Quantcast
Channel: L'Hebdo - Société
Viewing all 15989 articles
Browse latest View live

Quelle tuile, il faut encore payer les vacances...

$
0
0
Jeudi, 21 Juillet, 2016 - 05:48

Décodage. Les départs en congé ne signifient pas seulement promesses de détente, de découvertes et de paysages fabuleux. Mais aussi sources  de tensions sur des budgets domestiques parfois bien serrés. Un Suisse sur sept ne part tout simplement pas en vacances.

Pour plus d’un couple, plus d’une famille, les promesses de détente, d’aventure, de liberté retrouvée lors des vacances se transforment en cauchemar financier: des budgets familiaux déséquilibrés par des dépenses excessives, des enthousiasmes mal maîtrisés, des imprévus. Le tourment commence même parfois bien avant les vacances, lorsque l’on se rend compte que l’on n’a tout simplement pas les moyens de partir et que la grande pause estivale se déroulera à la maison. Un Suisse sur sept n’a pas quitté son chez-soi au moins une nuit, selon les chiffres de l’Office fédéral de la statistique (OFS), et un sur cinq ne s’est pas offert au moins une semaine loin de chez lui, selon un sondage de Comparis.

Les dépenses de ceux qui peuvent cependant s’offrir au moins quelques jours hors de chez eux évoluent dans une grande stabilité depuis de nombreuses années. Elles progressent très lentement, en parallèle avec la légère hausse des revenus constatée par l’OFS. Bien sûr, elles connaissent quelques (petits) hauts et quelques bas (peu marqués) en fonction de la conjoncture. Rapportée au budget global d’un ménage, l’enveloppe des vacances reste pratiquement inchangée d’une année à l’autre.

Bien qu’il ne calcule pas spécifiquement les dépenses des vacances des Suisses, l’OFS livre des chiffres qui permettent de se faire une idée assez précise. Pour un voyage de huit jours à deux semaines, chaque résident a dépensé en moyenne 1289 francs, soit une centaine de francs par jour, selon les données pour 2014, les dernières disponibles. Mais ce chiffre recouvre des situations extrêmement diverses.

Lorsqu’il reste au pays, le Suisse dépense en moyenne la moitié – 726 francs pour un séjour de deux semaines – de ce qu’il dépense lorsqu’il se déplace à l’étranger, où la facture monte à 1526 francs. En dépit de ce surcoût, les Suisses ont accru leurs voyages hors des frontières nationales ces dernières années, mouvement qui s’est accéléré depuis que le franc fort confère un sentiment de richesse généralisé.

La proportion des budgets vacances varie assez peu selon les catégories sociales. Une personne ou une famille consacre environ 6% de son revenu aux loisirs et à la culture, dont ses vacances. Soit 3550 francs par an en moyenne auprès des catégories à faible salaire, et plus de 13 000 francs pour les privilégiés. Les dépenses spécifiquement consacrées aux vacances, comme l’hébergement, les déplacements en avion et les voyages à forfait, représentent approximativement la moitié de ces frais, donc quelque 1700 à 1800 francs par an pour un ménage modeste et plus de 6500 francs pour les mieux lotis.

Des Suisses privilégiés

Pour arriver à ces chiffres, l’OFS se livre à des enquêtes auprès d’échantillons de plusieurs milliers de personnes. Ce qui laisse une marge d’erreur appréciable de 10% environ. «Nous demandons aux gens le montant de dépenses survenues parfois plusieurs mois en arrière. Des erreurs, des oublis peuvent survenir», expose Ueli Oetliker, spécialiste des questions de revenus, de consommation et de conditions de vie à l’OFS. Qui se souvient exactement de ce qu’il a dépensé pendant ses vacances?

Les ménages se font toutefois une idée plus précise de ce qu’ils veulent pour quelques jours d’évasion. Un couple disposant de 2000 francs pour deux semaines de vacances ou une famille ayant 3000 francs (ou moins!) seront peut-être tentés de camper à la mer ou à la montagne, de louer un bungalow ou un petit appartement dans une région pas trop coûteuse, voire d’emprunter une maison de vacances appartenant à la famille ou à des amis. Des possibilités, pléthoriques en régions touristiques, existent aussi en Suisse: des auberges de jeunesse aux chèques Reka en passant par le logement chez l’habitant.

A l’autre extrémité, le couple ou le ménage disposant de moyens supérieurs ou décidés à s’offrir un voyage d’exception peuvent rêver large: du traditionnel séjour de luxe sur une île paradisiaque (les Maldives sont en faveur) à l’aventure plus engagée comme un tour dans un pays exotique (Inde, Sri Lanka, Indonésie, etc.), éloigné (Etats-Unis, Canada) ou un trek dans une région reculée comme l’Himalaya ou la cordillère des Andes.

Mais quel que soit le choix de leurs vacances et leur budget, les Suisses font figure de privilégiés. En Europe, la part de la population qui ne peut pas s’offrir une semaine de vacances est plus élevée: un Allemand sur cinq, un Britannique sur trois, deux Français et deux Espagnols sur cinq, et même deux Italiens sur trois… Seuls les Norvégiens sont mieux lotis que les Suisses: un sur dix seulement ne voyage pas. Une manière tellement simple de montrer quels pays sont prospères, et lesquels ne le sont pas.


Quelques chiffres

13,6%

Part de la population totale suisse qui ne voyage pas. Soit une personne sur sept. Et à l’étranger Italie: 66% Espagne: 40,6% France: 40% Royaume-Uni: 29,7% Allemagne: 21,9% Moyenne UE: 39,6%

155,4

En francs, les dépenses totales par personne et par jour pour les vacances des résidents en Suisse, en 2014. Alors qu’elles étaient de 163,7 francs en 2013 148,2 francs en 2008; 117,2 francs en 2003; 125,4 francs en 1998

Sources

Chiffres: OFS, Statistisches Bundesamt, Credoc, Osservatorio Nazionale Federconsumatori, Instituto Nacional de Estadistica, Office of National Statistics 
Voyages: Hotelplan, Neos Voyages, Coopérative Reka

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
Matthias Rihs
Matthias Rihs
Matthias Rihs
Matthias Rihs
Rubrique Une: 
Auteur: 
Pagination: 
Pagination masquée
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

28 000 francs pour un prénom

$
0
0
Jeudi, 21 Juillet, 2016 - 05:49

Robert Gloy

Zoom. Le patronyme d’un enfant reflète la culture, les goûts et aussi les origines sociales de sa famille. Une équation complexe qui peut devenir un casse-tête pour les parents. Au point que certains se tournent vers une coûteuse agence bernoise.

Reprendre le nom d’un ancêtre? Consulter les statistiques? Ou s’inspirer des stars? Le choix d’un prénom, les parents devront non seulement l’assumer devant leur descendance, mais aussi devant les autres par le «positionnement» social et culturel qu’il véhicule. L’agence de publicité bernoise Erfolgswelle entend venir au secours des géniteurs qui se sentent submergés par une telle pression. Fondée en 2003 et spécialisée dans la recherche de noms pour les entreprises, elle propose depuis l’année dernière ce même service pour les nouveau-nés à la suite d’une demande venant d’un client américain. Pour environ 28 000 francs, l’entreprise collabore jusqu’à huit semaines avec les parents pour leur fournir plusieurs propositions de prénoms.

«Une des missions principales consiste à assurer une certaine continuité par rapport aux autres membres de la famille. Il faut éviter que le prénom de l’enfant ne ressorte de manière trop évidente», explique Marc Hauser, fondateur et CEO d’Erfolgswelle. Autres critères importants: le prénom doit pouvoir se prononcer facilement, deux à trois syllabes au maximum, ne pas avoir de connotation négative liée à un événement historique, ni une signification qui serait ambiguë dans une autre langue. Pour cela, l’agence travaille avec une équipe d’historiens et de traducteurs.

Un intérêt grandissant

Sur ses clients et les prénoms déjà approuvés, la société ne dira pas grand-chose: clause de confidentialité oblige. Marc Hauser reconnaît néanmoins avoir vendu ses services à des personnes médiatisées avec un mode de vie tourné vers l’international: «Elles ont l’habitude de payer de telles sommes pour avoir des conseils professionnels.» Il est toutefois difficile de mesurer l’ampleur du phénomène, car l’agence ne donne pas de chiffres sur le nombre de ses clients. Seul indice: les Suisses sont encore peu nombreux à vouloir financer la recherche du prénom parfait. Et les marchés principaux se trouvent aux Etats-Unis ainsi qu’en Asie.

Erfolgswelle est un pionnier dans le domaine. On ne trouve que très peu d’offres similaires dans le monde. Même aux Etats-Unis, les agences actives sur ce marché proposent des services de conseil ponctuel et non un accompagnement pendant plusieurs semaines.

Pourtant, l’intérêt autour du choix des prénoms est grandissant, comme l’illustre la médiatisation de la liste des prénoms les plus populaires du pays, publiée chaque année par l’Office fédéral de la statistique. L’un des principaux constats, valable pour l’ensemble des pays occidentaux, est que la gamme de prénoms s’est considérablement élargie. «Il y a cinquante ans, les prénoms les plus populaires étaient beaucoup plus répandus qu’aujourd’hui», précise Baptiste Coulmont, sociologue à l’Université Paris 8 et auteur du livre Sociologie des prénoms. D’après lui, la sélection du prénom donne des indices sur le milieu social et culturel de la famille. «Pour les parents, ce choix est devenu de plus en plus crucial.»

Des choix qui peuvent aussi se révéler inadéquats? Selon Frédéric Rouyard, porte-parole du Service de la population du canton de Vaud, il y a rarement des soucis liés aux prénoms retenus. «L’état civil n’intervient qu’environ une dizaine de fois par an dans tout le canton pour attirer l’attention des parents lorsqu’un choix présente un risque pour les intérêts de l’enfant. C’est par exemple le cas avec Sadik, prénom courant dans certains pays des Balkans mais qui a une connotation négative en français.» Le palmarès des prénoms en Suisse romande laisse également entrevoir une certaine prudence. On y trouve Gabriel, Liam et Lucas pour les garçons et Emma, Eva et Léa pour les filles. 

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
Archives du 7e Art/Chapter 2
Rubrique Une: 
Pagination: 
Pagination masquée
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

La paix civile à l’épreuve des attentats: ce que révèle la tragédie de Nice

$
0
0
Jeudi, 21 Juillet, 2016 - 05:52

Reportage. En fauchant la vie d’au moins 84 personnes le soir du 14 juillet sur la promenade des Anglais, le chauffeur du camion tueur a servi les plans funestes de l’Etat islamique, qui veut créer le chaos en Occident et singulièrement en France. Déjà, de premières failles apparaissent. Rencontre, notamment, avec Abdelghani Merah, le frère du terroriste Mohamed Merah, mort en 2012.

Les à-côtés, l’accessoire, les détails, tout, plutôt que l’attentat lui-même. Condamner le voyeurisme des chaînes d’information en continu, BFMTV remportant la palme du pire; vilipender les politiques, d’odieux récupérateurs de souffrances; réclamer des comptes aux autorités niçoises qui n’ont pas su prévenir l’irruption du camion tueur sur la promenade des Anglais. Cette partie-là de la France, celle qui réunit en son sein un grand nombre de musulmans, notamment, et appelle à ne pas faire d’amalgame entre les attaques revendiquées par Daech et l’islam, donne l’impression de s’intéresser beaucoup plus à la scène de crime qu’au crime en tant que tel.

Quant au criminel, Mohamed Lahouaiej Bouhlel, ce Tunisien de 31 ans à l’origine du drame, qui a foncé dans une foule en fête au volant d’un semi-remorque le soir du 14 juillet, tuant 84 personnes, hommes, femmes et enfants, en blessant plus de 300 autres, avant d’être abattu par des policiers, c’est à ses yeux un fou. Un terroriste, certes, mais un fou, un détraqué, un dépressif, qualités cliniques rendant inutiles toutes les autres: idéologiques, religieuses, militantes.

Manœuvre dilatoire? Pour une portion de cette France-là, peut-être, mais pour une autre, ce refus d’envisager l’assassin sous un jour politique ou religieux témoigne d’une angoisse face à l’avenir, de la crainte de représailles et de leur cycle infernal. Jusqu’ici, face aux attentats, les Français, par-delà les religions et appartenances partisanes, se sont fait un devoir de résister aux instincts vengeurs. Mais quand, sur les réseaux sociaux, après le massacre de jeudi dernier, dans lequel des musulmans ont pourtant péri, on exige de ceux-ci qu’ils descendent dans la rue pour «demander des excuses» et non plus seulement pour se désolidariser du terrorisme islamiste, cela atteste que la donne est probablement en train de changer, et pas pour le meilleur.

Blanc, Français, ce jeune homme d’environ 25 ans, serveur dans un restaurant de Nice, évoque les yeux mouillés de larmes l’horreur commise par Mohamed Lahouaiej Bouhlel, endossée par l’Etat islamique deux jours après les faits. Mais dans ce regard embué se lit plus de colère que d’envie de renouer des liens, comme si les efforts pour «vivre ensemble» étaient devenus vains. Au lendemain de la tentative de putsch en Turquie, un coup d’Etat militaire en France ne lui paraît pas, à tout prendre, la plus mauvaise des solutions.

Son raisonnement s’inscrit dans une sorte de fatalité qui voudrait que la France s’achemine vers des affrontements civils, but poursuivi par Daech, que seule l’armée, le cas échéant, pourrait endiguer. Comme beaucoup de jeunes Niçois, il n’ignore rien de la notion de djihad, le chef-lieu des Alpes-Maritimes ayant été ces dernières années l’un de ses principaux foyers en France. «Dans une salle de sport que je fréquentais, il y avait un Cap-Verdien, qui paraissait tout à fait normal. Il est parti du jour au lendemain faire le djihad. Il a emmené son enfant, encore bébé, avec lui», raconte-t-il, comme se remémorant un souvenir aujourd’hui sans intérêt, tant la situation a empiré depuis.

Deux mondes en conflit

On assiste à «une montée des tensions», a constaté une psychologue employée à la Maison pour l’accueil des victimes, rue Gubernatis, dans le centre de Nice, qui vient en aide aux proches de personnes disparues dans l’attentat – seize d’entre elles n’avaient toujours pas été identifiées cinq jours après le drame. «Même entre proches de victimes, j’ai remarqué qu’il y avait parfois des accrochages», ajoute-t-elle, sous couvert d’anonymat. Comprendre: des mots, des attitudes, qui font que musulmans et non-musulmans, supposés réunis par un soir de malheur, ne se mélangent pas.

Œuvrant sous le même toit en tant que membre de l’association niçoise Entr’Autres, spécialisée dans le suivi de jeunes personnes versées dans l’idéo­logie djihadiste, Yasmina Touaibia a entendu, dans le centre de la rue Gubernatis, des familles d’origine maghrébine lui confier qu’elles se sentaient prises «entre le marteau du racisme antimusulman et l’enclume de l’intégrisme islamique». Par ailleurs, un de ses amis niçois, d’origine iranienne, lui a rapporté avoir été physiquement agressé le lendemain de l’attentat de la promenade des Anglais par un livreur, «un Français de souche», qui lui apportait un meuble. Geste de représailles? Peut-être. L’ami en question comptait déposer plainte.

Docteure en sciences politiques, auteure d’une thèse sur le GIA, le FIS et l’AIS, des mouvements islamistes, pour certains terroristes, des années 90 en Algérie, Yasmina Touaibia a vu les morts et les blessés la nuit du 14 juillet. Elle est comme cette petite fille qui a vu le camion passer et qui lui a dit: «J’ai des images et des images, et ça ne veut pas partir.» Difficile, après cela, d’être confronté à l’intolérance de ceux qui cherchent des «coupables», leurs «complices» ou plus largement des «ennemis» et croient les avoir trouvés. «Une vieille dame m’a interpellée dans la rue en ces termes: «Vous êtes Française? Restez musulmane, ne soyez pas Française», relate notre interlocutrice.

Éviter la hiérarchie entre victimes

Le quotidien régional Nice-Matin a compris le danger. La une de son édition du dimanche 17 juillet comprenait une sélection de photos de personnes mortes dans le carnage. Au sommet de la page, il y avait les visages d’un policier en uniforme, d’une musulmane voilée et de deux garçonnets. Pas de distinction, pas de discrimination entre les morts. Pourquoi en ferait-on parmi les vivants et survivants, comprenait-on à la vue de ces portraits de disparus.

Samedi 16 juillet, il arrive au rendez-vous fixé, une terrasse de café du centre de Nice. C’est Abdelghani Merah. Le frère aîné de Mohamed Merah, l’individu qui a ouvert la séquence des attentats islamistes en France au XXIe siècle, tuant à bout portant trois militaires et quatre juifs, dont trois enfants, en mars 2012 à Toulouse et à Montauban. Celui dont une capture d’écran a immortalisé le rire hurleur au terme d’un rodéo motorisé. Mohamed est mort il y a quatre ans, un 22 mars, abattu par les forces de police auxquelles, armé, il refusait de se rendre. Abdelghani, lui, vit tant bien que mal.

Rejeté par ses parents qui ne lui pardonnent pas d’avoir révélé publiquement l’envers féroce du décor familial et dénoncé les tueries de son frère, il est épaulé par l’association Entr’Autres. D’où sa présence à Nice, depuis mars. «Je me retrouve seul, confie-t-il. Il n’y aurait pas eu Entr’Autres, je ne sais pas ce que j’aurais fait.» Il se rend dans des écoles pour y sensibiliser les élèves aux dérives djihadistes. Sa dernière mission date de juin, au collège Les Mûriers, à Cannes-la-Bocca, un quartier populaire de l’ouest cannois. Son bras droit, handicapé depuis un accident de moto, le lance régulièrement et l’oblige à prendre des cachets: «Le syndrome du membre fantôme», dit-il, ajoutant: «Même comme ça, je me sens plus fort!»

Rejet de la France, une lente macération

Parfois, on lui dit que, de profil, il ressemble à Mohamed. Pour tout le reste, il en est visiblement la complète antithèse. En l’écoutant fournir des explications, dresser des parallèles entre hier et aujourd’hui, on saisit mieux dans quel nid de ressentiments ont grandi et grandissent probablement encore de jeunes Français pour qui être Français va rarement de soi. «A la maison, on parlait de la guerre d’Algérie, de ce que la France avait fait subir aux Algériens, se souvient Abdelghani. Mes parents, qui avaient pour habitude de se victimiser, disaient: «Vous nous avez fait la misère, maintenant, c’est nos enfants qui vont vous faire la misère.»

Religieusement, l’idée principale était un peu la même, il s’agissait de prendre une prétendue revanche sur le destin. «Des salafistes diffusaient ouvertement leur message de haine, j’en ai été témoin, la France selon eux deviendrait musulmane. Mes frères Mohamed et Kader (en attente de procès pour complicité des meurtres du premier, ndlr) ont baigné là-dedans, ils y croyaient. Mohamed n’en avait rien à faire de la politique, de la loi française, seule la loi de Dieu lui importait. Les salafistes qui retournaient la tête des jeunes avaient la partie relativement facile. Ils leur disaient: «En Algérie, on vous considère comme des Français, en France comme des Arabes, venez chez nous!» A l’époque, on appelait les Français les Gaulois ou les fromages, rapport au fait qu’ils nous appelaient les Beurs. Aujourd’hui, ce n’est plus ni Gaulois ni fromages, mais mécréants. Il était clair que les mécréants n’iraient pas au paradis, mais moi je pensais que les non-musulmans aussi pourraient aller au paradis.»

Dans les années 80, dans le sud de la France, en particulier à Nice, les petits Arabes avaient pour professeurs notamment des pieds-noirs, rapatriés d’Algérie. Pas tous, mais certains ne se gênaient pas pour donner du «bougnoule» ou du «melon» aux têtes brunes qui leur rappelaient le pays perdu, n’a pas oublié Rachid*, rencontré à la périphérie de Nice.

Les djihadistes façon Mohamed Merah, individus hautement explosifs récupérés par le système al-Qaida ou Daech, ne sont pas une génération sortie in abstracto des périphéries urbaines. Il y a eu macération, fermentation, sur fond d’histoire coloniale, d’image du père exploité à l’usine, fantasmée en réplique de la soumission au colon, de racisme aussi, et de ce côté-là, Nice, Nice la belle, n’est pas réputée pour son accueil, de l’Arabe hier, du musulman aujourd’hui, maintenu à bonne distance… Abdelghani Merah s’en est aperçu: «A Toulouse, les Arabes étaient mieux intégrés qu’ici, réalise-t-il. Je peux comprendre qu’ils en veuillent au monde qui les entoure, mais je ne veux pas les victimiser, ce serait donner raison aux barbares.»

L’imam face au wahhabisme

Le 14 juillet, il n’est pas allé voir le feu d’artifice, sur la promenade des Anglais. L’idée de s’y rendre ne le rassurait pas. Il doute peu de la dimension djihadiste de l’attentat commis ce soir-là. Le mode opératoire y renvoie en tout cas. Le camion, en effet, n’est pas une idée neuve de la sphère djihado-terroriste. «Lors de son dernier séjour en prison, en 2011, mon frère Mohamed avait demandé à un codétenu combien il pourrait faire de victimes en fonçant dans une foule avec un camion. Le codétenu l’avait pris pour un illuminé», raconte Abdelghani. De même, il croit peu à la version du «loup solitaire»: «Loup solitaire, loup solitaire, mes fesses!» dit-il avec son accent toulousain, se souvenant que les pouvoirs publics avaient d’abord décrit son frère ainsi, se trompant lourdement.

Vendredi 15 juillet, Abdelkader Sadouni, imam à la mosquée Attaqwa du quartier des Moulins, à la périphérie ouest de Nice, a tenu un prêche d’après-attentat: «J’ai dit qu’aller chercher, chez l’autre, la responsabilité de ce qui nous arrive dans la vie, ce n’est pas une façon de faire. J’ai parlé aux fidèles de l’influence de la parole, de l’influence de mon discours, sur eux», explique-t-il. Ce vendredi-là, Abdelkader Sadouni, imam bénévole âgé d’une quarantaine d’années, né en Algérie, arrivé en France, dans la Drôme, à 6 mois avec ses parents, s’est fait pédagogue. «Qu’est-ce que je suis en train de planter dans le cœur du jeune musulman? De la haine, de l’amour, de la compassion? Les imams doivent avoir le souci des conséquences de ce qu’ils disent et, au besoin, s’autocensurer», préconise-t-il.

Commerçant de métier, il reçoit deux jours plus tard en t-shirt et pantacourt dans sa boutique, la librairie Le Message, nichée dans une rue calme du centre-ville, entre gare SNCF et front de mer. Dans une étroitesse de kitchenette, il vend de la littérature, des vêtements, des objets religieux et des articles plus profanes. Ça sent le cuir et le frais. Abdelkader Sadouni a reçu sa formation d’imam dans les années 90, délivrée à Château-Chinon par l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), fondée par des Frères musulmans, autrement dit des islamistes, mais à l’époque ce terme épouvantait moins.

Aujourd’hui, le berger de la mosquée Attaqwa critique l’influence rigoriste, potentiellement ravageuse, exercée par l’idéologie wahhabite venue d’Arabie saoudite. A Château-Chinon, elle faisait partie du cursus. «C’est le problème», reconnaît-il. L’an dernier, pourtant, il avait reçu dans sa mosquée le Genevois Hani Ramadan, rigoriste comme pas deux, venu parler de «spiritualité musulmane». A la suite de cela, la frontiste Marion Maréchal-Le Pen avait traité Abdelkader Sadouni d’«islamiste». Il avait déposé plainte pour diffamation, plainte classée par le procureur. En ce moment, il lit un livre sur les origines du christianisme, s’ouvre à d’autres horizons et vérités et semble y prendre un grand plaisir.

Pendant que l’islam de France s’attelle à sa réforme dernière chance, la rue gronde et huait le premier ministre, Manuel Valls, lundi midi à Nice, au terme de la minute de silence en hommage aux victimes de l’attentat. L’union nationale est cassée, la société civile est traversée de courants violents. S’il est un temps pour croire, c’est maintenant.

* Prénom modifié

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
Luca Bruno / AP
Ulrich Lebeuf / M.Y.O.P
France Keyser / M.Y.O.P
Rubrique Une: 
Pagination: 
Pagination masquée
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

Jean-François Bernou: «Ils cherchent des réponses à un malaise réel»

$
0
0
Jeudi, 21 Juillet, 2016 - 05:56

Interview. Le couple contemporain vit sous la pression d’attentes démesurées, dit le psychologue Jean-François Bernou. Les polyamoureux sont les enfants de ses échecs.

Les polyamoureux discutent de la question du «coming out», comme les homosexuels…

Il y a des similitudes. Les polyamoureux remettent en cause la norme dominante et se heurtent à un fort rejet, ce qui les amène à se cacher. D’où l’intérêt des Cafés Poly, où ils peuvent échanger en confiance. La question la plus délicate en matière de transparence concerne les enfants: ces derniers sont très sensibles à la norme, ils veulent des parents comme tout le monde. Il y a des ruptures parents-enfants dues au polyamour.

Des parents polyamoureux, c’est mauvais pour les enfants?

C’est un peu le même problème qu’avec les familles homoparentales: pour répondre, il faudrait des études statistiquement représentatives, complétées par des échantillons témoins d’enfants grandis dans un cadre traditionnel et où lesdits enfants répondraient de manière complètement autonome. Ça n’existe pas.

Mais d’après vos observations?

Je crois que ça dépend de la situation. Quand un couple établi de parents devient polyamoureux et vit la chose discrètement, considérant que c’est une affaire entre adultes, tout peut bien se passer. Dans le cas d’une femme qui vit seule, entourée d’une constellation d’amants, et qui de plus milite pour le polyamour, c’est nettement plus compliqué pour l’enfant.

Vivre la chose discrètement, ça ne revient pas à retomber dans le mensonge tant décrié?

Les enfants souffrent du secret et celui de l’adultère est ravageur: savoir par exemple que son père a une maîtresse, se demander constamment s’il faut ou non mettre sa mère au courant, ça vous mine une enfance. Il me semble que des parents polyamoureux qui ne disent pas tout mais qui ne se mentent pas entre eux, ce n’est pas pareil. La plupart projettent d’ailleurs d’en parler un jour aux enfants et se demandent quel est le bon âge, un peu comme les parents adoptifs. Globalement, il me semble que ce qui est bon pour l’enfant, c’est d’avoir deux parents structurants et protecteurs, quelle que soit la manière dont ils s’arrangent pour y arriver. La configuration la plus à risque me semble celle du parent seul.

Y a-t-il une psychologie du choix polyamoureux?

Certains de mes collègues n’y voient que de l’instabilité, l’incapacité à accepter les limites, la fragilité narcissique et donc le besoin de se rassurer constamment sur sa capacité à être aimé. Ce n’est pas faux, mais c’est partiel: dans le polyamour, comme dans l’amour en général, on peut se fuir, mais aussi se trouver. Les polyamoureux craignent le rétrécissement qui guette le couple monogame, à force de petits renoncements. Ils aspirent à l’élargissement de soi et y parviennent parfois. En fait, je crois que la lecture la plus pertinente du polyamour est sociologique.

C’est-à-dire?

C’est une tentative d’adaptation à l’évolution de la société. Longtemps, le mariage n’a rien eu à faire avec l’amour, c’était un instrument de contrôle des naissances dans une société patriarcale. Aujourd’hui, il focalise notre nouvelle exigence à s’épanouir. S’épanouir sexuellement, sentimentalement, à égalité entre femmes et hommes et cela pendant très longtemps, vu la longévité accrue du couple… L’attente est démesurée et le taux d’échec massif. Les polyamoureux cherchent des réponses à un malaise réel, ils sont les enfants de la souffrance du couple contemporain. Reste à savoir si leur réponse est la bonne…

Pour faire durer le désir, le polyamour, c’est mieux que le Viagra?

L’appétit sexuel vient en mangeant et il est vrai qu’aller voir ailleurs, c’est un moyen pour retrouver l’appétit. Ce qui est intéressant avec le polyamour, c’est que c’est souvent la femme qui prend l’initiative d’y entraîner son compagnon. Lequel, traditionnellement, penche plutôt pour le libertinage, qui est purement sexuel.

Les hippies des années 1970 parlaient déjà d’amour libre.

Il y a une parenté, dans la contestation, le refus du mensonge, peut-être la naïveté. Mais la plupart des polyamoureux mènent, en apparence du moins, une existence traditionnelle. La génération montante, elle, est plus revendicative: dans sa vision, le vrai polyamoureux habite seul, car aucune relation ne doit être privilégiée. Les jeunes sont davantage persuadés de détenir la bonne solution. Je les trouve moins convaincants que leurs aînés, chez qui j’observe, comme aux Cafés Poly de Lyon, une qualité d’écoute, de réflexion et de tolérance rare.

Dans la configuration couple principal/amants secondaires, le bonheur du premier ne se construit-il pas sur le dos des seconds?

Pas si le secondaire n’aspire pas à vivre dans un couple établi, ou alors s’il est déjà le partenaire principal de quelqu’un. Mais la réalité est que c’est compliqué, que les situations vraiment équilibrées sont rares et que, souvent, le secondaire se retrouve dans le vieux rôle de la maîtresse qui attend. Avec qui mon amant(e) va-t-il (elle) fêter Noël, passer ses vacances? L’idéal du polyamour se casse souvent le nez sur de bêtes questions d’agenda.

Quelle autre réponse au malaise du couple contemporain?

Baisser le curseur de nos attentes! Apprendre l’autonomie, au lieu de se co-construire dans la dépendance. Croire que le couple est la clé de voûte de l’épanouissement a un revers: à la première crise, il y a ce terrible sentiment de ne pas avoir été à la hauteur, et des tonnes de culpabilité. Les crises font partie de la vie. Déculpabiliser, ça aide déjà beaucoup à traverser l’épreuve. 


En savoir plus

A lire

Guide des amours plurielles. De Françoise Simpère, Pocket et Kindle.

The Game Changer: A memoir of disruptive love. De Franklin Veaux, ePub et Kindle.

Sites

Communauté francophone: www.polyamour.info

Suisse: www.polyamory.ch (en allemand)

www.polyamory.org.uk et OpenCon UK

www.morethantwo.com

Groupes Facebook

PolyLyon, Polyamory Europe, Polyamor Catalunya, Poliamore Italia.

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
DR
Rubrique Une: 
Auteur: 
Pagination: 
Pagination masquée
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

Point final: lèsenature

$
0
0
Jeudi, 21 Juillet, 2016 - 05:57

Une grande innovation suscite toujours, dans un premier temps, de l’incompréhension, voire du rejet. Lorsque Le Corbusier a construit sa maison minimale en 1923 à Corseaux, ses grandes oreilles ont sifflé. «Crime de lèse-nature! Interdiction d’imiter cela à l’avenir!» ont vitupéré des élus locaux. Classée aux monuments historiques en 1962, transformée en musée en 2010, désormais inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco, on pourrait croire la Villa Le Lac enfin reconnue à sa juste valeur.

Pas du tout, rappellent un ancien syndic de Corseaux et le conservateur de la petite maison: dans un passé encore récent, les expressions «Bunker!» ou «Une comme ça, ça suffit, jamais d’autres!» roulaient jusqu’au bord du lac, près de Vevey.

Si la commune de Corseaux soutient l’association qui gère la maison de Le Corbusier, elle le fait de manière presque aussi minimale que la conception de l’architecture. Elle n’a pas encore d’idées fulgurantes pour exploiter le formidable potentiel du nouveau label de l’Unesco. L’actuel syndic parle d’inscrire la visite de la Villa Le Lac au Passeport vacances de la région. Une initiative visionnaire, on en conviendra. Mais ne préjugeons pas de l’avenir. Corseaux est désormais doublement sous la protection de l’humanité, puisqu’une partie de son territoire s’inscrit dans Lavaux, également patrimoine mondial de l’Unesco. Avec une telle reconnaissance planétaire, les idées et les soutiens vont crépiter comme des fusées du 1er Août, soyons-en certains.  

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
Rubrique Une: 
Auteur: 
Pagination: 
Pagination masquée
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

Comment ils élargissent l’amour

$
0
0
Jeudi, 21 Juillet, 2016 - 05:58

Témoignages. Les uns ont l’impression d’être nés comme ça, les autres évoquent un «cheminement». Mais comment font-ils concrètement? Où il apparaît que la bonne chimie à plusieurs est délicate à trouver.

Annick a sauvé son couple grâce au polyamour
Elle a 39 ans, deux enfants de 7 et 4 ans, et vit en couple établi depuis treize ans.

«Cela a commencé par pragmatisme: nous étions, mon compagnon et moi, ensemble depuis onze ans et, après la naissance des enfants, le désir entre nous était en panne. Cet homme, je l’aimerai toute ma vie, nous partageons une magnifique intimité, intellectuellement aussi. Je ne voulais pas le quitter, pas le tromper, pas faire une croix sur ma sexualité à 35 ans. C’est moi qui ai posé le sujet sur la table, et j’ai eu de la chance: il a réfléchi et a dit: «Ce n’est pas idiot!» Au début, l’ouverture de notre couple devait être purement sexuelle, mais nous avons vite compris que l’on ne peut pas scinder les choses si facilement. Une relation, c’est une relation.

Tout se passe bien avec mon compagnon. Il a des amantes aussi - des histoires plus brèves que les miennes - et nous avons retrouvé une sexualité. C’est avec mes amants que c’est plus compliqué: je peine à leur faire comprendre que je les aime mais que j’ai un «mari» et des enfants et que ce n’est pas négociable. Mon premier attendait de moi que je me sépare, notre relation lui faisait du mal, et ça, ce n’est pas acceptable, il faut veiller au respect de chacun: nous nous sommes quittés.

Ensuite, j’ai surtout rencontré des hommes mariés, qui trompent leur femme. Et là, c’est à moi que ça pose un problème. L’idéal serait de rencontrer des amants qui ont une vraie démarche de polyamoureux eux aussi. Je n’ai jamais eu cette chance, j’espère que ça viendra. Mais finalement, quand on travaille à plein temps avec deux enfants (j’évolue dans les milieux financiers), le cœur du problème, ça reste la gestion de l’agenda.»

Adrien cherche la recette du bonheur
Adrien LesAilesBleues a 35 ans, il vit en couple, sans enfants.

«Une question m’occupe: la recette du bonheur, c’est quoi? J’ai créé une association, Lesailesbleues, proche du mouvement des colibris de Pierre Rabhi, qui s’efforce d’œuvrer au bonheur collectif. Au niveau personnel, le polyamour est pour moi une évidence depuis toujours: enfant déjà, je ne comprenais pas que l’on soit autorisé à haïr une foule de personnes et à en n’aimer qu’une seule. Pourquoi une seule? Comment peut-on prétendre que c’est naturel? Quand j’avais 12-13 ans, j’ai proposé que l’on institue le mariage de guerre: que ceux qui veulent s’entretuer le fassent, mais qu’ils ferment la porte derrière eux.

La norme de l’exclusivité m’a très vite fait souffrir. Je sentais que je pouvais aimer de manière plus large, mais je me heurtais à un dogme. Je me suis fait traiter de monstre, d’insensible et d’égoïste. Et puis, un jour, j’ai découvert que le polyamour existe en tant que concept, j’ai pu mettre un mot sur cette disposition et ça m’a fait du bien.

Je vis depuis six ans avec une femme, c’est ma priorité. Je ne peux pas affirmer simplement qu’elle est aussi polyamoureuse, c’est plus compliqué: elle est d’accord sur le principe, mais en ce qui la concerne, ce n’est pas son truc. Je crois sincèrement être attentif à son bonheur. En ce moment précis, il n’y a qu’elle: ma dernière amante a découvert qu’elle ressentait de la jalousie, on en a discuté et on a mis fin à la relation. C’est vrai que l’alchimie à plusieurs, c’est compliqué. Mais je rencontre des femmes fortes et indépendantes, quand il y a un problème, elles le font savoir.»

Unsuffitpas a un mari monogame
Unsuffitpas est son pseudo en ligne. Elle a 34 ans, un mari, deux enfants de 2 et 4 ans.

«Je suis polyamoureuse par tempérament. J’ai toujours eu plusieurs amants en même temps. Puis j’ai rencontré mon mari, nous avons vécu quatre ans de monogamie, après quoi je suis tombée amoureuse, j’étais mal, j’ai voulu les quitter tous les deux et les deux m’ont dit: «Non, attends!» Lorsque j’ai désiré avoir des enfants, c’était clair: ça se ferait avec mon mari et personne d’autre. Pendant une période, ça s’est très bien passé: mon amant s’est lié d’amitié avec mon mari, il venait voir le petit à la maison. Puis la vie nous a séparés.

Mon mari est monogame. Il dit qu’il n’a besoin de personne d’autre. Voici ce qu’il écrit: «Il faut bien comprendre que notre relation est basée sur la sincérité, l’amour, le bien-être de l’autre et que les relations extérieures de ma femme ne sont pas des plans cul [..] elles la rendent encore plus radieuse, attirante, belle et toujours autant attentionnée pour nous.»

Pour être franche, j’ai mis du temps à accepter qu’il accepte mes amants! Je trouvais ça un brin suspect… Mais je crois qu’il est sincèrement dans la compersion, le contraire de la jalousie: tout ce qui me rend heureuse le rend heureux. Nous sommes un couple très solide.

Je travaille à 100% comme informaticienne. Depuis que j’ai des enfants, je m’arrange pour voir mes amants dans les temps extrafamiliaux, souvent entre midi et 14 heures, pas forcément pour faire l’amour. Pourquoi courir comme ça? Je ne sais pas, je n’aime pas me retrouver seule. Et puis une table avec quatre pieds, c’est plus solide qu’une table à un seul.»

Olivier est un grand polyfidèle
Olivier Daunay a 62 ans et trente-sept de polyamour, marié, un enfant. C’est l’organisateur des Cafés Poly de Lyon.

«Le polyamour, c’est d’abord une démarche personnelle. Il y a tant à déconstruire, à commencer par la domination masculine.

Je suis un grand polyfidèle. Il y a Nicole, la mère de notre fils, la femme de ma vie. Mais, ces dix dernières années, j’ai connu deux femmes lumineuses, qui sont successivement tombées dans la maladie et m’ont demandé d’être à leurs côtés, en priorité. Je l’ai fait, mettant ma relation principale en pause: je les ai, l’une après l’autre, accompagnées jusqu’à la mort. Après ça, je suis resté marié à Nicole, mais nous n’habitons plus ensemble.

Peut-être que ce qui nous a encouragés au polyamour, elle et moi, c’est que nous n’avons aucun goût commun. Je suis artiste en bijoux contemporains, elle (qui est prof) ne supporte pas les artistes, j’aime la musique, pas elle… et pourtant il y a entre nous une solidarité unique, nous nous sommes magnifiquement épaulés. Certains disent que dans le vrai polyamour il n’y a pas de hiérarchie entre les relations. C’est du déni, ou du mensonge. De fait, une hiérarchie s’installe, dans le temps, l’espace, la géographie, c’e st inévitable. On ne peut pas tout égaliser. Accepter la complexité, ça limite les complications.

En ce moment, je suis seul, mais je sais que j’aimerai encore. L’amour, c’est la grande affaire de ma vie et j’ai beaucoup de chance. Pas de prosélytisme cependant: le polyamour, ça ne peut être qu’une philosophie de vie, surtout pas un nouveau modèle.» 


Les droits des «secondaires»

La position des amants «secondaires» est parfois douloureuse, admet Franklin Veaux, théoricien américain du polyamour (www.morethantwo.com). Il a rédigé une «Charte des droits des secondaires». Extraits.

«J’ai le droit...

  • d’être traité avec honnêteté, intégrité, compassion et sensibilité à mes besoins
  • de prendre part aux discussions qui me concernent chaque fois que c’est possible
  • et la responsabilité de fixer des limites claires aux engagements que je prends, autrement dit l’absence d’autres partenaires «primaires» ou «secondaires» ne signifie pas que tout mon temps et mes ressources sont disponibles
  • de demander à mes partenaires d’essayer de trouver un compromis lorsque c’est possible (je ne dois pas être sans cesse le seul à accepter des changements et à faire des concessions)
  • de m’attendre à ce que les projets faits avec mon partenaire ne soient pas modifiés à la dernière minute juste parce qu’un partenaire «primaire» n’a pas la pêche
  • de vivre une passion et de grands moments avec mon partenaire, sans sentiment de culpabilité ni excuses
  • à mon intimité: les détails de l’intimité physique et des conversations intimes ne doivent pas être partagés sans mon accord
  • à ce que l’on me dise la vérité en tout temps, ce qui inclut le droit d’être mis au courant des peurs, doutes et autres soucis au moment où ils surgissent, pas une fois qu’ils sont devenus insurmontables
  • de ressentir des émotions et de les exprimer, de m’exprimer sur la forme que prend ma relation
  • à un équilibre entre ce que je donne et ce qui m’est donné en retour
  • d’être traité comme un individu égal, ce qui signifie que ce que j’aime, ce que je n’aime pas, mes désirs, mes contretemps ne doivent pas être ignorés pour la simple raison que je suis «secondaire».

Traduction et Adaptation Gian Pozzy

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
DR
DR
Rubrique Une: 
Pagination: 
Pagination masquée
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

Meapasculpa: Pokémon Go, le pouvoir du jeu

$
0
0
Jeudi, 21 Juillet, 2016 - 05:58

Nice pleure ses morts, Daech transforme les paumés en tueurs; la Turquie est à feu et à sang; aux Etats-Unis, Noirs et policiers s’entretuent; les migrants se noient en Méditerranée; l’Angleterre quitte l’Europe, mais partout dans le monde, les garçons et les filles se baladent en chassant le Pokémon.

Lancée le 7 juillet aux Etats-Unis et en Australie, puis une semaine après en Europe, l’application Pokémon Go connaît un succès aussi fulgurant que planétaire.

De Central Park à la place de la Gare de Sierre, des millions d’ados, de trentenaires nostalgiques de leur enfance bercée par leur Game Boy et de papas quadras geeks, ravis de trouver une nouvelle occupation à faire avec leur progéniture, se baladent smartphone à l’air, le nez dedans, à tenter d’attraper des Bulbizarre, Ratata et autres Rocabot posés sur une fontaine ou devant l’entrée du supermarché. Société, business, tourisme, santé, web: déjà, Pokémon Go est un phénomène culturel radical.

Déjà, des histoires fabuleuses circulent, comme celle des deux aventurières qui ont loué un kayak pour rejoindre une arène Pokémon dans l’océan au large de Wellington, ou celle du soldat américain en Irak qui a partagé une photo d’un Carapuce capturé près de Mossoul.

Si le mélange de réalité augmentée et de géolocalisation sur une carte interactive rend la chose technologiquement fascinante, c’est évidemment une activité idiote.

Pendant que vous vous occupez de créatures imaginaires générées par votre téléphone, vous ne sauvez pas les dauphins, vous ne luttez pas contre le dérèglement climatique, vous ne faites pas vos leçons ni les courses, vous ne pleurez pas les morts de Nice. En plus, comme la police et les compagnies d’assurance le clament sur tous les tons, vous provoquez des accidents de voiture ou de vélo et envahissez des espaces privés pas du tout Pokémon friendly.

Mais étrangement, parfois, à certaines périodes troublées et angoissantes de l’histoire du monde, un truc inutile, futile, stérile et crétin fait soudain un bien fou.

Je suis ravie que Pokémon Go envahisse le monde. Pokémon Go, c’est mieux que Daech. Pokémon Go, c’est une version 2016 de la déclaration soixante-huitarde «Faites l’amour, pas la guerre». Partout dans le monde, les garçons et les filles veulent de l’amour, du vin et chasser les Pokémon. C’est une excellente nouvelle.

Je pense à Vladimir Nabokov passant l’été des années 1930 et 1940 à chasser les papillons aux Etats-Unis ou en Suisse. Le même qui disait: «L’imagination n’est fertile que lorsqu’elle est futile.» Par son apolitisme total, son idéologie creuse, sa légèreté ludique revendiquée, Pokémon Go est un contre-pouvoir bienvenu. Daech n’a qu’à bien se tenir.

isabelle.falconnier@hebdo.ch

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
Rubrique Une: 
Auteur: 
Pagination: 
Pagination masquée
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

Relations amoureuses: tout est possible!

$
0
0
Jeudi, 21 Juillet, 2016 - 05:59

Ci-dessous, une topologie des relations amoureuses selon David McCandless, journaliste et designer anglais. Les relations polyamoureuses se concrétisent de différentes manières:


 

Un couple primaire, des amants secondaires

C’est la typologie dominante, en tout cas dans la génération des polyamoureux «historiques». Le couple établi présente les apparences d’une famille traditionnelle et vit la cellule familiale comme une priorité, tout en veillant au respect de chaque partenaire.

Le modèle égalitaire

Il est né du refus du modèle «hiérarchique» ci-dessus: chacun vit seul car aucune des relations du polyamoureux ne doit être prioritaire.

La triade

Quand des polyamoureux choisissent d’habiter ensemble, c’est souvent à trois. La combinaison «une femme, deux hommes» est en tout cas aussi fréquente que l’inverse. Une des caractéristiques les plus frappantes du polyamour est que les femmes y jouent souvent un rôle moteur.

La communauté

C’est la forme la plus proche des utopies des années 1970. Elle est rare. On dénombre une communauté connue à Paris, quelques-unes aux USA. 

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
David McCandless – InformationIsBeautiful.net
Rubrique Une: 
Auteur: 
Pagination: 
Pagination masquée
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

La chronique de Jacques Pilet: le fossé avant la guerre

$
0
0
Jeudi, 21 Juillet, 2016 - 05:59

Stupeur devant l’horreur. Gêne devant le déferlement des télés. Qui attisent le voyeurisme, parlent sans savoir, blablatent et font blablater en vain.

La honte devant les politiciens de l’opposition qui sont tous sortis en pagaille au moment où seule l’émotion digne aurait dû s’exprimer. Quel désastre. Quel ridicule aussi: qui peut croire qu’un gouvernement différent serait à l’abri de tels attentats?

Il est vrai que la municipalité de Nice, dont Christian Estrosi est le chantre déchaîné, aurait pu interdire l’accès de la promenade des Anglais aux véhicules avec des obstacles, aurait aussi pu renoncer aux feux. Tempêter contre l’Elysée n’est ici qu’une manœuvre préélectorale.

Le pouvoir, quant à lui, a perdu la confiance des Français. Non sans raison. Nombre de mesures ont été prises, il est vrai. Mais tant de lacunes subsistent encore. Un rapport parlementaire a mis en lumière la gabegie des services de police et de renseignements qui ne communiquent pas entre eux et analysent mal les tuyaux qu’ils obtiennent. Le ministre de l’Intérieur y a prêté peu d’attention. Il annonce la mobilisation de 12 000 réservistes qui joueront les plantons dans les endroits sensibles. Pourquoi pas? Mais ils n’auraient pas arrêté le camion fou.

Il serait temps aussi d’examiner la toile de fond de ces tragédies qui ont fait 250 morts en dix-huit mois. Tous les musulmans, loin de là, ne sont pas des terroristes potentiels. Mais tous ces criminels se revendiquent de l’islam. Presque tous sont Arabes.

Que s’est-il passé alors que, pendant des décennies, ces communautés ne paraissaient nullement tentées par la violence?

Une forme haineuse de cette religion s’est répandue sous l’impulsion de l’Arabie saoudite: le salafisme. Les milliers de mosquées ainsi financées ont posé le paysage. En France et ailleurs. C’est sur ce terreau que Daech a pu diffuser sa propagande auprès de jeunes gens en révolte, très divers, tous tentés par le nihilisme prometteur du salut. Le tueur de masse niçois était un voyou violent, perturbé.

Empêtré dans ses problèmes, il a voulu en finir et a trouvé dans la logorrhée djihadiste l’occasion, croyait-il, de se grandir. D’après les traces de son ordinateur et ses voisins, il se serait radicalisé en quinze jours! La leçon: point n’est besoin d’ordres venus de Syrie, de réseaux organisés, pour faire très mal. L’heure est aux solitaires, récupérés ensuite par l’organisation terroriste.

Prétendre riposter en larguant quelques bombes de plus sur Raqqa est dérisoire. Ou contre-productif. L’offensive, notamment française, aussi compréhensible qu’elle ait été, ne fait qu’envenimer l’abcès. L’EI recule sur le terrain mais étend ses métastases ailleurs. Cela alors qu’Occidentaux et Russes, même pas unis, se retrouvent bien seuls dans cette guerre. La puissante armée saoudite n’y touche guère. Beaucoup de musulmans y voient le prolongement des opérations militaires en Afghanistan, en Irak, en Syrie et en Afrique. Comment croire que l’Ouest viendra à bout des conflits qui déchirent d’abord le monde musulman?

Renforcer le système sécuritaire, bien sûr. Mais la France devra s’interroger sur sa réalité sociologique. Dix pour cent de la population sont Arabes. Une part s’est vraiment intégrée. Un autre pan est resté dans l’ombre. Sans institutions. Sans voix. Dans un environnement marginalisé et frustrant. Face à une méfiance et une hostilité qui ne cessent de monter dans de hauts cris.

Un fossé apparaît, longtemps ignoré. C’est une vieille histoire qui remonte: l’héritage d’une guerre d’Algérie jamais digérée, avec un nœud de reproches croisés, de culpabilités rentrées, de haines enfouies. L’antagonisme n’est pas qu’une dimension religieuse, le passé colonial empoisonne encore la relation entre Français et Arabes.

Redoutable engrenage. L’exigence sécuritaire, la méfiance des citoyens, la menace des politiciens qui rêvent d’enfermer les basanés ombrageux, tout cela s’impose, dit-on, comme la seule réponse possible. Dès lors la peur monte des deux côtés, les regards mutuels changent. La cassure se creuse. Non dite, non reconnue, non débattue.

Qui le dira? Qui agira? Sûrement pas les actuels prétendants au trône qui se chamaillent sans la moindre hauteur de vue.

Si rien n’est fait, dans la durée, dans la profondeur, pour bâtir des ponts, aller à la racine des maux, le pire est à venir. Il s’appelle une guerre civile larvée.

jacques.pilet@ringier.ch

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
Rubrique Une: 
Auteur: 
Pagination: 
Pagination masquée
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

Il ne faut pas prendre les polyamoureux pour des baiseurs sauvages

$
0
0
Jeudi, 21 Juillet, 2016 - 06:00

Dossier. Ils revendiquent le droit d’aimer plusieurs personnes à la fois, sans mentir, et dans l’égalité des sexes. Sont-ils les pionniers de l’amour de demain? Rencontre avec des explorateurs de réponses imparfaites à de bonnes questions.

Les polyamoureux sont des gens surprenants. Vous vous attendez à ce qu’ils vous vantent la grâce unique des liaisons éphémères, et vous les entendez dire: «Les rencontres d’une nuit ne m’intéressent pas. J’aime les relations sérieuses.» Vous expliquer que, pour eux, la fidélité est une valeur centrale. Et que, pour cette raison, quand on tombe amoureux, le plus urgent est de ne prendre aucune décision irréversible avant que ne soit passée la tempête hormonale (durée: dix-huit à trente-six mois).

Ainsi de Françoise Simpère, un mari, deux enfants et plusieurs décennies de «lutinage» au compteur. Dans ses livres (Guide des amours plurielles. De Françoise Simpère, Pocket et Kindle.), cette ardente théoricienne française des amours plurielles rejoint par moments la sagesse séculaire des matrones et des philosophes. Il est aussi absurde, écrit-elle, «de rompre un amour parce qu’il connaît une situation de «basses eaux» que serait l’abattage d’un arbre en hiver parce qu’il perd ses feuilles, en oubliant qu’existe le printemps». Car le désir n’est pas linéaire mais cyclique, et le reconnaître, c’est «faire durer l’amour et la beauté». Les polyamoureux, donc, évitent d’idéaliser la passion, ils la savent «vaniteuse et éphémère, malgré ses prétentions à l’éternité».

Bon, évidemment, il y a quelques petites différences entre leur sagesse et celle des philosophes. Par exemple, celui qui tombe amoureux est encouragé à vivre la relation qui s’offre à lui, à condition que ce soit en transparence et en accord avec son, sa, ou ses autres partenaires. Ou encore: l’égalité absolue entre hommes et femmes est postulée, et nettement plus effective que chez les ancêtres soixante-huitards. «Beaucoup d’hommes trouvent qu’avoir plusieurs relations en parallèle est une superidée, jusqu’à ce qu’ils comprennent qu’ils doivent être prêts à accepter que leurs partenaires puissent faire de même…»

Là, je viens de citer Tarquinius, l’un des rares polyamoureux que j’ai trouvés en Suisse romande (ils sont plus nombreux du côté de Zurich ou de Berne). Il tient à l’anonymat, ainsi que la plupart des autres, rencontrés à Lyon. Au début, j’ai ironisé: «Alors comme ça, on prône la transparence mais on se cache comme un malfrat?» Ensuite, j’ai raconté autour de moi que j’enquêtais sur le polyamour et, au vu des ricanements suscités, j’ai mieux compris ce désir de discrétion.

J’ai aussi parlé avec Thomas Wiesel, le jeune humoriste romand qui monte et qui a eu l’imprudence d’admettre, dans une interview à Darius Rochebin (Pardonnez-moi, sur RTS Un, le 14 février dernier), son choix de vivre en couple ouvert: opprobre et damnation. «Du jour au lendemain, j’ai été assailli de questions graveleuses. Tout ce que les gens avaient compris, c’est que je voulais du cul. Ma copine était une salope et moi, un connard. Il y a eu aussi des réactions positives, mais j’ai été stupéfait par la violence de certaines autres: je crois qu’elle est à la hauteur des fantasmes que les gens ont projetés sur nous.»

A la hauteur de l’hypocrisie ambiante, en somme. «Nous sommes une génération de l’adultère, poursuit l’humoriste. Tromper son conjoint n’a jamais été aussi facile et aussi peu sanctionné socialement, c’est un phénomène massif. Que ceux qui jouent l’honnêteté subissent un tel opprobre, c’est le comble! Pour moi, trahir la confiance de l’autre, c’est plus grave que déroger à l’exclusivité sexuelle.»

C’est ça qu’ils ont de la peine à avaler, les polyamoureux: l’espèce de déni dans lequel nous vivons. L’Amour unique reste notre seul idéal et la monogamie, l’unique modèle moralement admis. Pourtant, notre réalité, quand elle n’est pas celle de l’adultère, relève de la «polygamie successive», comme l’appellent les sociologues. Ne peut-on trouver mieux que le fatal chapelet couple-divorce-couple-divorce et les souffrances qu’il engendre? Pourquoi ne pas admettre qu’il est possible d’aimer plusieurs personnes à la fois? Et en quoi la jalousie et la possessivité seraient-elles des preuves d’amour?

Telles sont les interrogations des polyamoureux. S’ils avaient trouvé la réponse miracle, cela se saurait. En parlant avec eux, il m’est arrivé de me dire qu’ils poursuivent un idéal intellectuellement plus satisfaisant, mais concrètement encore plus irréaliste que celui du couple monogame. Gérer l’agenda, trouver une harmonie à plusieurs entre ce qu’on peut donner et ce qu’on souhaite recevoir, ce n’est pas de la tarte. Souvent, derrière les polyamoureux qui tiennent le devant de la scène, il y a des amants «secondaires» moins épanouis (et moins chauds pour les interviews). L’Américain Franklin Veaux, autre théoricien historique du polyamour, a fini par l’admettre. Il a même publié une «charte des droits des secondaires» (lire Les droits des «secondaires», à la fin de l'article Comment ils élargissent l'amour).

N’empêche: les polyamoureux réfléchissent à ce qui fait une relation, ils prennent à cœur l’avenir de l’amour, avec une honnêteté qui force le respect. C’est en tout cas ce que j’ai vu, un jeudi de juin, dans le bistrot lyonnais qui accueille chaque mois le Café Poly local. Il y avait là une vingtaine de personnes, de 30 à 60 ans, et presque autant de femmes que d’hommes. La parole est à quelques-unes d’entre elles. 

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
Meyer tendance floue
Rubrique Une: 
Auteur: 
Pagination: 
Pagination masquée
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

Être Suisse. Par Marcel Salathé

$
0
0
Jeudi, 28 Juillet, 2016 - 05:48

Quand j’étais étudiant à Bâle, j’habitais un petit appartement au-dessus d’un minuscule restaurant indien qui était géré par un couple de même origine. Je mangeais là assez souvent, non seulement parce que c’était tout près de chez moi, mais aussi parce que la nourriture était délicieuse et bon marché. Parfois, tard le soir, lorsque les autres clients avaient quitté l’établissement, le patron s’asseyait à ma table, et nous parlions de sa vie et de son parcours. Plus d’une fois, il m’a regardé dans les yeux, me disant, en chuchotant presque: «C’est le paradis, ici.»

Je ne savais pas ce qu’il voulait dire, mais je le sais aujourd’hui. A l’époque, pour moi, vivre en Suisse signifiait avoir une vie plutôt ennuyeuse. Oui, tout marchait bien, tout était stable, mais tout paraissait aussi tellement prévisible! C’était étriqué, presque suffocant, et je me suis senti obligé de partir… Après de nombreuses années passées à l’étranger, principalement aux Etats-Unis, je suis revenu récemment en Suisse et je me sens plus libre, avec un esprit plus entreprenant que jamais.

Ce qui a changé, c’est que je me suis rendu compte de mon erreur commise lorsque j’étais étudiant et que je pensais qu’un peuple conservateur devait se composer nécessairement d’individus conservateurs. C’est le contraire qui est vrai. Si les choses bougent lentement dans une démocratie directe, c’est précisément en raison de nombreux points de vue opposés. Après tout, la recherche d’un consensus prend du temps. Si tout le monde était d’accord sur tout, on pourrait certes avancer beaucoup plus vite, mais ce serait tellement ennuyeux!

L’autre réalité que je comprends mieux aujourd’hui, c’est ce que le patron indien du petit restaurant voulait me dire: je peux me concentrer sur ce qui m’importe vraiment, autrement dit avoir une entreprise, permettre à mes enfants d’aller à l’école, etc. Ce qui me paraissait tellement prévisible et ennuyeux, en fait, me donne, nous donne la liberté de réaliser nos rêves et d’essayer de devenir la personne que nous souhaitons être. Je ne peux pas imaginer une liberté plus importante que celle-là. 

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
Darrin Vanselow
Rubrique Une: 
Pagination: 
Pagination masquée
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

Être Suisse. Par Guillaume Barazzone

$
0
0
Jeudi, 28 Juillet, 2016 - 05:49

Si le Swiss made est reconnu mondialement comme une garantie de qualité qui ne se discute pas, il n’est pas rare de rencontrer à l’étranger des personnes intriguées par le fondement de l’identité suisse. Qu’est-ce qui peut bien unir des Suisses alémaniques et des Suisses romands, des Tessinois et des Grisons, le seul canton où on parle encore le romanche? Les banques, le chocolat et les montres? La Suisse est-elle vraiment une nation avec une identité propre, comme semblait en douter un ancien dirigeant arabe, qui envisageait sans vergogne de la démembrer pour en redistribuer les différentes communautés aux pays limitrophes?

Ja, Si, oui (and Yes)! Etre Suisse, c’est tout d’abord adhérer volontairement à un projet commun: la Suisse. Contrairement aux nations voisines, dont les contours se dessinèrent souvent d’en haut et par la force, autour de l’idéalisation d’une communauté d’origine, la Suisse est une Willensnation, une nation qui est le fruit d’une volonté politique, venue d’en bas. Elle s’est construite sur la reconnaissance des particularismes, et la confiance en l’autre comme un être fiable et responsable. L’absence de tensions intercommunautaires – comme celles qui affectent souvent le climat politique belge – est la preuve de cette volonté qui perdure dans nos villes, nos campagnes et nos montagnes, malgré les clivages qui peuvent apparaître lors de votations.

Du projet politique découlent à mes yeux les valeurs propres qui fondent l’identité suisse: le pragmatisme, le respect des différences, le sens du compromis et la reconnaissance du travail comme quelque chose d’essentiel, plus important que les critères sociaux, culturels, religieux. De la même manière, si certaines nations s’imaginent remplir une mission civilisatrice et ce, malgré leurs failles, les Suisses font preuve d’une certaine humilité dans la réussite, à l’instar d’un Roger Federer, dont la discrétion en dépit d’un palmarès inégalé force l’admiration en Suisse et à l’étranger.

Etre Suisse, c’est être le produit d’une identité qui dépasse souvent les frontières. C’est être ouvert au monde, soutenir les échanges et favoriser le dialogue plutôt que la confrontation, à l’image du tunnel de base du Saint-Gothard ou du rôle de «bons offices» joué par la Suisse dans l’accord entre les Etats-Unis et l’Iran sur le nucléaire. A l’instar du Comité international de la Croix-Rouge, les Suisses sont neutres, mais engagés et fidèles à leurs principes.

Ma vision de l’identité suisse est sans doute idéalisée. Néanmoins, à l’heure où règne l’instabilité politique et économique dans le monde, génératrice de repli sur soi et de heurts, il est important que nous allions vers cet idéal afin de maintenir le cap du bateau «Suisse» que beaucoup, avouons-le-nous en toute fausse modestie, nous envient. 

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
CN
Rubrique Une: 
Pagination: 
Pagination masquée
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

Être Suisse. Par Béatrice Métraux

$
0
0
Jeudi, 28 Juillet, 2016 - 05:51

Que signifie «être Suisse» quand on est née à Arcachon et que l’on a grandi à Roubaix, dans le nord de la France, entre les mines, les usines textiles et la sidérurgie? Les premières valeurs qui me viennent à l’esprit sont humanité, volonté, efficacité, tolérance, défense de la démocratie. Je suis fière de vivre et d’appartenir à un pays qui reconnaît les minorités, qui se montre respectueux de la personne. Un pays dont la capacité d’intégration ne devrait pas être sans cesse remise en question. De par leur propre histoire, les Suissesses et les Suisses ont intégré l’exigence de comprendre l’autre dans une autre langue.

«Etre Suisse», c’est être ouvert à l’autre, le respecter dans son altérité. Ouvert et intégrateur, tel est aussi le système de formation suisse qui, grâce à de multiples passerelles, offre la possibilité à chacun de trouver sa place à tous les moments de sa vie.

En allant plus loin, je ne peux que constater que respect et tolérance ne sont ici pas de vains mots. Oui, puisque ce pays m’a permis, à moi, Française, Ch’ti, d’être élue dans un gouvernement cantonal. Dans quel autre endroit du monde cela aurait-il été possible?

«Etre Suisse», c’est aussi être un fervent défenseur des valeurs démocratiques et du fédéralisme. C’est finalement grâce à elles et grâce à lui que la Suisse possède l’un des systèmes politiques les plus stables et efficaces au monde, un système que beaucoup jalousent, malgré les lenteurs qu’il engendre et qui en sont inhérentes.

«Etre Suisse», pour moi, c’est donc utiliser les outils démocratiques pour participer de manière active au destin du pays dans tous les domaines (environnement, formation, finances, etc.).

«Etre Suisse», c’est aussi être fonceur et volontaire, participer à l’action commune par le biais des associations ou par le bénévolat.

C’est encore admettre l’insularité du pays, l’assumer et en tirer le meilleur parti grâce, notamment, à sa capacité d’innovation.

Enfin, «être Suisse», c’est apprécier tout ce qu’offrent les cantons en matière de culture: théâtre, musique, expositions, spectacles… Comme la richesse et la beauté des paysages de ce pays.

Humanité, volonté, efficacité, tolérance, respect, ténacité: toutes ces valeurs représentent ce que, pour moi, être Suissesse veut dire et, incontestablement, me donnent envie et m’encouragent, au quotidien, à défendre la qualité de vie des citoyens de mon canton. 

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
DR
Rubrique Une: 
Pagination: 
Pagination masquée
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

Être Suisse. Par Christophe Vuilleumier

$
0
0
Jeudi, 28 Juillet, 2016 - 05:52

Le fait d’être Suisse implique-t-il une identité?

La Suisse n’est plus tout à fait celle du propre en ordre, des trains à l’heure et d’un secret bancaire inexpugnable. Elle n’est pas non plus le pays d’un peuple unique, mais une terre où se côtoient 26 régionalismes. Notre fédéralisme nous détermine mais, n’en déplaise à Victor Hugo qui écrivait que, dans «l’histoire des peuples, la Suisse aura le dernier mot», la Confédération semble plus assujettie que jamais à la rumeur du monde.

Denis de Rougemont rêvait d’un fédéralisme universel, mais l’univers n’est de loin pas peuplé uniquement des héritiers d’une histoire faite de consensus, de négociations et de pas de deux ayant largement orienté les mentalités et les réactions de nous autres les Suisses. Il s’est embrasé, estompant les rêves d’antan, donnant au mot liberté une tonalité que nous ne percevons sans doute pas encore bien distinctement.

De facto, nous sommes les légataires des stratégies de neutralité adoptées au cours de notre histoire, provoquées par la situation et l’étendue de notre pays, et qui constituent l’un des fondements de notre identité. De là provient notre prudence, notre tiédeur. Les votations fédérales en sont l’ultime démonstration, décisions d’un souverain qui boycotte l’audace et qui donne sa préférence à une circonspection garante de notre longévité autant que de notre absence de panache. Faut-il s’en réjouir? A chacun de répondre à cette question!

Certes, la Suisse symbolise une terre de liberté, baignée à la lumière d’une trinité identitaire dont le credo fédéraliste concurrence depuis longtemps une mystique forgée entre l’enclume d’une neutralité forcée il y a cinq siècles et d’un marteau scandant depuis lors notre nanisme. Mais combien de temps pourrons-nous rester «au-dessus de la mêlée», pour plagier Romain Rolland, dans notre «cité de l’Exigence morale et spirituelle» qui dissimule ruelles borgnes, impasses et arrière-cours putrides? 

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
DR
Rubrique Une: 
Pagination: 
Pagination masquée
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

Être Suisse. Par Sylviane Roche

$
0
0
Jeudi, 28 Juillet, 2016 - 05:53

Je suis devenue Suisseà l’époque où épouser un Suisse donnait automatiquement le passeport. Mais la réciproque n’était pas vraie. Les femmes helvétiques étaient en quelque sorte des citoyennes de seconde zone, puisque leur nationalité n’était transmissible ni à leur mari ni même à leurs enfants. Tandis que l’Helvète, lui, nationalisait d’un trait de plume toutes ses possessions, femme comprise…

Alors, cette nationalité, je l’ai vécue comme l’expression d’une bizarre infériorité: j’étais, en tant que femme, tellement insignifiante qu’on me donnait automatiquement le passeport à croix blanche sans s’assurer au préalable que mes connaissances en histoire, en cuisine ou en langue répondaient de mon intégration, comme on le fait pour ceux qu’on naturalise.

Le passeport, c’est un peu comme le permis de conduire. Tout le monde sait que seule l’habitude fera de nous un conducteur correct. On peut dire que c’est après l’avoir obtenu que j’ai commencé à apprendre à devenir Suisse, du moins autant que je pouvais l’être.

Suis-je Suisse? J’ai passé plus des deux tiers de ma vie en Suisse. Je vote en Suisse. Je publie en Suisse. J’ai découvert avec intérêt, et même avec passion, l’histoire suisse, si inconnue hors des frontières, si fondamentale pour comprendre le monde et surtout l’Europe d’aujourd’hui. Inlassablement, j’explique la Suisse aux Français, et ce n’est pas une petite tâche, car personne ne comprend rien à ce pays si original, si exemplaire dans bien des aspects, si méconnu…

J’ai appris à aimer ce français vaudois, si riche et si particulier, si imagé et si savoureux, au point que je comprends presque tous les mots de la belle chanson de Michel Bühler Les beaux lourdauds. Ramuz est devenu un de mes écrivains préférés et Raison d’être un des livres fondamentaux de ma vie.

Le Département politique m’a envoyée en Amérique, en Europe centrale, pour expliquer la francophonie helvétique, promouvoir nos écrivains, notre français…

J’ai pour ce pays qui m’a accueillie avec ouverture et générosité une reconnaissance absolue. Je suis Suisse… Mais pas seulement…

C’est une question d’enfance, sans doute, de souvenirs enfouis, de choses oubliées qui font le terreau de ce que nous sommes. Et moi, mes racines ont poussé à Paris.

Mais je ne suis pas fière d’être née Française, je n’y suis pour rien. Pas plus fière d’être devenue Suisse, je n’y suis, on l’a vu, pour pas grand-chose. Mais je comprends ces deux pays, ces deux peuples, ces deux cultures, peut-être mieux que si je n’avais pas un pied de chaque côté de la frontière.

Le sentiment d’appartenance dont on parle tant est quelque chose de si mélangé, de si multiple. Les identités se doivent d’être plurielles, sinon elles deviennent vite meurtrières.

Je suis Suisse. Je suis Française. Je suis une femme (c’est peut-être d’ailleurs par là que je commencerais). Je suis née dans une famille juive athée… Je suis tout cela et plein d’autres choses.
Le 1er août, je pense à la Suisse. Le 14 juillet à la France. Le 16 juillet à la rafle du Vél d’Hiv. Le 11 novembre à l’Armistice. Le 28 mai à la Semaine sanglante. Le 9 novembre à 1932…

Que de raisons d’aimer, d’espérer, de pleurer aussi!

Je suis peut-être juste une Européenne, et en cela, sûrement, une vraie Suissesse d’aujourd’hui! 

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
Rubrique Une: 
Pagination: 
Pagination masquée
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

Être Suisse. Par Aline Ballaman

$
0
0
Jeudi, 28 Juillet, 2016 - 05:54

Il est 6 h 30 du matin, j’arrive à l’aéroport international de Shanghai. Environ tous les six mois, depuis cinq ans, je sais que grâce au décalage du temps universel coordonné, agrémenté d’un sentiment surnaturel, je passerai la soirée en Suisse avec mes proches.

Je monte dans l’avion, direction Zurich. La presse suisse nous est gentiment offerte par des membres d’équipage parfaitement quadrilingues. Je suppose que l’anglais domine le romanche, mais je n’ose m’avancer, je ne pourrais le tester.

Les premiers paliers d’altitude supérieurs laissent derrière moi des verticales bétonnées entre lesquelles serpentent les fleuves, les canaux et les autoroutes suspendues. La lumière mystérieuse de la mégapole, couleur nommée «densité», se confond avec les nuages.

Douze heures de vol se sont écoulées, les paliers d’altitude inférieurs annoncent l’arrivée soudaine en terre helvétique. Le regard traverse naturellement le hublot.

Le décor qui se présente ressemble à celui d’une maquette; similaire à celle du Musée des transports de Lucerne. Le bleu, le vert, le blanc retrouvent leur Pantone originel.

Je réalise que je vais bientôt réintégrer ce décor.

L’arrivée à l’aéroport de Zurich me propulse dans un autre «imaginaire », une fiction plus hollywoodienne que lucernoise. Soudainement, j’ai l’impression d’être «l’élue» qui déposera une somme d’argent secrète, demain, à la Paradeplatz. Serait-ce une fiction, une perception nourrie par des clichés ? Je ne saurais dire.

Je reprends mes esprits, je suis accueillie par un douanier poli et discipliné.

L’aéroport rappelle quelques lignes directrices du pays. Une économie puissante, un pays à la pointe de l’innovation, structuré et mature. Je suis dans le concret, ou le concrete («béton» en anglais). Les architectes offrent une place de choix à cet assemblage de matériaux. Ce béton est adouci par les enseignes des commerces qui ont marqué mon enfance.

Je prends place dans l’un de ces trains électriques qui entrent et ressortent des tunnels à un rythme bien organisé; me voilà replongée dans le décor de cette maquette. Les deux petites heures qui m’emmènent en Romandie me donnent la possibilité d’explorer d’autres miniatures. Il y a ces villages où chaque maison est en harmonie avec celle de son voisin, où les vaches et les églises sont indissociables des paysages, où les débarcadères fleuris de géraniums accueillent des passagers vêtus élégamment mais discrètement.

Soudainement, me voilà à nouveau propulsée vers une certaine réalité: la Suisse et son industrie. Ces fleurons mondialement connus sont bâtis le long du rail ou aux abords des campagnes environnantes, ils ont l’enseigne discrète, modeste. Ils protègent un savoir-faire.

Arrivée dans mon canton, l’Eiger, le Mönch et la Jungfrau sont encore enneigés, c’est le printemps. Ces montagnes sont posées là, fièrement, à gauche du lac de Neuchâtel. Je demande alors à mes proches s’ils voient ce que je vois ou serait-ce l’algorithme de la vision des Suisses de l’étranger qui procurerait une impression de perfection?

C’est à ce moment précis que reviennent à moi les adjectifs utilisés par mes amis étrangers lorsqu’ils décrivent la Suisse. Ils forment une équation avec le mot respect; que ce soit de notre environnement, de notre système politique, de notre force économique, de nos modèles académiques. Comme si ce mot, «Suisse», était un message secret, le message qui, selon l’environnement dans lequel nous l’utilisons, offre le rêve d’une terre de paix, s’apparente comme un modèle à suivre, confirme la notoriété d’un produit, ouvre des portes.

Etre Suisse est une composante de chromosomes qui ont voyagé et qui ont un jour décidé de s’assembler sur ces terres. Cette marque de fabrique est apposée sur moi par le plus grand hasard de la nature, «Etre Suisse».

Ce voyage à travers la Suisse et ses ressources, plus humaines que naturelles, cultive un sentiment de fierté. Néanmoins, ce sentiment de fierté n’est pas figé. Regarder vers l’avant, rester innovant, embrasser les changements, c’est la dynamique du mouvement qui est, dans mon idéal, synonyme d’être Suisse. 

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
DR
Rubrique Une: 
Pagination: 
Pagination masquée
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

Être Suisse. Par Pascal Broulis

$
0
0
Jeudi, 28 Juillet, 2016 - 05:55

C’est à la foisêtre ouvert au monde et fier de son ancrage local. Je suis heureux de voir que le 1er Août, fête nationale, se célèbre dans l’intimité des communes par la simple rencontre de la population autour d’un feu. On vit l’événement à l’échelle de la brique de base de notre fédéralisme, dans une universelle et très ancienne convivialité, dans la singularité des cantons et l’unité du pays et dans une infinie diversité de messages, chaque orateur invité étant libre de ses propos.

Il y a là un sentiment d’appartenanceà une communauté qui donne confiance et favorise l’ouverture au monde. Je suis fier du canton de Vaud qui s’est toujours montré xénophile dans toutes les votations touchant à ce domaine. Etre Suisse, pour moi, c’est être à l’aise dans cette interdépendance, avoir confiance dans nos capacités, dans notre réactivité et nos facultés d’adaptation, tout en étant pleinement conscient que nous n’arriverons à rien de serein ou de durable seuls ou en nous barricadant. Si le sapin du Balcon du Jura étend largement ses branches, c’est parce qu’il a de fortes racines. 

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
DR
Rubrique Une: 
Pagination: 
Pagination masquée
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

Être Suisse. Par François Longchamp

$
0
0
Jeudi, 28 Juillet, 2016 - 05:56

Chaque année au début du mois d’août, la Suisse se blottit dans son cantique d’amour à la patrie. Ce n’est pas une tradition ancienne. Scellée contre des prédateurs, l’alliance des trois vallées en 1291 a été oubliée jusqu’à sa redécouverte à Schwytz en 1724, dans des locaux des Archives fédérales, lors d’un inventaire. Longtemps, la Suisse a vécu sans évoquer ce pacte. D’ailleurs, elle ne fêtait pas le 1er Août. C’est en 1891 que les autorités fédérales ont institué la fête nationale, timidement d’ailleurs, puisqu’elle a été inscrite dans la Constitution suisse en 1991 seulement.

Ainsi, ce n’est pas la mythologie d’un pacte qui unit les Suisses. Quelque chose d’autre cimente ce pays. Cette autre chose, c’est le bouquet de nos valeurs. C’est la liberté de penser, c’est l’égalité des chances, c’est le respect du bien commun, c’est le fruit d’une histoire que nous avons su collectivement traduire en actes. Cette histoire passe par l’ouverture. Celle des Alpes, que nous savons creuser pour relier les vallées, celle des frontières et celle, aussi, des esprits. Au fond, ce que la Suisse a su construire, avant même les tunnels, c’est de la cohésion.

La Suisse a produit la Croix-Rouge, le droit humanitaire international et elle a fait de l’humanisme une valeur d’Etat. L’avenir de la Syrie et donc celui du monde se joue cet été à Genève. La Suisse, c’est la relation à l’autre. C’est une définition de l’universalité. Le mythe de la Suisse idyllique et des vallées closes tient de la construction fantasmée. Peter von Matt a dépeint la réalité de ces vallées et de leurs montagnes frappées d’une mortalité infantile élevée, désertées par une jeunesse mercenaire (comme le fut Guillaume Tell), lassées d’une nourriture monotone, et affligées d’avoir à vendre le lait avant que de boire du mauvais thé et des alcools de réconfort.

La Suisse a toujours oscillé entre conservatisme et progrès. La tradition consolide la Suisse mais doit sa prospérité à son ouverture et à son universalité. A la question posée par L’Hebdo – «Qu’est-ce qu’être Suisse aujourd’hui?» –, je réponds qu’être Suisse aujourd’hui, c’est admettre que le monde nous fait comme nous faisons le monde. 

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
Keystone
Rubrique Une: 
Pagination: 
Pagination masquée
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

Être Suisse. Par Micheline Calmy-Rey

$
0
0
Jeudi, 28 Juillet, 2016 - 05:57

Ce qui nous unit, c’est la volonté de vivre ensemble avec nos différentes langues, origines et religions. Ce qui nous unit, ce sont des symboles, comme le Grütli; des valeurs, comme la neutralité. C’est tout ce qui lie chacun et chacune d’entre nous à son pays, à ses institutions politiques, à sa tradition pacifique et démocratique. C’est notre attachement à nos paysages, nos lacs et nos montagnes, à un univers de couleurs, de saveurs et d’odeurs. Ce qui nous fait nous savoir chez nous, ce sont les wagons CFF, les panneaux verts des autoroutes, les cars postaux du géant jaune; ce sont nos parlers lents, nos accents, la diversité de nos langues et de nos cultures.

Il était une fois un commentateur britannique qui parla de «swissness» à propos de l’Europe. Elle se serait assoupie, gavée de prospérité et devenue sans influence politique dans le monde. Il illustra sa thèse avec une citation tirée du film d’Orson Welles Le troisième homme: l’Italie sous les Borgia avait vécu de guerres et de sang pendant trente années. Elle produisit Michel-Ange, Léonard de Vinci et la Renaissance.

La Suisse connut cinq cents ans de paix et de démocratie et n’aurait inventé qu’une horloge. Une horloge, oui, qui marque le temps et qui a révolutionné le fonctionnement des sociétés industrielles, une horloge, produit de technologies de plus en plus sophistiquées, comme l’horloge atomique, le meilleur d’une Suisse, moderne et innovatrice, capable de faire valoir son savoir-faire et ses atouts partout dans le monde.

En Suisse, la diversité n’est pas une illusion, mais une réalité; quatre langues nationales, différentes religions, différentes cultures, différentes ethnies. La Suisse n’est pas monolangue, monoculture, monoethnie. Elle est translangue, transculture, transethnie. Le moins que l’on puisse dire est que la Suisse est un pays intéressant à la fois parce que ses citoyens et citoyennes participent directement au processus de prise de décision politique et parce que la Suisse est un modèle unique de fédération dans le contexte européen. La Suisse est une démocratie transnationale qui réussit malgré la diversité de ses langues, de ses ethnies et de ses cultures.

En 2008, la Suisse gagne la Coupe de l’America. Sur le bateau d’Alinghi, un seul membre de l’équipage de nationalité suisse. J’ai été très fière de cette capacité suisse de réunir, de souder des personnes venues d’horizons divers et de faire de cette addition des différences un atout gagnant.

Le monde est interdépendant et globalisé. Cela signifie des mouvements de capitaux, de marchandises, de services et de populations. Comment agir? Comment réagir à ce qui se passe?

Nous vivons dans un monde où les inégalités s’accroissent. Pas seulement les inégalités matérielles, avec une répartition injuste des richesses, mais aussi les inégalités culturelles et religieuses. Ces différences sont vieilles comme le monde et elles comprennent toujours deux côtés, elles nous enrichissent mutuellement mais sont aussi sources de conflits et de mal-être. La présence de l’autre génère souvent un sentiment de perte, perte de soi-même, de son identité, de sa patrie. Et nous réagissons avec peur. Qui a peur bâtit des barrières, renforce les frontières. Ainsi, l’autre devient encore plus autre et la capacité de bâtir en commun s’érode.

Nous sommes des patriotes qui aiment leur pays et celles et ceux qui y vivent. Nous ne sommes pas des nationalistes qui ont fait le choix de haïr les autres et de les exclure. Ce dont nous avons besoin, c’est d’unir et non pas d’exclure. La diversité et la multiplicité des origines et des cultures sont pour nous une réalité familière, vécue au quotidien. Elles sont notre identité. Sur elles reposent les valeurs qui assurent la cohésion de notre pays.

Mais les valeurs ne poussent pas sur les arbres. Elles grandissent au cours d’un processus historique, elles naissent dans le discours, dans la pensée, dans la pratique politique, et dans le dialogue avec la différence. Il nous faut débattre des valeurs, les étudier, les entretenir, les transmettre et, au besoin, les défendre et les assumer.

Un sentiment d’appartenance naît d’une histoire, d’activités, d’événements et de discussions communes à travers un échange permanent entre autorités et population. Cela nécessite de pouvoir interagir et s’influencer mutuellement. C’est la réalité de mon pays, c’est aussi ma vision de l’Europe: une Europe qui motive ses citoyens et ses citoyennes, leur donne le pouvoir de faire, de comprendre leur continent et de le considérer comme étant le leur. Et lorsque l’on se pose la question de savoir comment créer une identité lorsque celle-ci n’existe pas, alors le modèle suisse peut inspirer.

Le XXIe siècle pose la question de l’intégration, de sa voie et de ses moyens. Il me paraît que là se situe le vrai débat de l’identité. 

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
Rubrique Une: 
Pagination: 
Pagination masquée
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

Point final: éloge de l’ombre

$
0
0
Jeudi, 28 Juillet, 2016 - 05:57

On ne loue pas assez les bienfaits de l’ombre, dans cette époque d’intense exposition. Je ne parle pas des risques de cancer de la peau, mais de recherche de clarté et d’intelligence. En effet, aujourd’hui, l’idéologie ambiante nous enjoint de tout éclairer. De tout montrer et de nous montrer en permanence. Une idéologie qui découle du Siècle des lumières, mais dévoyée, puisque cette surexposition finit par aveugler au lieu de transmettre le savoir. Heureusement, une tradition de poètes et de penseurs a pris la défense de l’ombre. Replongeons-nous avec délices dans La poétique de l’espace du philosophe Gaston Bachelard, publiée en 1957.

Les lieux obscurs et confinés telles les grottes, les coquilles, les petites pièces où l’on peut se retirer, sont propices à la rêverie, explique-il. C’est là que la création peut avoir lieu. Sous d’autres latitudes, l’écrivain Tanizaki, dans son Eloge de l’ombre, paru en 1933, regrette que la propagation des ampoules électriques ait ruiné le clair-obscur des intérieurs traditionnels japonais. Serait-ce de l’obscurantisme? Non, l’ombre était «palpitante» et donnait de la profondeur, alors qu’une lumière trop vive suffoque et écrase la vision.

Nietzsche et, plus près de nous, Michel Serres vont dans le même sens. «Si l’on fait du jour le champion du savoir, il n’y a de vérité qu’unique et totalitaire, aussi dure et sans nuance que le soleil de midi», expliquait le philosophe français dans Le gaucher boiteux, paru l’an passé. N’est-ce pas à cette nuance de discernement, à cette profondeur du clair-obscur, que nous devrions tendre? 

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
Rubrique Une: 
Auteur: 
Pagination: 
Pagination masquée
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no
Viewing all 15989 articles
Browse latest View live