peu comme si on construisait une ville. Deux navires sont en chantier dans la forme de construction de 1000 mètres de long. Le Meraviglia, de la compagnie italo-suisse MSC, sera lancé en 2017. Et le B34, nom de code du «sistership» du Harmony of the Seas (son frère jumeau), est prévu pour 2018.

Du premier coup de crayon jusqu’à sa livraison, le Harmony of the Seas a nécessité trois ans et demi de travail. Ce vaste puzzle ultraprécis de 500 000 pièces a été conçu par un bureau de 700 ingénieurs, puis assemblé entre mai 2014 et mai 2016. Les tôles d’acier (achetées auprès d’ArcelorMittal) ont été assemblées en «panneaux», puis en «blocs» finalisés avant d’être ajoutés au paquebot. Plus on dispose d’un portique puissant, plus on peut construire rapidement. Le Harmony a résulté de l’assemblage de 89 blocs. Alors que le chantier naval finlandais de Turku proposait de le bâtir en 160 blocs. Et cinq mois de travail supplémentaires. Pour les armateurs, chaque semaine compte; le choix était vite fait.

«Notre autre atout, par rapport aux chantiers asiatiques, c’est le réseau d’entreprises qui nous entoure. Nous sous-traitons 70% de la valeur d’un navire», explique Delphine Gledel, responsable de la communication de STX France.

Quatre milliards d’euros

La crise de 2008 a fait craindre le pire. Cette année-là, aucun paquebot n’a été commandé dans le monde. Puis, en 2012, le contrat du Harmony a relancé les chantiers. Aujourd’hui, le carnet de commandes est plein jusqu’en 2026. Quatorze paquebots seront construits ici, dont les futurs MSC de la classe World, soit quatre navires pour un montant global de 4 milliards d’euros. Fonctionnant au gaz naturel liquéfié, ils seront les plus écologiques sur le marché.

Pour Alain Bück, vice-président des ventes chez STX France, la course au gigantisme va continuer. «Techniquement, on pourrait construire des navires d’un million de mètres cubes, soit le double du Harmony, précise l’intéressé. Mais il faudrait que nous investissions dans de nouvelles cales. Aujourd’hui, nous pouvons faire un peu plus long, mais pas beaucoup plus large.»

Un bateau si grand est-il sûr? «Oui. Les règlements internationaux s’améliorent d’année en année. Ce qui s’est passé sur le Concordia a entraîné beaucoup de réflexions. Nous avons redoublé les équipements. S’il devait y avoir un envahissement d’eau dans un local de propulsion, ou un incendie, un autre local pourrait alors prendre le relais. Un seul événement ne doit pas entraîner l’arrêt du navire.» Les concepteurs multiplient également le découpage et le cloisonnement interne du bateau. «L’époque du Titanic est totalement révolue, se réjouit Alain Bück. De plus, nous avons des systèmes informatiques de management de la sécurité sans commune mesure avec ce qui existait il y a seulement dix ans.»

Inscriptions aux visites du chantier: www.saint-nazaire-tourisme.com

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
AFP Photo
Rubrique Une: 
Auteur: 
Pagination: 
Pagination masquée
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

Les Livetrotters de «L’Hebdo» sont partis!

$
0
0
Jeudi, 14 Juillet, 2016 - 05:58

Retenez leurs noms et leurs visages, vous allez les retrouver durant huit semaines dans ces pages! Les gagnants de notre concours Livetrotters, cinq jeunes reporters qui sillonneront l’Europe pendant deux mois en partenariat avec la compagnie aérienne Swiss (et le soutien de Swisscom pour les frais de roaming), se sont envolés.

Vous pouvez dès maintenant suivre leurs périples sur les réseaux sociaux ainsi que sur le site de L’Hebdo. Chaque semaine jusqu’au 7 septembre, vous lirez aussi dans ces pages le reportage de l’un d’entre eux, sélectionné par la rédaction.

Héritiers des Blogtrotters que L’Hebdo avait lancés en 2007, les Livetrotters chroniqueront leur voyage en direct, en textes, photos, dessins ou vidéos, en suivant leur fil rouge de pays en pays.
A quelques heures de leur départ, tous n’étaient pas dans le même état d’esprit… Jacqueline a fait un cauchemar à la belle étoile, au Creux-du-Van, la nuit avant son départ pour Londres. «Mais c’est bon signe, c’est parce que j’ai hâte d’y être!»

Nina a opté pour le lumbago de dernière minute, tout simplement. Elle a donc sollicité un comité d’urgence pour l’aider à régler ses dernières courses et formalités administratives. «Pour le coup, j’en connais qui seront contents de me voir partir pendant deux mois!» Première étape, Athènes, où elle travaillera dans un centre de réfugiés pour femmes et enfants non accompagnés.

Aude part sans savoir encore où elle logera. Il faut dire que, avec 12 destinations en 8 semaines, la préparation a été acrobatique. Mais pas d’inquiétude: «On est Livetrotter ou on ne l’est pas!»
Marie, qui n’envisage pas le voyage sans un minimum d’improvisation, déborde d’énergie et se lance dans une série de promesses avant son envol vers Barcelone: «Je vous promets de vous tenir au courant des nuits improvisées, des trains loupés et autres départs en catastrophe. Et je m’engage à maintenir motivation, ambition et mon plus joli sourire avec ou sans soleil dans la figure!»

Raphaël, seul garçon de la bande, oscille entre l’excitation et la crainte devant l’inconnu. Son petit défi personnel: «Je ne me laisse qu’un seul jour pour boucler ma valise!» A-t-il réussi? Réponse du spécialiste en marketing numérique et communication sur ses comptes Instagram, Facebook et YouTube… 

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
Régis Colombo
Régis Colombo
Régis Colombo
Régis Colombo
Régis Colombo
Rubrique Une: 
Auteur: 
Pagination: 
Pagination masquée
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

Quelle croisière pour vous?

$
0
0
Jeudi, 14 Juillet, 2016 - 05:59

Voyages. Comment choisir sa compagnie et son navire? L’offre est pléthorique. Voici six catégories de voyages en mer.

Exploratrice

Très demandée par les Suisses, selon Cornelia Gemperle (responsable des croisières pour le groupe Kuoni), la compagnie française Ponant séduit par ses petits yachts. Leur taille est un atout, puisque ces navires peuvent faire halte dans des ports inaccessibles aux géants des mers, comme Hvar en Croatie. Ils peuvent aussi emprunter le canal de Corinthe. Ponant est spécialisé dans les expéditions. Onze jours de voyage en Antarctique, depuis Ushuaia, vous coûteront au minimum 7832 francs suisses. Pour 1363 francs, la compagnie Hurtigruten vous fera découvrir, elle, toute la côte norvégienne et ses fjords en 11 jours. Ou l’Arctique en 15 jours, au départ de Reykjavik, dès 9259 francs.

Classique et luxueuse

Quelques navires font encore la liaison entre l’Europe et les Etats-Unis, notamment pour la compagnie Holland America Line. Mais le plus beau navire, au design de transatlantique, c’est le Queen Mary 2, lancé en 2003. Le fleuron de la mythique compagnie Cunard met 9 jours pour relier Southampton à New York, dès 1034 francs. Le navire voyage également à Hong Kong. D’autres compagnies proposent des croisières très luxueuses, notamment Hapag-Lloyd Cruises.

Son paquebot Europa 2, lancé en 2013, est un joyau de la marine. La clientèle est majoritairement allemande, suisse et autrichienne. L’Europa 2 est un 5-étoiles très sélect, avec une jauge de seulement 516 passagers, servis par 370 membres d’équipage. Il propose plusieurs itinéraires, de deux jours à trois semaines. Le billet Hambourg-Montréal (soit 21 jours, en passant par Reykjavik) est proposé dès 12 454 francs.

Fluviale

Le Rhin, le Danube, le Nil ou le Mississippi vous tentent? Cette année, 18 nouveaux navires de croisière fluviaux seront lancés, ce qui portera à 188 le nombre total de ce type de bâtiment proposé par les grandes compagnies occidentales. Parmi elles, il faut citer Phoenix Reisen, A-Rosa ou Detour. Le billet Moscou-Saint-Pétersbourg, soit 11 jours sur la Volga, s’achète dès 1764 francs chez Plantours. Plus près de nous, descendre la Seine de Paris à Honfleur est possible en 7 jours dès 1345 francs chez CroisiEurope.

Thématique

Elles sont, elles aussi, très variées, et parfois surprenantes. Des croisières culturelles avec conférenciers et philosophes sont mises sur pied par Intermèdes, première agence de voyages culturels en France, ou par la compagnie Ponant. Dans le même genre, le site www.croisieres-thematiques.fr propose d’embarquer avec Stéphane Bern et Luc Ferry pour un voyage de 8 jours sur la mer Adriatique, à bord du Costa Mediterranea (de Costa Croisières). Il vous en coûtera au minimum 990 euros.

Moins intello, on trouve, sur le même site, des propositions pour des croisières «érotiques», destinées aux «nudistes, voyeurs, exhibitionnistes, échangistes, mélangistes ou simplement célibataires à la recherche de rencontres»… Atlantis ou Pullman Sovereign organisent, elles, des croisières gays avec soirées à thème. Elles sont également prisées par certains hétéros qui disent s’y amuser comme rarement en mer…

Côté musique, vous pouvez, dès 2590  francs, voguer à bord du MS Gil Eanes avec Alain Morisod et ses Sweet People de Porto à Salamanque en 8 jours. Il y a en a pour tous les goûts. Même le groupe de heavy metal Motörhead avait lancé sa propre croisière dans les Bahamas…

Tout public

Les Suisses préfèrent, dans l’ordre, les compagnies MSC, Costa et Royal Caribbean. Mais beaucoup d’autres sociétés occupent le marché, notamment Carnival. Les prix peuvent être très attractifs pour les familles (Costa propose, par exemple, des voyages de 11 jours au départ de Savone pour moins de 1000 francs). Mais il faut vérifier si les prix couvrent les pourboires à bord, ainsi que le voyage jusqu’au port de départ (en avion ou en bus).

A voile

Star Clippers affrète d’incroyables voiliers en Asie du Sud-Est, au départ de Phuket. Ou cette croisière très variée, qui vous emmènera de Malaga à Bridgetown en passant par Tanger et San Sebastián de la Gomera. En 23 jours, vous traverserez l’océan Atlantique à bord du Star Flyer, limité à 180 passagers, pour 4308 francs. 

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
DR
DR
DR
Rubrique Une: 
Auteur: 
Pagination: 
Pagination masquée
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

Affaire Fatzer: l’Etat doit-il subsidier les Eglises?

$
0
0
Jeudi, 14 Juillet, 2016 - 05:59

Le conflit entre le Conseil synodal vaudois et plusieurs pasteurs licenciés provient du mécanisme de subsidiation. Pasteurs et prêtres sont les employés de leur Eglise, et non de l’Etat.

Après vingt-trois jours, le pasteur Daniel Fatzer vient d’interrompre sa grève de la faim, sans avoir obtenu la réintégration des pasteurs licenciés par le Conseil synodal, à commencer par lui-même. Tout en se gardant de s’immiscer et de trancher dans un conflit interne à une Eglise – à laquelle je n’appartiens pas –, on peut saisir cette occasion pour réfléchir aux rapports entre l’Etat de Vaud et les Eglises. Quelle est la raison qui justifie le subside accordé par le pouvoir politique à une organisation religieuse?

La coutume sans doute. Mais cette habitude tombe en déshérence. Eglises et temples sont de moins en moins fréquentés. Il suffirait de temporiser dans la situation actuelle pour entrevoir un temps où les fidèles constitueront une si petite minorité que l’Etat n’y prêtera même plus attention. Dans ce canton de Vaud, il y a plus de citoyens sans appartenance religieuse que de fidèles dans l’EERV.

L’Etat verse 60 millions de francs en 2014 aux Eglises réformée et catholique vaudoises, qui se les répartissent. Une somme qui représente moins de 0,7% du budget de l’Etat. Avec 34,5 millions de francs, l’EERV couvre notamment les salaires des ministres et la formation. Le canton est propriétaire des cures. Et les communes entretiennent leurs églises. Ainsi, l’Etat assure la tradition de ces institutions, tout comme il maintient l’existence de théâtres, d’orchestres, de musées.

Au regard de la loi, les Eglises remplissent une fonction sociale en perpétuant une tradition spirituelle qui soutient maintes personnes en difficulté. Bien évidemment, cette activité d’ordre culturel ne peut s’exercer sous le contrôle de l’Etat. Les ministres du culte, comme les écrivains, les journalistes, les enseignants, jouissent de la liberté de parole. Même si celle-ci n’est pas absolue, ses limites sont très larges.

Le conflit entre le Conseil synodal et plusieurs pasteurs licenciés provient du mécanisme de subsidiation. Les pasteurs et les prêtres sont les employés de leur Eglise et non de l’Etat. Jusqu’en 2007, les pasteurs dépendaient directement de l’Etat. Depuis, celui qui paie est devenu le maître. Autant l’Etat se gardait comme de la peste d’intervenir dans la prise de parole des ministres du culte, autant les organes dirigeants des Eglises sont tentés de le faire. Il faut d’urgence revenir au statut d’avant 2007. Les subsides consentis aux Eglises n’ont pas pour but de permettre une censure interne.

En effet, la Réforme a surgi précisément comme refus du centralisme romain. La multiplicité des Eglises réformées et l’absence d’un double du pape permettent une diversité et une liberté qui devraient caractériser les chrétiens. Ils ne vivent pas tous dans les mêmes conditions, ils n’ont pas tous les mêmes traditions, ils disposent de conceptions du monde différentes. La foi religieuse ne peut se transmettre qu’en s’adaptant à cette divergence culturelle. C’est bien la tâche que s’étaient attribuée les pasteurs de l’église Saint-Laurent, à Lausanne: aller vers les gens pour les rencontrer là où ils se trouvent et non pas là où l’on suppose qu’ils devraient être.

L’Eglise catholique– dont je suis – a grand besoin d’Eglises réformées pour encourager sa rénovation. Ainsi, en instituant des femmes pasteurs, le protestantisme a démontré qu’il est concevable et souhaitable de consacrer des femmes prêtres. De même, en utilisant les langues vernaculaires plutôt que le latin, la Réforme a entraîné le même mouvement pour l’Eglise catholique.

A l’invitation des pasteurs de Saint-Laurent, j’ai pu animer un culte dont j’avais choisi les lectures parmi l’œuvre des écrivains de langue française, plus accessibles, plus parlants, plus proches de nous que le prophète Isaïe ou l’apôtre Paul. Cela ne m’avait jamais été proposé auparavant. Ce qui vient de se passer me fait craindre que cela ne se passera plus jamais. Et qu’un jour l’objet du litige lui-même, le salaire d’un pasteur transitant par une caisse synodale, deviendra obsolète. 

Retrouvez les billets de Jacques Neirynck dans son blog

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
Rubrique Une: 
Auteur: 
Pagination: 
Pagination masquée
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

Les feux d’artifice qui font pschitt

$
0
0
Jeudi, 14 Juillet, 2016 - 05:59

Les bruits d’explosion générés par les feux d’artifice font peur aux animaux, désorientent les oiseaux et agressent les oreilles sensibles des enfants. Cela a encouragé une série de spécialistes à lancer des feux d’artifice silencieux.

Epic Fireworks et Fantastic Fireworks, deux sociétés sises au Royaume-Uni, proposent tout un assortiment de fusées qui ne produisent qu’un léger bruissement quand elles explosent. 

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
Rubrique Une: 
Auteur: 
Pagination: 
Pagination masquée
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

Staccato: suer en vitrine

$
0
0
Jeudi, 14 Juillet, 2016 - 05:59

Cliente abandonnée cherche nouveau centre de fitness. Je ne suis pas trop inquiète. Ce n’est pas comme si je cherchais, que sais-je, une mercerie (tu rêves). Un cinéma indépendant (t’es gauchiste, ou quoi?). Une papeterie (attends, mais si, il en reste une…). Même un boucher, ça devient critique.

Non, un centre de fitness, je vais trouver. J’ai même commencé à chercher: rien qu’autour de la gare de Lausanne, où je m’entraîne actuellement, il y en a trois flambant neufs. N’empêche, je me heurte à des mystères.

D’abord, je constate qu’il me sera très difficile d’échapper, à des degrés divers, à l’une et/ou à l’autre de ces nuisances: 1) une musique super cheap à coin qui me plonge dans la neurasthénie après trois minutes; 2) l’exposition de mes exploits sur engin de torture à la vue des nombreux passants du quartier.

Passons sur la question de la raréfaction du silence, qui mérite un traitement en soi. Parlons de l’aménagement en vitrine sur rue, qui gagne les fitness après avoir conquis les salons de coiffure: comment peut-on avoir envie de s’offrir en spectacle pendant qu’on sue tout rouge pour faire chauffer ses adducteurs? C’est à peine moins incompréhensible pour moi que d’accepter de se montrer assise dans le fauteuil à Paris Match avec de la teinture sur le crâne. Pour faire preuve de narcissisme, ne faut-il pas au moins se trouver BEAU?

Le centre où je m’entraîne actuellement, vous l’aurez compris, m’épargne ces inconvénients. Pas de sono, pas de sauna, pas de débardeurs fluos, pas d’écrans télé. Les coachs n’exhibent pas leurs biscoteaux pour la démo et, du coup, les djeunes adeptes de la gonflette vont ailleurs. Restent les quadras et plus, autant dire le créneau d’avenir: esthétiquement pas canon, mais économiquement sexy.

Le centre ferme parce que la gare de Lausanne, où il est situé, va entrer en travaux et que les propriétaires de la chaîne renoncent à trouver un autre emplacement. C’est une aberration commerciale, mais les propriétaires sont Zurichois et la Suisse romande, c’est loin.

La cliente abandonnée que je suis cherche donc un endroit où s’entraîner sans avoir à mettre des boules Quies et sans faire peur aux enfants qui passent. Ne me dites pas que je suis trop minoritaire pour être intéressante, je ne vous crois pas. Je crois plutôt que jusque dans les choix stratégiques d’entreprise, le désir d’être jeune et dans le coup ternit la lucidité.

anna.lietti@hebdo.ch/ @AnnaLietti

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
Rubrique Une: 
Auteur: 
Pagination: 
Pagination masquée
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

Croisières: et vogue le navire

$
0
0
Jeudi, 14 Juillet, 2016 - 06:00

Reportage. «L’Hebdo» était à bord du plus grand paquebot du monde, le «Harmony of the Seas», pour son voyage inaugural. Immersion dans le ventre du géant des mers et portrait d’un marché de la croisière en pleine expansion; 150 000 Suisses choisissent ce type de vacances chaque  année, ce qui fait de notre pays l’un des champions européens en la matière.

On ne voit que lui dans le port de Barcelone. De près, c’est une muraille de 17 étages, haute de 70 mètres, une pièce montée trop riche. Le Harmony of the Seas, de la compagnie américano-norvégienne Royal Caribbean, fait 362 mètres de long et cinq fois le volume du Titanic. Il peut transporter 6296 passagers et 2394 membres d’équipage. En quelques mots, c’est le plus grand paquebot de tous les temps.

Après le passage des portiques de sécurité et les visages austères de la police portuaire, on pose le pied dans la Promenade royale. Une rue pavée, au cœur du navire, avec ses boutiques et ses bars. Curieuse impression d’être dans un centre de vacances américain, alors que le Harmony of the Seas a été bâti en France et que ses propulseurs ont été conçus par le groupe ABB, basé en Suisse. Vous venez de franchir une frontière. Le temps d’une croisière, vous vivrez un moment privilégié, unique et exclusif. C’est ce que disent les sourires étincelants des hôtesses, parvenant à vous faire oublier que vous êtes un passager parmi des milliers d’autres.

Il est midi. La première croisière du Harmony of the Seas durera deux jours. Deux jours pour visiter le monstre avec quelque 2500 journalistes et blogueurs. Aucune escale n’est prévue, voyage de presse oblige. Le fleuron de la compagnie Royal Caribbean fera des allers et retours devant la côte espagnole. En 2016, qu’on se le dise, qu’importent Venise, Marseille ou Dubrovnik: la première destination du voyage est devenue le paquebot lui-même.

Le Harmony a coûté 1 milliard d’euros, sera exploité au minimum trente-cinq ans, mais cinq ou six années suffiront à le rentabiliser. Il naviguera en Méditerranée pendant l’été, puis rejoindra les Caraïbes en hiver. Il est le représentant le plus exubérant de toute une nouvelle génération de paquebots. Pour l’armateur, plus le bateau est gros, plus le profit est grand. C’est pourquoi la course aux records n’est pas près de s’arrêter (à condition que l’infrastructure des chantiers et des ports suive).

Tyrolienne et toboggans

Les cocktails coulent à flots, c’est la compagnie qui régale. Au Bionic Bar, deux robots les composent sous vos yeux. Un écran vous renseigne, la recette la plus demandée sur le navire, c’est Sex on the Beach, à base de cranberry et de vodka. On se dit que, tout compte fait, cela va mal finir. Qu’on va passer deux jours coincé dans cette ville flottante entouré de journalistes en état d’ébriété, plongeant tout habillés dans les 23 piscines et jacuzzis du navire, ou essayant de rejouer, à la proue, la scène emblématique du film Titanic. Mais il n’en est rien. Les visiteurs venus du monde entier se maîtrisent, les convenances sont respectées. Aucun homme à la mer n’est à déplorer.

La visite peut commencer. Ce Léviathan est plus qu’un hôtel, c’est un parc d’attractions. Il comporte un carrousel, une tyrolienne et des murs de grimpe extérieurs. Trois toboggans aquatiques. Et deux autres toboggans secs, les plus hauts du monde (sur mer), près de 46 mètres de chute tourbillonnante… On met exactement 13,6 secondes à les dévaler et c’est plutôt effrayant (cela s’appelle Ultimate Abyss). Un paquebot est un lieu «protégé». On y reste entre soi, coupé du monde. Mais, en même temps, on aime s’y faire peur.

Au minigolf, deux hommes détonnent avec le reste des passagers. L’un est en salopette blanche, l’autre en salopette rouge. Ces ingénieurs ont notamment conçu les deux simulateurs de vagues qui permettent de surfer sur le pont. Paul Tennent s’est fait une spécialité d’étudier comment «rassasier les drogués de l’adrénaline». Il est en blanc. Brendan Walker, en rouge, dirige le Thrill Laboratory, centre d’études spécialisé dans le «frisson et le fun».

Ce dernier se lance dans une explication pointue: «C’est impossible d’atteindre la vague parfaite, mais nous nous en approchons à 70%.» La Royal Caribbean, leader mondial de la croisière (plus de 8 milliards de chiffre d’affaires en 2014), mandate des experts pour écumer les parcs de loisirs du monde entier à la recherche d’idées nouvelles, plus démentes les unes que les autres.

Ici, le monde est une attraction comme une autre, que l’on vous propose de découvrir en programmant des excursions. Mais vous pourrez tout aussi bien rester à bord et vous éclater au jeu d’arcade Star Wars Battle Pod dans la salle de jeu du pont 15, sans jamais vous rendre compte que vous êtes arrivé à Naples. Un peu comme si c’était le monde qui se déplaçait autour de vous, et non l’inverse. D’ailleurs, sur cette Méditerranée calme, on ne sent pas le navire bouger. Les paquebots modernes sont devenus beaucoup plus stables grâce à des ailerons sous-marins, les stabilisateurs, qui compensent le roulis.

Tout n’est pas gratuit

A bord, le consommateur se sent libre. Il est en réalité captif. S’il peut accéder gratuitement aux buffets, il devra payer pour manger dans les nombreux restaurants à thème (japonais, moléculaire, ou sous licence de Jamie Oliver). Et s’il désire un café Starbucks plutôt que le traditionnel jus de chaussette américain, il devra aussi mettre la main au portemonnaie. Les montants sont débités de sa carte de crédit via la clé magnétique qui ouvre sa cabine. Pratique. Idem s’il fréquente le vaste spa et souhaite, par exemple, se faire blanchir les dents entre 8 heures du matin et 22 heures. Il lui en coûtera 149 dollars la demi-heure.

Les distractions, elles, sont gratuites et de haut vol: un théâtre aquatique, des comédies musicales dignes de Broadway et des shows sur patinoire. C’est réglé comme du papier à musique et conçu pour vous couper le souffle. Voici maintenant un parc avec 12 000 plantes. De nombreuses cabines donnent sur cette cour intérieure et ne voient pas la mer. Le Harmony n’est pas ouvert sur l’extérieur. Ainsi, la salle à manger principale de trois étages ne comporte pas de fenêtres. Les bijouteries de luxe, le casino, le Vintages Wine Bar ou le club de jazz non plus. Il y a trop à faire à l’intérieur pour se soucier du paysage.

Savez-vous qu’il y aurait dans le navire plus d’œuvres d’art que de tableaux exposés au Louvre? On peut même y faire de l’acupuncture et rencontrer les personnages des films Shrek. Alors, que demande le peuple?

A la fin de cette journée suroccupée survient le plus saisissant: ouvrir la porte du balcon de la cabine, sur le pont N° 6, et entendre la mer. Sublime, inhumaine, brutale. La mer. On l’avait complètement oubliée.

Après un tour à la boîte de nuit, il est déjà 2 heures du matin. Des employés nettoient le sol de la Promenade royale. La croisière n’est pas amusante pour tout le monde. Le personnel est engagé pour sept ou huit mois d’affilée, sans jours de congé. Les hommes et les femmes que nous avons interrogés œuvrent douze ou treize heures par jour. Ils sont Polonais, Roumains, Turcs, Chinois ou Brésiliens. Ils logent à deux dans des chambres sans hublot.

Chez le capitaine

Le lendemain, visite sur la passerelle de 70 mètres de long, le saint des saints. Le capitaine Gus Andersson, ce Suédois de 44 ans, et son équipe utilisent des petites manettes électroniques pour manœuvrer le monstre. Le calme des lieux est troublé par la venue d’une vingtaine de journalistes.

Qu’en est-il de la sécurité à bord? Le bâtiment dispose de 18 embarcations de sauvetage capables d’accueillir 370 personnes chacune (ce qui ne fait pourtant «que» 6660 places, a-t-on envie d’objecter). Des radeaux gonflables complètent le dispositif, qui offre une capacité 25% supérieure au nombre maximal de personnes à bord. Le Harmony est préparé à répondre aux incendies, aux voies d’eau et aux pannes de courant. Seule une brèche de 80 mètres de long lui serait fatale… (Un peu comme le Titanic, en somme?)

Le capitaine refuse de commenter le drame du Costa Concordia, de la compagnie concurrente Costa Croisières, et de révéler où se situe sa propre cabine. «C’est confidentiel, raison de sécurité.» Allusion au risque d’attentat et de prise d’otages (comme cela a été le cas sur le paquebot Achille Lauro, en 1985). Pour se prémunir contre la piraterie, les compagnies sont en contact constant avec les autorités des régions où elles naviguent. Elles évitent les zones à risques, mais tous les scénarios ont été envisagés, et l’équipage est formé, nous assure-t-on.

L’agitation des caméramans a raison de la patience du capitaine. «Qu’est-ce que cela fait de diriger un bateau de cette taille?», lui demande une journaliste. «Le Harmony n’est pas un bateau. C’est un navire, Madame», répond-il, définitif. La visite est écourtée.

Cette nuit, à 3 heures, le Harmony of the Seas aura regagné Barcelone. De bon matin, il faudra débarquer et retourner à la vie normale. De nouveaux croisiéristes investiront les lieux, après à peine quatre heures de nettoyage. L’usine à divertissements ne se repose jamais.

Le marché des croisières

Les spécialistes tablent sur 24,2 millions de passagers dans le monde en 2016. Parmi eux, 150 000 Suisses se laisseront tenter par ce type de voyage. «Proportionnellement, la Suisse est l’un des trois pays européens où les touristes partent le plus en croisière, au même niveau que l’Allemagne et la Grande-Bretagne», analyse Walter Kunz, directeur de la Fédération suisse du voyage à Zurich. Ce succès est dû à un changement profond. «Au début des années 80, les croisières avaient la réputation d’être onéreuses et luxueuses. Puis, avec les compagnies Costa et MSC, le modèle s’est décontracté. Alors qu’elles visaient principalement les 55-65 ans, les sociétés maritimes ont attiré d’autres segments d’âge. Les familles ont commencé à venir, attirées par le all inclusive.»

Pour Cornelia Gemperle, directrice du secteur croisières du groupe Kuoni, à Zurich, «il reste toutefois encore du travail à effectuer pour convaincre les Suisses, surtout les Romands. Beaucoup ont encore d’anciens clichés en tête, alors que les croisières ont complètement changé. On en trouve pour chaque public. C’est pour cela qu’il est important de consulter un agent de voyages avant de se lancer.»

Enfin, c’est à Genève qu’est basé le leader européen de la croisière, la compagnie MSC. Directrice pour le marché suisse, Sylvie Boulant explique ce qui fait la spécificité du croisiériste helvète: «Il est exigeant en termes de qualité et de service. Cela explique que nous ayons de nombreux adeptes suisses du MSC Yacht Club, conçu pour les croisiéristes qui recherchent exclusivité, intimité et liberté de choix.» Ce concept de «navire dans le navire» est un espace autonome, un club privatif à la proue qui offre un service 24 heures sur 24. Une manière subtile de réintroduire la notion de «première classe».

Suisses enthousiastes

Résultat de toutes ces adaptations: entre 2010 et 2014, le secteur a connu en Suisse une augmentation de plus de 14%. Qu’en disent les intéressés? Beaucoup ont été surpris en bien. Lucie de Palma, 49 ans, éditrice à Grandvaux (VD), a embarqué avec ses trois enfants et sa mère sur le MSC Lirica. Elle a découvert une formule idéale pour voyager en famille. «Chacun faisait ce qui lui plaisait. Ma mère était au casino, nous faisions des excursions avec les enfants, nous avions tous nos moments de liberté.» Elle recommande de se mettre dans «l’état d’esprit Club Med», et de s’amuser sans complexe, mais d’être attentif aux prix, car les pourboires sont prélevés automatiquement et alourdissent les factures.

S’est-elle fait des amis? «Il faut vous mettre dans la tête que, même s’il y a 1500 passagers avec vous, vous reverrez pendant huit jours les mêmes vingt personnes. C’est fatal. Vous changez votre horaire pour aller à la piscine? Elle sera là, la même grosse dame que vous rencontrez chaque jour, parce qu’elle aussi aura tout fait pour vous éviter. A la fin, on en riait, c’était devenu un gag!»

Alan Blackburn, lui, vit à Gland mais travaille à Genève comme directeur administratif. A 57 ans, il a treize croisières à son actif. Depuis 1986, il a vécu toute l’évolution de l’offre. Dernièrement, il a navigué sur l’un des jumeaux du Harmony, l’Oasis of the Seas. «J’ai été heureux de le découvrir, c’est une prouesse technologique. Mais, pour moi, c’est trop grand, ce n’est plus un bateau. On perd la notion de la mer!» Il préfère d’autres types de navires. La liberté, pour lui, c’est de se lever à 5 heures du matin, de vivre l’arrivée dans le port d’Athènes. Cet amoureux des croisières vous met au défi: «Ne dites pas que vous n’aimez pas. Essayez d’abord, et vous ne pourrez plus vous en passer!» 

Découvrez plus d'image du Harmony of the Seas dans notre galerie d'images.

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
©2016 Michel Verdure / www.verdurephoto.com
2016 Michel Verdure / www.verdurephoto.com
Dominique Leriche
Rubrique Une: 
Auteur: 
Pagination: 
Pagination masquée
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

Technologie contre les coups de soleil

$
0
0
Jeudi, 21 Juillet, 2016 - 05:47

Marie Sandoz

Zoom. Toujours plus d’objets promettent une protection contre les effets des rayons ultraviolets. Mais fonctionnent-ils vraiment?

Avec l’été, la tentation est grande de prendre des couleurs… Mais bien que le soleil joue un rôle bénéfique sur le psychisme, le cycle du sommeil et la consolidation osseuse, sa lumière reste dangereuse. Outre les bien nommés coups de soleil et les insolations, elle peut provoquer un vieillissement prématuré de la peau ou des cancers. Pour contrer ces risques, des produits innovants sortent dans le commerce, comme le bracelet capteur Daylong, conçu par la société suisse Galderma Spirig, qui réagit aux rayons ultraviolets (UV) et avertit son propriétaire en cas de sur exposition.

Attaché au poignet, le bracelet doit être recouvert de crème solaire en même temps que l’on s’enduit le corps. «Au fur à mesure de son exposition aux rayons ultraviolets, le bracelet change de couleur», précise Monika Vögtli, représentante de la marque. Initialement jaune, le bandeau tourne à l’orange lorsqu’il est conseillé de se remettre de la protection et vire au rose quand la dose de soleil journalière maximale est atteinte. Il est alors recommandé d’aller à l’ombre. «Nos bracelets sont adaptés aux peaux les plus sensibles et résistent à l’eau, souligne Claes Lindhal, directeur de la société suédoise Smartsun, qui commercialise un bracelet du même type. Ils doivent cependant être jetés à la fin de la journée.»

Utile, mais...

Ces produits sont-ils utiles pour cerner nos limites? Selon Olivier Gaide, responsable de la consultation de dermato-oncologie du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), «ce sont de bons outils pour se rendre compte des heures durant lesquelles le soleil est particulièrement agressif et de la durée, en réalité assez courte, durant laquelle la peau exposée ne risque rien. Mais une fois cette prise de conscience effectuée, ces gadgets ne servent plus à grand-chose.» Le spécialiste souligne cependant qu’il est parfois difficile de réaliser que notre peau brûle.

Ces bandes colorées fonctionnent alors comme une alarme: «La sensation de chaleur que procure le soleil n’est pas due aux dangereux UV mais aux infrarouges. Par vent frais ou ciel nuageux, notre perception est donc biaisée, et nous nous croyons protégés. Or c’est dans ces situations-là que sont attrapés les coups de soleil les plus sévères.»

Certains gadgets anti-coups de soleil misent même sur la technologie numérique, à l’instar des maillots de bain connectés de la société française Spinali Design. «Un capteur UV est niché dans les culottes de bain et relié à une application pour smartphone, explique son concepteur, Romain Spinali. L’utilisateur entre sur le téléphone mobile son phototype, l’indice de la crème qu’il emploie et sa localisation. Le programme effectue un calcul d’après ces éléments et un signal est alors envoyé à chaque fois qu’il faut appliquer de nouveau de la protection ou se mettre à l’ombre.»

Au sujet de ces capteurs UV, Christian Lovis, médecin-chef du service des sciences de l’information médicale aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), se montre plus nuancé. «Ils s’inscrivent dans une dynamique globale d’accroissement des informations disponibles en temps réel que je considère comme positive. Ces données permettent de mieux nous connaître et peuvent offrir des solutions. Mais la qualité de la multitude de capteurs existants est mal connue. Il est impossible de se retrouver dans la jungle des études à leur sujet, qui sont parfois peu scientifiques.»

Le spécialiste relève également la difficulté de déterminer son type de peau et le biais engendré par un capteur immergé alors que le haut du corps est hors de l’eau. «Se faire frire le dos, même avec un bracelet au poignet, c’est ridicule, lance Christian Lovis. Si les gens étaient simplement raisonnables, les coups de soleil seraient extrêmement rares.»

En définitive, pour les médecins du CHUV comme des HUG, ces objets ne remplaceront jamais le simple bon sens. 

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
Frey Thomas
Frey Thomas
Rubrique Une: 
Pagination: 
Pagination masquée
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

Grrif, la radio qui a du chien

$
0
0
Jeudi, 21 Juillet, 2016 - 05:48

Blandine Guignier

Eclairage. Alors que Couleur 3 stagne, la station jurassienne a vu ses audiences progresser de 30% en deux ans. Recette d’un succès mordant.

Un peu de sexe, pas mal d’impertinence et beaucoup de musique. Voilà les ingrédients de base de Grrif, la plus jeune des stations romandes, née en 2012 à Delémont avec pour slogan «Déchirre ta rroutine». Sa recette séduit chaque jour près de 45 000 auditeurs, qui l’écoutent sur la bande FM d’Yverdon à Boncourt et partout ailleurs en diffusion numérique.

«Une des raisons du succès de Grrif vient de son côté laboratoire, qui rappelle les débuts des stations privées», souligne Thierry Savary, directeur de Radio Fribourg et fin connaisseur du paysage radiophonique romand. Seuls trois animateurs, trois journalistes, un programmateur et un directeur d’antenne la font vivre. Et cela dans un petit open space faisant à la fois office de bureau, de cuisine et de studio.

Tout ce petit monde a reçu carte blanche de la part du propriétaire de la radio, le groupe de l’Arc jurassien BNJ dirigé par Pierre Steulet. «Au début, on a tout essayé et on s’est cassé la gueule par moments, indique le directeur d’antenne, Stève Geiser. Les critiques des auditeurs sur les réseaux sociaux, positives et négatives, nous ont beaucoup aidés à nous améliorer.» C’est cette liberté qui fait aujourd’hui la spécificité de la station: «Chacun vient avec ses envies pour faire une radio qui a du caractère.»

Sexe à l’heure du repas

Autre caractéristique du charme unique de Grrif: sa volonté d’aller à contre-courant. «Nous sommes des sales gamins, nous aimons prendre le contre-pied», résume Stève Geiser. L’exemple le plus parlant pour le directeur d’antenne est sans doute l’émission consacrée au sexe, diffusée chaque lundi à 18 heures. La lecture de textes érotiques, parfois assez crus, n’a d’ailleurs pas plu à certains parents jurassiens, dont les plaintes sont remontées jusqu’au Conseil communal de Delémont. «Personne n’avait encore programmé d’émission érotique à l’heure du souper et ça a fait jaser. Mais nous mettons beaucoup de moyens sur cette émission et nous ne voulons pas la diffuser à minuit quand personne n’écoute.»

L’impertinence des journalistes se retrouve aussi dans les interviews: «Le but n’est pas de faire plaisir à tout le monde. Si on interroge un directeur de festival de l’Arc jurassien, on va lui soumettre les critiques des visiteurs des années précédentes.»

Outre les trois tranches d’émissions quotidiennes, à 6 h 30, 11 h 30 et 16 heures, la jeune radio se démarque aussi grâce à sa programmation musicale. «L’idée est de mélanger les genres – reggae, soul, rock, hip-hop – et les époques – des années 1950 à nos jours –, et de brasser tout cela de manière harmonieuse, indique Fabrice Aeby, le programmateur. C’est une vision courante aux Etats-Unis, moins en Europe, où on propose surtout des radios thématiques, par genre de musique.» Grrif, avec sa diffusion équilibrée de tous les styles de musique, faisait ainsi figure d’ovni dans un rapport de Publicom publié en 2014 sur les radios privées suisses, qui diffusent en grande majorité de la pop.

«La programmation participe beaucoup au succès de la radio, observe Thierry Savary. Celle-ci est nettement plus ouverte que celle des radios généralistes, souvent très mainstream.» Pour le Fribourgeois, la station jurassienne deviendrait même plus pointue que Couleur 3, qui voit ses audiences stagner autour de 200 000 auditeurs selon Mediapulse, alors que Grrif a observé une augmentation de 30% de ses auditeurs en deux ans.

«Grrif a de l’avenir, elle a vraiment sa place dans le paysage romand, relève le directeur de Radio Fribourg. Par contre, d’un point de vue commercial, comme elle est très particulière, elle peut connaître des difficultés pour plaire aux annonceurs.» La radio recherche d’ailleurs d’autres sources de financement. «On réfléchit à des contributions de la part de nos auditeurs», explique Stève Geiser, avant d’ajouter avec ironie: «Ou pourquoi pas des donations d’un mécène qatari!» Mais pas question qu’il touche à l’émission érotique. 

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
Pierre Montavon
Rubrique Une: 
Pagination: 
Pagination masquée
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no
Viewing all 15989 articles
Browse latest View live