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Séisme et géographie

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Jeudi, 1 Septembre, 2016 - 05:59

Le séisme qui a frappé l’Italie centrale le 24 août a violemment secoué une zone montagneuse à cheval sur quatre régions, d’où parfois quelques confusions sur la localisation exacte des lieux dévastés. Les villages les plus touchés sont dans les Marches (Pescara del Tronto et Arquata), dans le Latium (Amatrice et Accumoli), alors que l’épicentre se situe au sud-est de Norcia, en Ombrie. Accumoli appartient à la province de Rieti (Latium) mais était rattachée autrefois à celle de L’Aquila, dans les Abruzzes.

Le tremblement de terre de L’Aquila, en 2009, avait fait 309 morts. Celui qui avait touché Norcia, en 1997, douze dans toute la région d’Ombrie. A Norcia, reconstruite depuis aux normes antisismiques, il n’y a eu aucun mort, seuls des dégâts matériels sont à déplorer. A ce jour, la protection civile italienne recense 292 morts et 2500 personnes privées de toit. Mille cinq cents répliques ont été enregistrées.


Pasta solidaire

L’initiative a été lancée par des restaurateurs romains du Trastevere quelques heures à peine après le séisme, alors qu’Amatrice commençait à compter ses morts. Deux euros par plat de pâtes all’amatriciana, célèbre sauce très populaire dans le Latium – la région de Rome – et les Abruzzes.

A l’origine, plat de berger à base de joue de porc salée, de pecorino romano et de pâtes, cette sauce s’est enrichie de tomates, piment et ail, enrobant idéalement des bucatini sinon des spaghettis. Les fonds recueillis grâce à cette action de solidarité seront versés à la Croix-Rouge italienne en faveur des victimes du séisme. 

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Staccato: vous touche-t-il?

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Jeudi, 1 Septembre, 2016 - 05:59

«Alors, C’était bien? Il t’a touchée?» Lena m’a répondu sur le ton de la gentille fille qui ne veut blesser personne. «Il était sympa et il m’a paru très compétent mais, bon (silence découragé…), il ne m’a pas touchée.» Mince, encore un tactilo-radin. Courage, Lena. Ta quête ne fait que commencer.

Non, Lena ne cherche pas un amoureux mais un médecin. Simplement, quand elle consulte, elle a besoin de sentir sur elle les mains bienveillantes du docteur (qui est d’ailleurs, le plus souvent, une doctoresse). Elle attend ces gestes par lesquels il lui tâte le ventre et le cou, pose un stéthoscope dans son dos pour l’écouter de l’intérieur. Ce petit rituel tactile par lequel il dit sans un mot: «Nous entrons en relation, je vais prendre soin de vous, j’écoute votre plainte, je fais preuve, au sens propre, de compassion.»

Elle en avait un, de médecin, Lena. Mais, entre eux, il y a eu comme une rupture de confiance. Souffrant de nausées et de douleurs abdominales, elle est allée le trouver. Il lui a prescrit: 1) une prise de sang; 2) une coloscopie; 3) une ultrasonographie abdominale. Tout ça en restant assis derrière son bureau, sans l’effleurer. Non mais, sérieusement, comment peut-on prétendre soigner quelqu’un sans le toucher?

C’est pourtant le cas d’un nombre considérable de praticiens. Et, non, on se calme du côté de l’UDC: ce n’est pas un complot culturellement suspect tendant à promouvoir la notion de «consultation pudique». C’est le progrès scientifique en marche: les mêmes études qui encouragent la prolifération d’analyses techno-chics et chères disqualifient les performances du bon vieux toucher en matière de diagnostic. Trop flou, pas assez quantifiable, limite intuitif – berk.

Peut-être. Ce qui est sûr, c’est que moins on palpe, moins on sait palper. Mais, surtout, allô les éminents chercheurs: il y a un gros malentendu. En me prêtant à l’examen tactile, je ne m’attends pas à un diagnostic infaillible, j’ai juste besoin de sentir qu’on s’occupe de moi.

Je ne suis pas la seule. Dans mon cercle d’amis, nous avons mis un moment à mettre le doigt sur ce qui est longtemps resté un malaise informulé. Depuis, on se lâche en se filant les tuyaux: «Celle-là, oui, tu peux y aller. Celui-là, rien du tout, laisse tomber.»

Il y a juste un truc qui nous étonne: que l’on puisse s’étonner du succès des ostéopathes, masseurs ayurvédiques et guérisseurs divers. Ils ont un secret? Facile, je le connais: ils touchent.

anna.lietti@hebdo.ch/ @AnnaLietti

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Le cri d’alarme des chercheurs

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Jeudi, 1 Septembre, 2016 - 06:00

Enquête. La place scientifique suisse est aux abois. Elle ne sait toujours pas si elle pourra rester associée au programme européen Horizon 2020. Le risque d’une fuite des cerveaux est réel.

La Suisse rayée de la carte européenne de la recherche? Ce scénario catastrophe, impensable avant la votation du 9 février 2014 sur l’immigration de masse tant la place scientifique accumulait les succès, apparaît aujourd’hui de plus en plus probable. Si la Suisse ne ratifie pas un protocole sur la libre circulation des personnes étendue à la Croatie dans les six prochains mois, elle se verra reléguée au statut d’Etat tiers concernant le programme européen Horizon 2020.

Et ses chercheurs, aussi talentueux soient-ils, seraient privés des bourses d’excellence de l’UE. Au Secrétariat d’Etat à la formation, à la recherche et à l’innovation (Sefri), la tension est si palpable qu’il est impossible d’arracher la moindre déclaration à son chef, Mauro Dell’Ambrogio. Un silence assourdissant!

C’était hier, ou presque: en janvier 2013, la Commission européenne annonce qu’elle a choisi le projet de l’EPFL Blue Brain Project, de Henry Markram, pour en faire l’une de ses deux initiatives phares de l’avenir. Ce projet, qui vise à simuler le fonctionnement du cerveau grâce à un superordinateur, porte sur un budget d’environ 1,2 milliard d’euros. Indiscutablement, la place scientifique suisse est l’une des meilleures d’Europe. Elle s’affiche aussi comme l’une des grandes bénéficiaires du 7e Programme européen de recherche: ses hautes écoles en retirent plus d’argent que la Confédération n’y investit par sa contribution annuelle, d’environ 400 millions de francs.

A peine trois ans plus tard, cette même place est aux abois. Aujourd’hui, dans L’Hebdo, ses chercheurs sont unanimes à souligner l’importance de participer à Horizon 2020. Et leurs déclarations résonnent comme un cri d’alarme destiné au monde politique.

«Are you in or out?»

A la suite de la votation de 2014 qui a braqué l’Union européenne, celle-ci a placé la Suisse sur un strapontin pour ce qui est d’Horizon 2020, en lui concédant provisoirement un statut d’association partielle qui n’a rassuré personne. Ses conséquences se sont vite traduites dans les chiffres. Jusqu’en 2015, la Suisse n’a touché que 2,2% des fonds alloués par l’UE, contre 4,2% lors du programme précédent. Autre indicateur alarmant: elle n’assume plus que 0,3% des coordinations de projets, contre 3,9% auparavant.

Pour les chercheurs basés en Suisse, le climat d’incertitude ambiant est un poison. «Are you in or out?» ne cesse-t-on de leur demander à propos de leur participation à Horizon 2020. L’actuel statut bancal alimente les rumeurs. Côté européen, certains ont fait courir le bruit qu’un institut suisse ne pouvait plus assumer de coordination de projets, ce qui est faux. D’autres se mettent à réclamer une garantie de financement, ce qui n’est pas possible.

Impensable à Berne d’offrir une telle garantie par écrit, même si le Secrétariat d’Etat à la recherche fait tout pour soutenir ses chercheurs. Pour la période transitoire s’achevant à la fin de cette année, c’est lui qui finance la part suisse des projets européens (266 millions de francs en 2015), étant donné que la Confédération ne paie plus de contribution forfaitaire à l’UE comme par le passé. Jusqu’à présent, il n’a jamais remis en question le moindre projet déjà approuvé à Bruxelles.

Le contexte n’en demeure pas moins pesant, car Horizon 2020 n’attend pas les derniers développements de la crise politique entre Berne et Bruxelles pour continuer à tourner. Le 13 juillet dernier, le Secrétariat d’Etat à la recherche a demandé à ses chercheurs de rédiger leurs projets pour 2017 comme si la Suisse était de nouveau associée au programme européen. Dans l’urgence, ceux-ci ont dû demander à leurs partenaires de refaire les plans de financement dans les consortiums, ce qui n’a pas manqué de susciter quelques grincements de dents.

Le Secrétariat d’Etat table donc sur un scénario optimiste, sans que rien ne le fonde pour l’instant. A Neuchâtel, le professeur de l’EPFL Christophe Ballif est passé par tous les états d’âme ces derniers temps. Certes, les nouvelles ont été parfois rassurantes: ainsi, son centre de photovoltaïque a décroché un rôle de coordinateur pour un projet concernant une nouvelle génération de cellules solaires (lire Sept exemples de projets affectés), baptisé CHEOPS. Une preuve que le savoir-faire helvétique l’emportait sur toute autre considération.

La crainte d’être distancés

Mais en fin de compte, les faits illustrent l’ampleur des dégâts générés par la votation sur l’immigration de masse qui oblige le Conseil fédéral à ne pas respecter l’accord sur la libre circulation des personnes passé avec l’UE. Ainsi, en 2015, le CSEM (Centre suisse d’électronique et de microtechnique) a vu la somme de ses projets dans le cadre d’Horizon 2020 se réduire de 9 à 6 millions environ. «C’est une perte de revenus et de savoir-faire pour les chercheurs suisses, mais aussi pour notre industrie, qui participe à ces projets. Nous risquons d’être distancés par les meilleurs consortiums de projets dans le monde», s’inquiète Christophe Ballif.

Actuel président du Conseil national de la recherche du Fonds national suisse et futur président de l’EPFL, Martin Vetterli ne dit pas autre chose. «Le chercheur suisse n’est plus considéré comme un partenaire fiable. C’est une question uniquement politique, et non de compétences.»

Risque d’exode des cerveaux

Au Sefri, personne ne veut croire au scénario du pire. Si la Suisse était reléguée au statut d’Etat tiers, elle se verrait exclue, notamment, des bourses d’excellence ERC (European Research Council). Or, ces bourses sont la carte de visite des hautes écoles. Tout le monde est d’accord sur ce point: l’image de la place scientifique en pâtirait, avec un risque de brain drain (exode des cerveaux) à la clé.

«La Suisse aurait d’une part de la peine à attirer d’excellents chercheurs, et d’autre part elle perdrait les meilleurs qu’elle a déjà, car ce sont toujours les meilleurs qui s’en vont d’abord», note Peter Erni, directeur du réseau Euresearch en Suisse. Dans une chronique parue dans la NZZ en juin dernier, le secrétaire d’Etat, Mauro Dell’Ambrogio, s’interrogeait: «Quel footballeur talentueux jouerait dans un pays exclu des compétitions européennes, notamment de la Champions League?»

Poser la question, c’est déjà y répondre. Au cours des dernières décennies, la recherche s’est internationalisée au même rythme que l’économie s’est globalisée. Le recteur de l’EPFZ, Lino Guzzella, vient de le rappeler lors de la Journée de l’économie de l’association faîtière economiesuisse, à Berne: ses chercheurs entretiennent 8000 contacts avec des universités et partenaires industriels du monde entier, dont la moitié en Europe.

De tout temps, la place scientifique helvétique, qui offre des conditions-cadres très favorables, a accueilli à bras ouverts des chercheurs étrangers. A Bâle, l’Italien Ivan Martin travaille sur un projet innovant de traitement des blessures du cartilage. Il dirige une équipe de 30 collaborateurs venus du monde entier: d’Europe, bien sûr, mais aussi des Etats-Unis, d’Iran et d’Inde. «Si la Suisse était exclue d’Horizon 2020, nous ne pourrions pas attirer de tels spécialistes.»

Même son de cloche à Lausanne, où le médecin-chef au Service des maladies infectieuses du CHUV, Blaise Genton, participe au projet EbolaVac avec trois autres partenaires. Quand a éclaté cette épidémie, qui a fait 11 000 victimes dans cinq pays africains, notamment, l’UE a lancé un appel au développement d’un vaccin en débloquant un budget de 20 millions d’euros. Tout est dès lors allé très vite. «Nous avons fait une proposition dans les dix jours, puis obtenu un financement en quarante-cinq jours», explique Blaise Genton.

«Dans le développement d’un vaccin, il est rare que quelqu’un fasse une découverte décisive tout seul dans son laboratoire. C’est plutôt la synergie des travaux de plusieurs groupes ayant chacun leur spécificité qui débouche sur un produit plus performant», ajoute-t-il.

Science globale

Et si, malgré ce contexte d’une science globalisée, la Suisse était privée de son réseau européen? Et s’il fallait tout de même y penser, à ce plan B – une Suisse réduite au statut d’Etat tiers dans Horizon 2020 – que personne n’ose envisager? Le sujet est si sensible qu’aucun responsable ne veut se prononcer à ce propos. Interrogé, Martin Vetterli demande à pouvoir «jouer son joker», tout en précisant: «Le principe de la compétition tient en ce qu’elle est ouverte et internationale. On ne peut pas remplacer une concurrence au niveau européen par une autre réduite à l’échelon national.»

Il y a la question de l’argent, bien sûr. L’UE est la deuxième source de financement de la recherche en Suisse, après le Fonds national, qui dispose de 1 milliard de francs par an. Le 7e Programme européen de recherche a financé des projets suisses pour près de 500 millions par an entre 2007 et 2013. L’EPFL a touché à elle seule 300 millions d’euros, répartis sur 500 projets.

Mais la question financière n’est pas forcément la plus importante en cas de plan B. Le Parlement devrait rédiger une nouvelle loi en réglant notamment la question du remplacement des bourses d’excellence ERC. Cet exercice, le Secrétariat d’Etat à la recherche l’a déjà tenté en 2014, lorsque la Suisse s’est retrouvée face à un grand vide juridique après que l’UE a gelé toutes les négociations avec la Suisse. Durant six mois, elle a copié le modèle ERC en en reprenant toutes les règles pour offrir des bourses suisses.

Problème d’attractivité

Deux problèmes ont surgi. Celui de l’attractivité tout d’abord: aucun chercheur européen de pointe n’est attiré par une bourse suisse s’il peut en décrocher une bien plus prestigieuse. Celui des panels d’évaluation ensuite: il a été quasiment impossible de les composer avec des experts de pointure internationale. Bilan de l’exercice: «Plus jamais ça!» s’exclame un spécialiste.

Au niveau politique, les anti-Européens se sont réjouis du Brexit, le 23 juin dernier. Dans cette Grande-Bretagne claquant la porte de l’UE, ils ont cru voir un futur allié de poids pour la Suisse. Dans les faits, ce n’est pas le cas pour l’instant. Tout simplement parce que le calendrier des négociations est totalement différent. La Suisse doit trouver une solution dans les six prochains mois. Quant aux Britanniques, ils ne quitteront pas l’UE avant deux ans, voire cinq, plus vraisemblablement.

Martin Vetterli craint le climat d’incertitude qui pourrait entourer le financement du programme Horizon 2020. «Dans la perspective de la future perte d’un gros contributeur comme la Grande-Bretagne, l’UE pourrait durcir sa position face à la Suisse. Nos chances de trouver un accord avec elle se sont péjorées», estime-t-il. Sans parler du fait que des membres de l’UE moins compétitifs sur le plan scientifique ne seraient pas mécontents de voir deux pays de pointe quitter le club.

Le plus frustrant dans tout cela, c’est que les chercheurs, premières victimes expiatoires de la votation de 2014, dépendent d’un accord politique sur lequel ils n’ont aucune prise. Au Conseil fédéral, le pilote du dossier est Johann Schneider-Ammann, qui veut y croire et répète à qui veut l’entendre qu’«il n’y a pas de plan B». Certes, le pire n’est jamais sûr et la panique n’est pas de mise. Mais l’érosion de la place scientifique suisse a commencé. 

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Christophe Chammartin Rezo
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Les balades qui font du bien: trois jours de retraite parmi les frères cisterciens

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Jeudi, 1 Septembre, 2016 - 06:00

Abbaye d’Hauterive. Prières, chants, méditation et silence: des moments pour savourer le temps qui passe, pour fuir l’actu qui cependant nous rattrape dans un parfum d’éternité.

Une demi-lune caresse les toits de l’abbaye d’Hauterive, à 7 kilomètres de Fribourg. Je devrai attendre les laudes, deux heures trente plus tard, pour que les premiers rayons du soleil et les cloches de l’église romane du XIIe siècle célèbrent avec des psaumes de louange la lumière du monde, miroir de Sa Lumière. Il est 4 heures, ce mardi 26 juillet 2016, quand je descends dans le silence des étoiles l’escalier en bois de cinquante-quatre marches reliant l’hôtellerie sobre et confortable, où je réside, à l’église où vont être célébrés les vigiles.

C’est le premier des sept rendez-vous de prière des dix-huit moines de l’abbaye cistercienne. Pour arriver à Hauterive, bâtie sur un méandre de la Sarine, il a fallu déjà descendre, toujours descendre. Est-ce, comme me l’a confié la veille Frère Marc, abbé du monastère, pour «retrouver Dieu qui s’est fait très bas»?

Frère Marc, ce moine de 45 ans au regard vif et au verbe clair, a quelque peu hésité avant de se lancer dans sa vision de l’évolution du monachisme d’Occident. Il a craint que son résumé ne soit trop lapidaire. Mais l’audace l’a emporté sur la prudence. Au fil de ma descente, sa brillante démonstration me revient en mémoire: au VIe siècle, quand Benoît de Nursie fonde l’Ordre des bénédictins, la chrétienté est à construire. Pour ce faire, les moines restent attachés à la même communauté toute leur vie, selon la Règle établie par Benoît pour guider ses disciples. Autour des abbayes villages et villes se déploient, assurant la stabilité de l’Empire carolingien. Les monastères bénédictins sont haut perchés, bien visibles. Ils rayonnent sur le monde.

Six siècles plus tard, Bernard de Fontaine, abbé de Clairvaux, veut réformer la vie religieuse. Il promeut l’Ordre cistercien. C’est alors le temps de la simplification, du retour à l’esprit de la Règle quelque peu émoussé. Les chrétiens sont désormais omniprésents. Les moines se retirent dans les vallées, loin des cités. Quand l’abbaye d’Hauterive est fondée en 1138 par Guillaume de Glâne, Fribourg n’existe pas encore. Et Frère Marc de s’interroger.

Dans notre monde déchristianisé du XXIe siècle, ne faudrait-il pas à nouveau s’inspirer du modèle bénédictin qui rayonne, au lieu de celui qui aspire? Cependant, les demandes d’accueil sont en augmentation. Le souhait de se retirer d’un monde de plus en plus agité? La recherche d’un repère dans une actualité déboussolée?

Paroles fortes

«Seigneur, qu’ils sont nombreux mes adversaires, nombreux à se lever contre moi…» Les moines viennent d’entonner le premier psaume des vigiles. Leur voix est étonnamment limpide, comme s’ils avaient chanté toute la nuit. Seul à les accompagner, j’essaie d’émettre un son en m’aidant d’un livret mis à disposition. Las, rien ne sort, ma voix reste endormie dans une nuit inhabituellement écourtée. «Mais toi, Seigneur, mon bouclier, ma gloire, tu tiens haute ma tête», poursuit le psaume.

Ces paroles fortes contrastent avec l’extrême douceur de l’atmosphère. Elles vont cependant étrangement résonner en moi quand, ce même 26 juillet à 11 heures 40 précises, juste avant sexte, l’office de la sixième heure, mon smartphone que j’ai distraitement laissé allumé crache une alerte de RTS Info: «Un prêtre tué lors d’une prise d’otages dans une église en France.»

Habituellement, l’actualité rythme mon quotidien de journaliste. A l’abbaye d’Hauterive comme dans tous les monastères, ce sont les cloches qui donnent le tempo de la journée entièrement consacrée à la prière, avant, pendant et après les offices. Les moines tirent sur de longues cordes reliées aux cloches, dans un geste à la fois puissant, doux et précis. Là aussi, tout part du bas, du bassin, jusqu’au clocher d’où le son redescend comme une vibrante respiration. Pour un moine, prier répond tout simplement à un besoin, comme celui de respirer. «Le premier qui prie, c’est Dieu. Qui nous invite lui-même à prier!» sourit Frère Marc, émerveillé par une formule qui semble lui avoir été soufflée.

Et entre les offices, que fait-on dans le monastère d’Hauterive? Entre la cuisine, la lingerie, l’hôtellerie, le potager, le grand verger, la ferme avec un troupeau de génisses, le magasin, les activités ne manquent assurément pas. Les visiteurs en retraite et les bénévoles sont invités à participer à certaines d’entre elles. Lors de mon bref séjour, j’ai épluché avec mon épouse une montagne de pois mange-tout. Mens sana in corpore sano. Parmi les frères figurent un iconographe, un aquarelliste, deux sculpteurs, un organiste et un flûtiste. Chacun offre ses talents.

Lectures dans le silence

Les trois repas de la journée sont aussi des lieux de rendez-vous. Les personnes en retraite les prennent ensemble. Habituée à annoncer son prénom et invitant ses convives à en faire de même, l’une d’entre elles, visiblement non initiée, se fait gentiment rabrouer. «Les repas se prennent normalement en silence», lui souffle une dame. Dont acte.

Si personne ne parle, tout le monde est invité à écouter, si possible sans broncher, la lecture d’un texte, le même que les moines entendent dans la partie de l’abbaye qui leur est réservée. Il s’agit souvent de biographies, comme celle d’Oscar Romero, archevêque de San Salvador mort assassiné le 24 mars 1980 pour avoir été le défenseur des droits de l’homme et particulièrement des paysans de son diocèse, après une conversion radicale.

Entre efficacité et raffinement

Après le repas, la vaisselle à débarrasser et à laver est enfin l’occasion de lier connaissance. Mais tout s’accomplit au pas de charge. Une machine d’une redoutable efficacité lave et sèche les couverts en moins de deux minutes.

«Dieu est parmi les casseroles et les marmites», aimait souligner sainte Thérèse d’Avila. Au sein de l’abbaye d’Hauterive, il ne s’y attarde visiblement pas. Dans la partie du monastère accessible au public, un oratoire et plusieurs pièces destinées à la méditation, à la lecture ou aux rencontres sont aménagés avec grand raffinement. Par ailleurs, tout près de l’église, une immense crèche déclinée en plusieurs tableaux sur la naissance et l’enfance de Jésus vaut le détour. Enfin, tout autour du monastère, une promenade le long des chemins longeant la Sarine, notamment une vertigineuse falaise, me fait comprendre le sens premier de Haute Rive.

Après trois petits jours de retraite, comment ne pas se laisser toucher par le souffle du silence que les moines cisterciens laissent passer une fois achevés chants, prières et sons de cloche, des vigiles à complies, de la première à la dernière heure?

Abbaye d’Hauterive
Chemin de l’Abbaye 19
1725 Posieux
026 409 71 00
www.abbaye-hauterive.ch

Accueil
En semaine: de 9 h 45 à 11 h 30 et de 14 h 15 à 17 h.
Dimanches et fêtes: de 11 h à 11 h 30 et de 15 h à 16 h.
Frais de séjour: 60 francs par jour, repas compris (prix proposé).

Retrouvez nos propositions de balades, d’adresses originales et davantage de photos pour chacun des itinéraires sur heb.do/balades

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Des pizzas venues du ciel

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Jeudi, 1 Septembre, 2016 - 06:00

Les premières livraisons commerciales par drone auront lieu en Nouvelle-Zélande d’ici à la fin de l’année. La chaîne Domino’s Pizza a conclu un partenariat avec la firme Flirtey, un opérateur de drones américain, qui déploiera ces robots volants dans le ciel du pays austral pour qu’ils acheminent des pizzas à ses clients. Ces derniers pourront passer leur commande à l’aide d’une app. Les drones, qui voleront à une altitude de 60 mètres, les localiseront grâce au signal GPS de leur téléphone et leur enverront un message juste avant la livraison.

«Cela n’a aucun sens d’utiliser des machines pesant 2 tonnes pour livrer un produit qui ne fait que 2 kilos», a commenté le CEO de Domino’s Pizza, Don Meij, en annonçant ce projet. La Nouvelle-Zélande, pays très étendu à la population clairsemée, a adopté une loi l’année dernière qui autorise les livraisons commerciales par drones. A terme, Domino’s Pizza aimerait étendre ce système à l’Australie, à la Belgique, à la France, aux Pays-Bas, au Japon et à l’Allemagne. Amazon a des projets similaires aux Etats-Unis pour la livraison de ses paquets, mais se heurte pour l’heure à des obstacles réglementaires portant notamment sur la sécurité de ces engins volants. 

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Des cartes postales au bout des doigts

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Mercredi, 7 Septembre, 2016 - 05:49

Sylvia Revello

Décodage. Les cartes personnalisées, envoyées depuis un téléphone portable et délivrées gratuitement par La Poste, séduisent toujours davantage: 3 millions d’envois depuis janvier.

Les caractères d’imprimerie ont remplacé les taches d’encre, le grain lisse du papier industriel celui du toucher cartonné. Et pourtant, le message reste intact. Baisers de Capri, pensées de Séville ou clin d’œil de Split: les cartes postales envoyées via un téléphone portable et délivrées par La Poste font toujours rêver. Une photo souvenir, un petit texte, un clic et l’envoi part.

C’est alors, pour le destinataire, le même sursaut du cœur en ouvrant sa boîte aux lettres, le même sourire en parcourant les quelques lignes rédigées par un frère, une cousine ou, pourquoi pas, un amant. Lancée au printemps 2014, l’application gratuite de La Poste séduit toujours plus de personnes: quelque 3 millions de cartes ont été envoyées depuis le début de l’année, 4,5 millions en 2015.

Simple, rapide et efficace: Erna Pinard, domiciliée au Landeron, dans le canton de Neuchâtel, ne tarit pas d’éloges sur l’application PostCard Creator, que son filleul lui a fait découvrir il y a un an. «C’est étonnamment très facile. En une minute, on peut prendre une photo et l’envoyer accompagnée d’un message. La personne la reçoit par courrier A, imprimée dans sa boîte aux lettres», explique la retraitée de 69 ans, visiblement à l’aise sur les supports numériques.

Une manière pour elle de garder contact avec ses petits-enfants. «Comme ils travaillent énormément, je n’ai pas l’occasion de les voir souvent. Leur écrire me permet de leur rappeler que je pense à eux.» Dernière pensée en date: une carte adressée à sa fille, qu’elle a envoyée depuis Loèche-les-Bains.

Un envoi par jour

Limitée à un envoi gratuit par jour, l’application fonctionne à l’intérieur du pays, et depuis l’étranger vers la Suisse et le Liechtenstein. Pour ceux qui veulent envoyer davantage, la carte postale coûte 2 fr. 75 en courrier A et 2 fr. 40 en courrier B. «A la frontière entre le numérique et le physique, les cartes postales concoctées sur l’application PostCard Creator offrent une prestation numérique incarnée», précise Nathalie Dérobert, porte-parole de La Poste. Le côté sur mesure séduit, l’argument financier aussi. «Entre l’achat des cartes et des timbres, écrire depuis l’étranger revient vite cher», soulève Erna Pinard, qui continue toutefois à avoir recours aux cartes postales traditionnelles de temps en temps.

«Plutôt que de recevoir un banal cliché de la tour Eiffel sur papier glacé, mon grand-père me découvre tout sourire à ses pieds», s’enthousiasme quant à lui Daniel Santos, étudiant genevois de 19 ans. Lassé des paysages vus et revus ou des monuments convenus, le jeune homme n’utilise plus que l’application mobile pour donner des nouvelles décalées à sa famille lorsqu’il est en vacances. «Le concept est plus fun, on peut prendre une photo différente pour chaque personne en fonction de ses goûts et même lui rappeler une anecdote ou lui faire une blague avec une photo rébus.»

Opération marketing?

Des cartes postales gratuites, rien qu’une opération marketing? Bien sûr, La Poste en profite pour diffuser un court texte publicitaire, imprimé sur chaque carte postale. «Mais c’est aussi l’occasion de faire la promotion de notre service de mailing professionnel qui, lui, est payant», précise Nathalie Dérobert. Avec des milliers d’envois en courrier A chaque année, l’opération est-elle rentable? «Nous ne communiquons pas de chiffres à ce sujet, mais en termes d’image, le gain est évident. Moderne, flexible, La Poste se renouvelle et montre qu’elle sait adapter ses prestations aux nouvelles technologies.» Et ça marche. Les pensées virtuelles, couchées sur papier, s’échangent sans discontinuer. 

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La Poste
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Claudine Brohy, conseillère en ressources linguistiques

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Mercredi, 7 Septembre, 2016 - 05:51

Rencontre. Elle a fait du plurilinguisme sa cause. Mais à quoi bon bâtir des ponts pour ceux qui n’en veulent pas? Lauréate du prix Oertli 2016, Claudine Brohy trouve encore des raisons d’y croire.

«Le plurilinguisme est une ressource naturelle de ce pays. Ne pas l’exploiter, c’est comme vivre au bord de l’eau sans apprendre à nager.» Claudine Brohy sourit, à l’ombre d’une somptueuse terrasse dominant la Basse-Ville de Fribourg. C’est une chercheuse, elle en impose dans les congrès par sa précision et sa compétence. Mais c’est aussi une chaleureuse avocate de la vie linguistiquement augmentée, elle met dans le mille, car elle parle d’expérience. Exemple: «J’avais une petite cousine trisomique. Elle ne savait ni lire ni écrire mais elle était parfaitement bilingue!»

Après trois décennies de recherche, d’enseignement et d’activités de promotion de l’enseignement plurilingue, la linguiste reçoit aujourd’hui, en même temps que la traductrice Ursula Gaillard, le prix Oertli. La voilà honorée pour son action de «bâtisseu[se] de ponts entre les régions linguistiques». Applaudissements. Mais, sans vouloir gâcher l’ambiance, on ne peut s’empêcher de lui rappeler que les nouvelles sont plutôt déprimantes sur le front du plurilinguisme helvétique. Voyez le recul du français à l’école primaire alémanique: à quoi bon bâtir des ponts pour ceux qui n’en veulent pas?

Le sourire se fait soupir. «C’est vrai, ce recul est préoccupant. Je crains qu’on n’en arrive à des votations, avec une vilaine campagne qui bétonne les préjugés. Quel dommage: il n’y a pas si longtemps, les Alémaniques étaient tellement francophiles…» La vaillante bâtisseuse s’empresse néanmoins d’énumérer les raisons d’espérer. Le peuple fribourgeois a rejeté l’enseignement bilingue à l’école obligatoire?

Certes, mais à l’université, où elle travaille, «les compétences des futurs enseignants d’allemand se sont améliorées». En Valais, à Neuchâtel, à Bienne, à Fribourg, l’enseignement immersif fait des progrès. La maturité bilingue a le vent en poupe et «les écoles professionnelles sont en train de mettre le paquet pour développer des diplômes analogues». Bilan? «Ça avance. Même si c’est trop lentement.»

Mais il n’y a pas que l’école. Claudine Brohy a été élevée dans une famille aux origines mélangées – françaises, allemandes et suisses – qui trouvait tout naturel de ne pas gaspiller les ressources linguistiques à disposition. Ainsi, ses parents étaient bilingues mais, vu qu’à la maison la langue dominante était le français, la fillette a été scolarisée en allemand. En l’écoutant, on pense à tous ces enfants de familles mélangées qui se retrouvent bêtement monolingues parce que le père, ou la mère, a renoncé à transmettre sa langue. «Dernièrement, j’ai conseillé un garçon germanophone pour son travail de maturité. Ce qu’il voulait, en fait, c’est comprendre pourquoi sa mère ne lui avait pas parlé français.»

Oui, pourquoi tous les couples mixtes de ce pays ne raisonnent-ils pas, tout naturellement, comme ceux de Claudine Brohy? Pourquoi ce formidable gaspillage de ressources linguistiques? «Il me semble, tempère la linguiste, que la situation s’améliore: de plus en plus de familles maintiennent deux ou même trois langues à la maison. Il y a quelques décennies encore, les préjugés étaient puissants: attention au risque de mélange et à la confusion mentale!

Il y avait cette idée du bilinguisme patricien, développée notamment par le Fribourgeois Gonzague de Reynold: il fallait que l’apprentissage soit tardif, et réservé à l’élite. Pour le bon peuple, le bilinguisme était dangereux.» Où l’on voit que le succès de la matu bilingue et l’insuccès de l’immersion précoce ne viennent pas de nulle part.

Freins puissants

Aujourd’hui, avec la caution de la science, cette peur du mélange est surmontée. N’empêche, des freins restent, puissants et informulés. «Les langues, c’est comme les religions: ça réveille des enjeux de pouvoir et des conflits de loyauté. Ce qui me frappe, c’est que les futurs parents se laissent souvent surprendre. Je leur répète: il faut en parler avant l’arrivée de l’enfant. Et aussi commencer dès sa naissance: si, lorsqu’il a 3 ans, vous décidez de but en blanc de changer de langue avec lui, il ne marchera pas!»

Mais il n’y a pas non plus que les parents. «Les jeunes adultes arrivent sur le marché du travail et se mordent les doigts de n’avoir pas fait de séjour linguistique: il faut savoir quitter son copain ou sa copine durant six mois pour profiter de l’âge où c’est possible…»

En somme, la bonne gestion des ressources linguistiques, c’est comme l’écologie: «Tout le monde porte sa part de responsabilité.» 

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Pasta, pizza and Co.: l’Italie contre-attaque

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Mercredi, 7 Septembre, 2016 - 05:52

Interview. Sus aux mauvaises imitations mondialisées, place à l’authenticité conquérante! Tel est le credo d’Oscar Farinetti, fondateur d’Eataly, dont le premier centre suisse est annoncé à Lausanne. Mais peut-on mondialiser la pizza vraie de vraie? «Come no!» explique l’énergique Piémontais.

La chaîne de cuisine italienne la plus répandue du monde est allemande (Vapiano), les géants planétaires de la pizza sont étasuniens (Pizza Hut et Domino’s). La nouvelle récente du débarquement de ces derniers dans la Péninsule a suscité l’émoi: sus à l’envahisseur alimentaire! Pour préserver l’identité du centre historique, la ville de Florence oblige dès cette année tout nouvel établissement à servir 70% de produits toscans.

Oscar Farinetti, lui, ne croit pas à la posture défensive. Il a opté pour la conquête. Les Américains ont mis la main sur le marché mondialisé de la pizza? La faute aux Italiens, qui n’ont pas su le faire. Au boulot!

C’est ainsi que, après Tokyo, New York, Séoul, Moscou ou Paris, Lausanne accueillera, en 2019, le premier centre Eataly en Suisse (lire en page 43). Soit un immense bazar haut de gamme grouillant de produits du terroir transalpin, de minirestaurants et d’ateliers interactifs. Ceux qui ont goûté à l’ambiance maison à Milan ou à Rome sont sortis bluffés par ce mélange inédit de gigantisme et de proximité.

L’authentique tradition transalpine, mais mondialisée: c’est donc le concept développé par Oscar Farinetti, jovial moustachu piémontais dont le sourire bon enfant cache un redoutable sens des affaires et du marketing. De son père, l’industriel, partisan et politicien Paolo Farinetti, Oscar a hérité les supermarchés Unieuro, qu’il a convertis en une chaîne nationale de distribution d’appareils électroniques. Avant de la revendre, en 2002, pour fonder Eataly.

La «chaîne de distribution alimentaire d’excellence» assied en bonne partie sa crédibilité sur son partenariat avec Slow Food, l’association (d’origine piémontaise, elle aussi) à but non lucratif qui excelle dans le parrainage des petits producteurs traditionnels. Eataly compte à ce jour 29 centres de par le monde, emploie 5000 personnes et déclare un chiffre d’affaires d’environ 500 millions d’euros.

Conversation avec son créateur, un pied dans la mondialisation, l’autre dans le terroir.

Il y a quelques jours, la Chambre de commerce italienne diffusait des statistiques concernant les pizzerias dans la Péninsule: à Milan, la moitié d’entre elles appartiennent désormais à des étrangers, pour la plupart égyptiens. Votre commentaire?

Bienvenue aux pizzaïolos égyptiens! En Italie, nous avons aussi les éleveurs de bétail indiens, les vignerons balkaniques… Certaines communautés se sont spécialisées dans tel ou tel domaine jusqu’à atteindre un niveau d’excellence. Les Egyptiens sont très compétents en matière de farines, nous en employons d’ailleurs plusieurs dans les pizzerias et les boulangeries d’Eataly. Ils font du très bon travail et se sont bien adaptés aux traditions culinaires locales. Leur pizza napolitaine est excellente. Le futur de l’humanité, c’est l’intégration harmonieuse des peuples et la circulation des produits.

Et les géants américains de la pizza, vous les accueillez aussi à bras ouverts? L’Italie a été jusqu’ici relativement épargnée par les mastodontes du fast-food. L’arrivée de Pizza Hut et Domino’s Pizza n’est-elle pas inquiétante?

Ajoutez l’arrivée Starbucks, pour compléter le tableau. Mais ne comptez pas sur moi pour diaboliser qui que ce soit. Il n’y a pas de mal à faire du commerce, chacun offre ce qu’il a à offrir. Il faut simplement être conscient qu’entre la pizza fabriquée dans la tradition italienne et sa variante américaine, il y a un abîme. Pour moi, il est clair que les Américains ont massacré la pizza, avec ce mélange insensé d’ingrédients qui brouille tous les goûts. Mais, au bout du compte, c’est au consommateur de choisir. Adopter une posture défensive, c’est la pire des attitudes. Mieux vaut conquérir!

C’est dans cet esprit que vous avez fondé Eataly en 2002?

Je suis parti de ce constat: l’Italie est le pays doté de la plus grande biodiversité et d’une richesse culinaire unique. Sa cuisine est la plus imitée au monde. Et pourtant, parce qu’elle est plutôt une terre de petits entrepreneurs, elle n’a jamais engendré une chaîne susceptible de célébrer, à l’échelle mondiale, les merveilles de sa tradition gustative. C’est ce que fait Eataly.

Les chocolatiers suisses ont conquis le monde en variant la recette du chocolat dans chaque pays, pour s’adapter au goût local. Vous, vous voulez convertir les Américains à la pizza napolitaine authentique!

Effectivement, notre principe, à New York comme à Tokyo, Istanbul ou Munich, est de nous en tenir rigoureusement à la recette traditionnelle. Et je peux vous dire que le public apprécie! Depuis six ans, notre centre sur la Cinquième Avenue ne désemplit pas. Figurez-vous que son bar Lavazza est celui qui vend le plus de cafés par jour à New York. Nous venons d’ouvrir un deuxième site à Manhattan, dans le World Trade Center: là aussi, ça démarre très fort.

Comment arrivez-vous à convain-cre les Américains d’acheter une pizza avec, comme ils disent, «presque rien dessus»?

Vous avez mis le doigt sur la question cruciale: la cuisine italienne est faite de peu d’ingrédients, de très haute qualité, assemblés de manière à ce qu’on sente chaque saveur. C’est une cuisine simple, «but it’s difficult to be simple!» C’est ce que découvre le public américain d’Eataly: il apprend à apprécier le moins. Moins de gras, moins de sauce, moins de viande. Prenez un plat de pâtes. Dans les restaurants de Little Italy, la proportion est de 250 grammes de sauce pour 100 grammes de pâtes.

A Eataly, c’est 70 grammes de sauce pour 90 de pâtes. Passer de l’un à l’autre est une question de culture et d’éducation. C’est dans cet esprit que, dans les centres Eataly, on peut acheter des produits, manger des plats cuisinés, mais aussi apprendre, avec toutes sortes de cours et d’animations. Pour simplifier, on peut dire que, jusqu’ici, il y avait d’un côté les grandes chaînes de junk food et, de l’autre, le marché de niche des bons restaurants pour connaisseurs. Notre ambition est de permettre au plus grand nombre d’accéder à la véritable culture culinaire italienne.

En déboursant tout de même un peu plus que dans une chaîne de fast-food…

Un peu, oui. Pour reprendre l’exemple de la pizza: si l’on veut une pâte levée avec la lenteur voulue (au moins vingt-quatre heures), des tomates San Marzano douces, de la mozzarella fior di latte (avec variante possible au lait de bufflonne), de l’huile extravierge et une cuisson au feu de bois, ça revient plus cher que dans une production industrielle.

Mais n’est-il pas contradictoire de vouloir mondialiser l’authenticité? Concrètement, comment vous y prenez-vous?

Nous sommes une chaîne dans le sens que nos centres partagent des valeurs communes: l’accent mis sur l’alimentation responsable, les produits de saison et une chaîne d’approvisionnement courte. Par ailleurs, chacun a son caractère propre et vend des produits différents. Dans les 18 espaces existant en Italie, 40% des produits sont locaux, 60% proposent le meilleur des autres régions. A l’étranger, les produits italiens de grande excellence représentent 60% de l’offre et ceux du pays 40%.

Par exemple: les farines utilisées à New York pour la fabrication du pain in situ viennent d’exploitations agricoles étasuniennes parrainées par l’association Slow Food, qui est notre partenaire et qui est très présente aux Etats-Unis. De la même manière, la mozzarella «made in Eataly» que nous fabriquons sur la Cinquième Avenue est faite avec du lait local, lui aussi garanti par Slow Food. L’idée, c’est: une matière première locale autant que possible et un savoir-faire 100% italien.

Eataly ne s’en tient pas aux produits transalpins: vous avez déjà ouvert des «hamburgerie» dans neuf villes italiennes. C’est une riposte à l’Oncle Sam? Une provocation?

Mais non, rien de tout ça! L’idée de vendre des hamburgers est venue car, parmi les centres agricoles dont nous sommes partenaires, il y a des élevages de la race bovine Fassona piémontaise, qui offre une viande de très haute qualité. Or, le problème du producteur de viande, c’est d’arriver à vendre toute la bête. Les hamburgers nous permettent d’utiliser l’entier de l’animal, dans une logique d’alimentation responsable.

Quand on se promène entre les rayons des magasins Eataly, on retrouve une scénographie de l’abondance typique des échoppes d’alimentation de la Péninsule. L’art de la mise en vitrine, c’est aussi typiquement italien?

Il me semble qu’il faut y voir plutôt un héritage commun à toute la Méditerranée et à ses formidables marchés. Nous y avons ajouté quelque chose qui manquait en Italie, c’est la narration. Nous ajoutons du discours au produit, nous expliquons ce qui distingue un jambon de Parme d’un San Daniele, une semoule d’une farine, une tomate sicilienne d’une émilienne…

Votre prochain projet?

Ma créativité est soumise à des cycles, j’ai besoin de changer régulièrement. Mes trois fils ont déjà largement entrepris la reprise des affaires d’Eataly. Mon prochain projet s’appelle Green Pea, il s’inscrit également dans la logique de l’économie responsable. J’aimerais, dans le domaine de la mobilité, de l’habillement et de l’habitat, vendre des objets qui marient le sens du devoir à celui du plaisir. 


Eataly dans le monde

Vingt-neuf centres sur trois continents, 33 d’ici à fin 2016. Et bientôt l’ouverture du premier Eataly suisse, à Lausanne.

Paris en 2018, Lausanne en 2019. Situé dans un immeuble 1900 du quartier du Flon, le premier Eataly en Suisse occupera 3500 m2, plus les terrasses extérieures. Il sera baigné de lumière naturelle via une galerie en verre de 15 m de haut, comptera plusieurs restaurants ouverts sept jours sur sept et travaillera, comme les autres centres Eataly dans le monde, en partenariat avec les producteurs et maraîchers locaux.

C’est ce qu’annonce Eataly Suisse, la société créée ad hoc par les frères Jérémy et Benjamin Abittan. Le premier est actif dans l’immobilier, le second dans la gastronomie – il vient d’ouvrir le restaurant Opus B, à Genève. Pour faire place au nouveau venu, la société Mobimo, propriétaire du quartier, a dénoncé le bail d’une huitantaine de locataires, dont plusieurs artistes et artisans historiques. Mobimo s’est engagée à reloger ceux qui font «l’âme du Flon». 

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Scandinavie, voyage au cœur de l’immensité

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Mercredi, 7 Septembre, 2016 - 05:54

Anaelle Vallat

Zoom. Fuir la canicule estivale, retrouver le vrai hiver de neige et de glace, affronter la nature, les raisons sont nombreuses pour s’envoler vers le Grand Nord, hiver comme été. Une chose est sûre, ces destinations sont de plus en plus prisées.

Des étendues immaculées à perte de vue, un calme assourdissant entre les forêts de pins, des journées rythmées par les différentes teintes du ciel, l’obscurité qui s’imprègne de rose, de vert et de bleu. Après le fort engouement pour les auteurs scandinaves de ces dernières années, ce sont à présent les paysages des territoires nordiques qui ont le vent en poupe.

«On note une claire augmentation des demandes, affirme Philipp Jordi, directeur de Glur, une agence spécialisée dans les voyages en Scandinavie. «Depuis les événements à Paris et en Turquie, les gens préfèrent le Nord, devenu synonyme de sécurité.» On connaissait la Norvège et la Suède, s’ajoutent désormais au tableau la Finlande et l’Islande. La Laponie, vaste territoire qui s’étend sur quatre pays du nord de la Norvège à la Russie, est particulièrement prisée.

Les pays du Grand Nord offrent aux voyageurs un nouveau genre de destination, loin du tourisme de masse. «Il y a très peu de grandes villes ou complexes hôteliers. Pour vous donner un exemple, la plus grande station de ski en Laponie finlandaise n’atteint même pas la taille de Villars. Les autres ressembleraient plutôt aux Paccots», note Kathleen Deubelbeiss, responsable pour la Romandie de Kontiki Voyages, autre agence spécialisée dans les séjours en Scandinavie.

Longtemps réservées au troisième âge ou aux gens fortunés, ces destinations s’ouvrent aujourd’hui à toutes les tranches d’âge et à toutes les bourses. Elles sont intéressantes aussi pour les familles, qui peuvent par exemple y louer un petit cottage en rondins avec son indispensable sauna au feu de bois, typiquement finlandais.

L’été, avec son soleil de minuit, semble de prime abord la saison la plus propice pour visiter ces contrées. Mais l’hiver offre lui aussi une panoplie d’activités insolites, comme la pêche sur la glace, la découverte d’un élevage de rennes, les chiens de traîneau. Et même la rencontre avec le père Noël, le vrai, en Laponie. Cette saison est également appréciée par les jeunes adultes. «Beaucoup veulent aller là-bas, car le Nord et le froid sont devenus cools. Les sports d’hiver sont attractifs et les villes se développent dans un style easy et trendy qui plaît aux jeunes», explique Philipp Jordi, qui note une augmentation particulière de la demande chez les 18 à 30 ans.

À la recherche des Aurores Boréales

Pour certains, c’est l’occasion de vivre l’hiver comme il n’existe plus chez nous, voire comme il n’a jamais existé. Marcher sur la glace, enfourcher une trottinette à neige pour aller faire ses courses, se balader en motoneige ou en traîneau, s’essayer au ski de fond, dont la Norvège détient le plus grand réseau européen. D’autres recherchent le calme, le repos, les grandes étendues, les paysages imposants.

L’observation d’aurores boréales représente souvent l’un des moments les plus marquants du périple. «Ces phénomènes sont sur la bucket list de la plupart de nos voyageurs. C’est à voir au moins une fois dans sa vie», explique Kathleen Deubelbeiss. L’agence Kontiki a même développé un service qui envoie un message aux clients lorsqu’une aurore boréale est détectée par un satellite, afin d’être sûrs qu’ils n’en ratent pas une miette. «Nous avons été réveillés en pleine nuit par les SMS. On s’est habillés immédiatement pour aller voir le ciel. C’est d’une beauté indescriptible de voir ce ciel illuminé de vert», se rappelle Anne Frei, partie en Laponie après Noël avec ses deux enfants et son mari.

Et le froid, dans tout ça? «Dans l’imaginaire des voyageurs, le Nord est invivable, sauf pour les aventuriers ou les Inuits. Ce n’est pas vrai. Il peut facilement faire jusqu’à – 30 °C en Laponie ou en Islande, mais l’air sec rend cela plus supportable que – 2 °C en Suisse avec l’humidité et la bise», défend Kathleen Deubelbeiss. Propos appuyés par Fabienne, 30 ans, qui a choisi la Finlande pour terminer son tour du monde. «Je m’en suis sortie avec une veste à 10 euro. J’avais un peu froid, mais aucun de mes membres n’a gelé!» 

Cinq heures de jour

Autre particularité de ces contrées en hiver: l’obscurité quasi constante. Le soleil se lève à 10 heures et se couche à 15 heures, ce qui laisse peu de temps aux activités en plein jour. Là aussi, chacun y trouve son bénéfice: grasse matinée sans culpabilité, lecture au coin du feu pendant des heures, excursions sous la lune. «Tout est équipé pour les activités de nuit. Et puis il ne fait jamais totalement nuit, car la lune se reflète sur la neige, c’est très lumineux», rapporte Anne. Fabienne en a encore des étoiles plein les yeux. «J’ai trouvé que ça donnait une ambiance totalement différente au voyage. On en a profité pour se faire un plein de levers de soleil sans avoir à se réveiller à 6 heures du matin. C’était magique!»

Sauna finlandais au feu de bois, chiens de traîneau islandais, ski de fond norvégien ou balade sur les lacs gelés de Laponie, qui a dit qu’il fallait revenir bronzé des vacances pour avoir quelque chose à raconter?

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Point final: débranche!

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Mercredi, 7 Septembre, 2016 - 05:55

Dans son essai «Fragments de lucidité», publié chez Fayard, l’essayiste et journaliste Jean-Louis Servan-Schreiber se plaît à rêver d’un «sabbat» technologique. Un jeûne qui nous permettrait de nous couper de temps en temps des réseaux sociaux et de l’information. Comme le sabbat juif interdit le contact avec les objets technologiques de la vie quotidienne, pour permettre de «reprendre contact avec l’âme». Je m’y suis essayé, la semaine passée, en allant me promener au bord du lac sans mon smartphone.

J’avais l’impression d’être lâché nu, sans protection, dans la nature. Comment faire exister cette promenade si je ne pouvais la photographier et la poster sur les réseaux? A qui témoigner de mon expérience? De plus, je ressentais de légères crispations sur la cuisse droite, comme si l’appareil pourtant absent avait vibré pour m’annoncer quelque chose.

Enfin, j’ai commencé d’éprouver un délicieux sentiment de disparition. J’avançais sans surveillance, comme un évadé. J’ai tenté de prendre contact avec mon âme. Et là, contre toute attente, j’ai entendu la voix de France Gall. Le refrain désuet et entêtant de la chanson Débranche!, sortie lorsque j’avais 4 ans, longtemps avant la commercialisation des téléphones portables. «Retrouvons-nous d’un coup au temps d’Adam et Eve...» chante France Gall.

De retour à la maison, je me suis rué vers l’appareil abandonné sur mon bureau. Pour voir si, après cette parenthèse, j’existais encore, si des messages s’affichaient sur l’écran ou si l’on m’avait déjà oublié. 

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Meapasculpa: le voile, et moi, et moi, et moi

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Mercredi, 7 Septembre, 2016 - 05:56

Avant que les burkinis ne soient remisés dans les placards, avant que les touristes ne soient rentrés chez eux et que l’hiver douche le débat sur les voiles et autres burqas puisque de manteaux et d’écharpes nous serons tous et toutes vêtus, il est temps que l’on m’écoute.

Moi. La femme lambda suisse, française, occidentale, qui se balade en jupette d’été, robette à fleurs, jean slim ou déchiré, en soutien-gorge push-up ou sans soutien-gorge parce que sa mère l’a jeté au feu il y a quarante ans, cheveux aux vents, banale, standard, semblable à mille autres, dépourvue d’idéologie vestimentaire si ce n’est celle de l’air du temps, naïve mais sensible au point que croiser, de plus en plus souvent, des femmes d’ici ou d’ailleurs en voile plus ou moins couvrant, en burqa plus ou moins sombre, lui fait un effet bœuf de l’ordre de la grosse claque sans que personne, politique, sociologue, journaliste, ne s’y intéresse.

Quand je croise un voile, une burqa, un burkini, je me sens nue. C’est fait pour. Comme quand, gamine, vous choisissiez hypocritement une amie plus moche, ou plus grosse, plus bête, parce que par effet miroir vous alliez apparaître comme la plus jolie et la plus intelligente. Le voile rend immédiatement indécents les bouts de peau qui dépassent chez vous. Vous avez l’air plus déshabillée que vous ne l’êtes, parce que la référence visuelle devient instantanément non pas les autres femmes vêtues comme vous, mais l’absolue disparition du corps de l’espace public induite par le voile.

Quand je croise un voile, une burqa, un burkini, on insulte ma mère, qui n’avait pas le droit de vote quand je suis née, qui ne valait pas un homme, mais a tout fait pour que cela change, et de manière durable. La visibilité des femmes, de leur parole et de leur corps dans la société est un progrès. Tout le reste n’est que trahison et blabla.

Quand je croise un voile, une burqa, un burkini, ma mémoire limbique se souvient que nous avons mis le temps, mais que nous nous sommes sorties des griffes d’un christianisme extraordinairement misogyne qui brûlait les femmes libres en les traitant de sorcières, réprimait la chair et toutes ses manifestations, par une éducation culpabilisante réduisait le sexe au péché de chair et le corps à l’instrument de ce péché et, de ce fait, a généré des générations de névrosés du sentiment, de la parole et de la sensualité qui hantent nos maisons. 

Quand je croise un voile, une burqa, je me souviens que longtemps, pute ou sainte, il fallait choisir. Qu’entre deux il n’y avait rien, que cela arrangeait tout le monde et surtout les hommes, et que c’est ce rien qui compte le plus et qu’il faut chérir et revendiquer avec force.

Voilà pourquoi, quand je croise dans ma ville un voile, une burqa, un burkini, je suis en colère. A bon entendeur. 

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Charline Grillon: «J’étais catholique. Je suis devenue musulmane»

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Mercredi, 7 Septembre, 2016 - 05:57

Et vous comment ça va ?

«Ça va bien. Je suis en train de terminer mon travail de master en psychologie à l’UNIL. Je me suis intéressée à la représentation du psychothérapeute au cinéma. Dans l’idéal, j’aimerais devenir psychologue clinicienne pour aider les gens à moins souffrir dans leur vie. La question qui me turlupine est de savoir si l’on peut les aider. Si je ne suis pas trop jeune pour ça. N’importe qui peut apporter quelque chose à l’autre, s’il est prêt à recevoir. L’important, c’est d’être sensible à ce que la personne ressent. Bien écouter, c’est écouter avec ses oreilles, ses yeux et son cœur.

J’ai été baptisée catholique, j’ai fait ma communion, puis ma ratification. J’ai toujours cru qu’il y avait une force. En grandissant, je me disais: «C’est pas possible qu’il y ait des gens qui fassent du bien, d’autres du mal, et quand on meurt il n’y a pas de différence entre les deux.» J’ai besoin de croire que le bien va être récompensé, sinon je n’avance plus. Je crois tellement à la bonté. Ça me permet de faire du bien autour de moi et de ne pas me venger quand on me fait du mal. J’essaie également de ne pas juger et de ne pas blesser. Souvent, on me dit que je suis naïve. Ce n’est pas le cas. Ma façon de me battre, c’est d’être gentille et de prendre soin des autres.

J’ai essayé de prier dans ma religion. J’ai essayé de faire carême, mais je n’ai pas eu de feeling. Il y a quelques années, je me suis intéressée à la religion musulmane. L’écriture arabe m’attire beaucoup et la culture m’intéresse. Sur Facebook, j’ai commencé à lire de petites histoires avec une morale à la fin. Elles me permettent de garder espoir. Parfois, elles disent juste: «Ne juge pas les autres. Si ton frère fait une erreur, trouve-lui dix excuses. Et si tu n’en trouves pas, dis-toi qu’il avait une bonne excuse.»

De fil en aiguille, j’ai lu des versets du Coran, puis tout le Coran. Puis j’ai fait ramadan. Le fait de ne pas manger et de ne pas boire rend sensible à plein de choses. Mon cœur est alors calme. J’ai fait la chahada, chez moi, dans ma chambre. C’est l’attestation de foi. On atteste qu’il n’y a de Dieu que Dieu et que Mahomet est le messager. Certains disent qu’on doit faire ça à la mosquée. Mais si l’on y croit vraiment, Dieu le sait.

Il n’y a pas de mosquée à Echallens, où j’habite. Je prie chez moi ou dans la salle de méditation de l’UNIL. Prier cinq fois par jour, ça permet de faire une pause. Je me sens bien dans cette religion. Au début, mes parents avaient peur. Depuis, ils se sont habitués. Ça aurait moins gêné mon père que je devienne bouddhiste. J’aimerais bien écouter des prières à la mosquée, mais j’ai peur que mes parents le prennent mal. Lorsque l’occasion se présentera, j’irai.

La bonne religion

Quelque chose qui correspond à ma sensibilité m’a profondément touchée dans l’islam. Mon père et ma mère pensaient que j’étais devenue musulmane pour les provoquer et que ça passerait. Ma foi ne passera jamais, mais je ne sais pas si je prierai toute ma vie. Je ne porte pas le foulard. Si je le mettais, ce serait une provocation dans ma famille. Je pense que chacun doit faire comme il en a envie, mais je sais que le voile est une des grandes questions dans le monde musulman.

Certains disent que son port est obligatoire, d’autres disent le contraire. Généralement, je m’habille avec des habits longs. La piscine? Je n’aime pas ça. La pudeur, et pas seulement la pudeur physique, et le respect sont des qualités dans la religion musulmane. Ce que mes amis disent de ma reconversion? «Si ça te fait du bien, on est contents pour toi.»

Parallèlement à mes études, je joue aux échecs. J’ai été championne suisse féminine des moins de 16 ans. J’ai participé aux Olympiades en 2014 et je fais de la compétition au niveau suisse. Je donne des cours aux enfants, dans le cadre d’un club. Mais le sport qui me passionne par-dessus tout, c’est la boxe thaïlandaise. C’est un sport qui permet d’oublier ses tracas et ses tensions. Le club, c’est une famille: tout le monde prend soin les uns des autres et se soutient. Je m’entraîne deux ou trois heures par jour. Je suis en T-shirt et en short de boxe avec un legging. Je combats contre des filles d’autres clubs. La boxe thaïlandaise m’a permis de me rendre compte de tout ce que je suis capable de faire, de dépasser mes limites physiques et mentales.

Dans la vie, j’aimerais que chacun essaie de prendre soin de tous ceux qui sont autour de lui, avant lui-même. D’autres personnes prendront soin de lui. Je sais que c’est une utopie. Et je sais que ce n’est qu’une petite goutte dans 50 milliards d’océan. Mais une goutte, c’est déjà ça.»

sabine.pirolt@ringier.ch
Blog Et vous, comment ça va?

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Sabine Pirolt
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Une grande cathédrale blanche dédiée au shopping

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Mercredi, 7 Septembre, 2016 - 05:58

Un par un, les vestigesdu 11 septembre 2001 disparaissent. Un nouveau centre commercial situé en dessous des tours reconstruites du World Trade Center a ouvert ses portes mi-août. Il remplace celui qui fut détruit lors des attentats. Il a été dessiné par l’architecte espagnol Santiago Calatrava, qui partage son temps entre New York, Doha et Zurich. Ressemblant à une grande cathédrale blanche de l’intérieur et à un squelette de dinosaure de l’extérieur, ce mall – le plus grand de la ville – est géré par le groupe australien Westfield. Relié à plusieurs lignes de métro, il s’attend à accueillir quelque 300 000 visiteurs par jour.

Il s’agit de l’un des exemples les plus aboutis de centre commercial du futur. Afin de pallier le désintérêt de la population pour ce genre de méga-structure et la concurrence de l’e-commerce, l’accent a été mis sur le divertissement et les services. Une brasserie proposant des bières artisanales, une épicerie fine italienne et un bar à vins côtoient un glacier offrant des préparations maison, un café dédié aux pâtisseries du chef étoilé Daniel Boulud et une échoppe du vendeur britannique de parfums rares Penhaligon’s. La grande halle qui orne le centre du mall accueillera aussi régulièrement concerts et autres manifestations publiques. 

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UberPOP, UberX, UberBlack: comment s’y retrouver

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Mercredi, 7 Septembre, 2016 - 05:59

Uber se décline en trois catégories. Les prix pour les clients ne sont pas les mêmes, les conditions pour les chauffeurs non plus. De plus, il existe des prix dynamiques avec des facteurs multiplicatifs en cas de forte demande.

UberPop

Destiné uniquement aux conducteurs occasionnels, non professionnels, qui se connectent quelques heures par semaine sans générer de profit économique.

Conditions à remplir

  • Avoir le permis de conduire suisse (B) depuis plus de trois ans.
  • Utiliser un véhicule 5 portes en bon état, de moins de 10 ans et immatriculé en Suisse.
  • Fournir un extrait de casier judiciaire suisse vierge de moins de trois mois.
  • Posséder un smartphone iOS ou Android.
  • Zone autorisée pour la prise en charge de passagers: de Villeneuve à Aubonne.
  • Le prix des courses est environ trois fois moins cher que celui des taxis.

Commission de 30% prélevée par Uber

  • Prise en charge: 3 fr.
  • Prix au kilomètre: 1 fr. 35
  • Minute: 0,30 fr.
  • Course minimum: 6 fr.
  • Frais d’annulation: 6 fr.

UberX

Plateforme réservée aux titulaires d’un permis de transport professionnel de personnes (B121, D ou D1). Uber facilite l’obtention de ce permis en proposant des cours théoriques et pratiques à prix réduit (250 francs). Il n’y a aucune obligation de conduire sur le réseau Uber par la suite. Il faut ensuite compter environ 500 francs pour s’inscrire aux examens et passer le contrôle médical.

Conditions à remplir

  • Avoir une voiture 5 places, de type berline, de moins de 10 ans et qui fait partie de la liste de modèles proposée par Uber.
  • La zone autorisée s’étend à Genève et à l’aéroport. Il est cependant interdit de stationner sur les places réservées aux taxis.

Commission de 25% prélevée par Uber

  • Prise en charge: 3 fr.
  • Prix au kilomètre: 1 fr. 80
  • Minute: 0,30 fr.
  • Course minimum: 6 fr.
  • Frais d’annulation: 6 fr.

UberBlack

Plateforme destinée aux possesseurs de voitures de luxe avec sièges en cuir, de couleur sombre, de moins de 5 ans et faisant partie de la liste de modèles proposée par Uber. Il faut être titulaire d’un permis professionnel et posséder la carte professionnelle de chauffeur de limousine ainsi que l’autorisation d’exercer.

UberBlack existe uniquement à Genève et à Zurich.

Commission de 25% prélevée par Uber

  • Prise en charge: 8 fr.
  • Prix au kilomètre: 3 fr. 60
  • Minute: 0,60 fr.
  • Course minimum: 15 fr.
  • Frais d’annulation: 10 fr.

Taxis traditionnels:

A Lausanne, les tarifs sont de 6 fr. 20 pour la prise en charge, 3 fr. 80 maximum pour le kilomètre; attente: 54 francs par heure.


La naissance d’Uber

Par une soirée enneigée de mars 2008, Travis Kalanick et Garrett Camp, les fondateurs d’Uber, éprouvent toutes les difficultés du monde à héler un taxi à Paris. C’est ainsi que leur vient une idée: pouvoir commander une course en appuyant simplement sur un bouton.

A ses débuts, Uber proposait une simple application permettant de commander des chauffeurs privés haut de gamme dans quelques grandes villes. Aujourd’hui, la société a une valorisation boursière de 70 milliards de dollars et vient de racheter la société Otto, qui avait développé de l’intelligence artificielle pour poids lourds. Grâce à cette acquisition, Uber va pouvoir commencer des essais de voitures sans chauffeur dans les prochaines semaines dans certaines villes des Etats-Unis. Uber est présent actuellement dans 506 villes de la planète et compte des millions de chauffeurs.
 

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Staccato: courage, Brigitte

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Mercredi, 7 Septembre, 2016 - 05:59

Brigitte, 63 ans, Emmanuel, 38 ans.Ça m’énerve. Je devrais dédaigner souverainement ce non-sujet. Mais je me surprends à scruter, fascinée, les photos de la blonde en stilettos, quasi-candidate au poste de «first lady» française. A lui chercher des plis aux genoux comme une vraie conasse. Et à déglutir de stupéfaction admirative en la voyant commenter, dans L’Obs, le fait que son mari n’attendra pas 2022 ou 2027 pour briguer la présidence: «Pour moi, c’est maintenant, parce que, après, c’est ma gueule qui posera problème!»

Mais ce qui m’énerve le plus, c’est de constater que, malgré les efforts de mon cerveau rationnel et féministe, je n’arrive pas à trouver aussi «courageux» et «hors normes» le couple statistiquement dominant: celui où l’homme est significativement plus âgé que sa femme.

Brigitte Macron est donc courageuse à mes yeux, mais il ne me viendrait pas à l’esprit de qualifier Roland Jaccard ou Frédéric Beigbeder de «courageux». Pourquoi? Parce que je me mets plus facilement à la place de la femme. Je pense au jour où, sous la main de mon homme encore jeune, ma peau sera devenue une vieille peau, où l’arthrose m’obligera à renoncer aux balades. Où, si tout va bien, son regard se teintera de compassion et de détermination à prendre soin de moi. Et où il ne me restera plus qu’à prier pour que ça dure. Je ne sais pas si je saurais trouver l’humilité nécessaire pour supporter ça. J’admire Brigitte Macron d’avoir pris ce risque.

Je devrais admirer tout autant les vieux messieurs qui font de même. Surtout après la lecture du dernier livre de Claire Castillon *, où de jeunes amantes se lâchent. Elles nous apprennent que non, même pour les filles, l’amour ne rend ni aveugle ni insensible aux mauvaises odeurs. Elles narrent héroïquement les problèmes de «mise en route» du partenaire, d’haleine douteuse et de dentiers intempestifs. A vrai dire, au bout du compte, on ne sait plus, du don juan décati ou de sa maîtresse-infirmière, lequel des deux admirer davantage.

Vous allez me dire: les vieux messieurs prennent moins de risques d’être quittés car les femmes ont un sens du dévouement et/ou une dépendance financière supérieurs. Vrai, mais de moins en moins. Un nombre croissant de divorces tardifs sont demandés par des femmes encore en forme qui ne se sentent plus obligées de faire garde-malade. Encore un effort, «sugar daddy», pour être un héros.

* «Les messieurs», Editions de l’Olivier

anna.lietti@hebdo.ch/ @AnnaLietti

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Trois mois dans la peau d’un chauffeur Uber

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Mercredi, 7 Septembre, 2016 - 06:00

Grégoire Praz

Immersion. Journaliste indépendant, Grégoire Praz a effectué plus de 500 courses comme chauffeur UberPop. Il raconte sa plongée dans ce monde en pleine mutation.

A l’arrêt devant la gare de Montreux, je me suis presque assoupi dans la moiteur de ma voiture, une Toyota Auris hybride blanche avec des plaques valaisannes. Il fait très chaud. Mon smartphone vibre enfin. Un point blanc sur fond noir clignote. Je clique, le nom et l’emplacement du client apparaissent sur l’application. J’ai l’impression d’avoir décroché le jackpot: c’est la première de mes 512 courses dans la région lémanique comme chauffeur UberPop, la catégorie ouverte à tous, sans permis professionnel de taxi (lire UberPop, UberX, UberBlack: comment s'y retrouver).

Premiers pas

Uber fait régulièrement la une des médias du monde entier. Pourquoi la start-up californienne fondée en juin 2009 par Travis Kalanick et Garrett Camp, qui réalise un milliard de trajets dans 506 villes de la planète, suscite-t-elle à la fois tant d’intérêt et de haine? C’est en tombant par hasard sur une publicité bleu azur et turquoise sur Facebook, qui vantait le bonheur de devenir partenaire Uber indépendant, que j’ai décidé de sauter dans cette aventure.

Le pas n’est pas facile à franchir. Travis Bickle, le chauffeur devenu fou dans le film Taxi Driver, de Scorsese, hante mon esprit. Suis-je assez diplomate, capable de faire face à la paranoïa urbaine, de supporter la mauvaise humeur des clients et les horaires de nuit? Malgré mes hésitations et les doutes de mes proches, je me lance. Début juin, je remplis le formulaire d’inscription sur le site Uber Suisse et me rends au bureau local de Lausanne, situé à Crissier, dans la zone industrielle.

L’agence ne paie pas de mine. Elle se situe dans une cour intérieure. Une seule employée, une jeune femme blonde très sympa avec un léger accent français, m’accueille. Difficile d’imaginer qu’Uber pèse 70 milliards de dollars en Bourse. Avant d’entrer, il faut s’inscrire sur une tablette montée sur pied. L’endroit est sobre, les meubles design, la décoration minimale. Nous sommes cinq à attendre. Des macarons promotionnels bleu ciel sont à disposition sur la table en pin clair.

La jeune femme, décontractée derrière son ordinateur portable marqué Uber, nous fait visionner sur grand écran une courte vidéo de présentation de la société et de l’activité de chauffeur Uber. Quelques candidats sont dépités, car leurs voitures ont plus de 10 ans et ne sont pas acceptées par Uber.

Les formalités sont rapides: une copie du casier judiciaire, le permis de conduire et la carte grise du véhicule. L’employée Uber explique qu’il suffit d’installer l’application sur son smartphone pour se lancer. Me voilà devenu un partenaire UberPop.

Devant le bureau, je me sens appartenir à un mouvement global, une communauté mondiale innovante et visionnaire de la mobilité 2.0. C’est grisant.

Quand on commence chez Uber, on se retrouve pourtant vite perdu dans les méandres de l’application, confronté aux problèmes de géolocalisation et aux réactions de mauvaise humeur de certains clients. Uber n’a pas de numéro de téléphone, uniquement une adresse e-mail. J’aurais aimé avoir un mentor. Je l’imaginais comme le collègue dégarni et philosophe de Taxi Driver. Uber propose bien de parrainer d’autres chauffeurs contre rémunération, mais peu de rencontres sont organisées hormis quelques portes ouvertes à Genève et à Lausanne. Je suis certain que la majorité des conducteurs Uber se sont sentis aussi démunis que moi à leurs débuts.

Nerveux et pressés

Je n’ai d’ordinaire pas l’instinct grégaire, mais je suis rassuré que d’autres partenaires partagent le même destin que moi. Paradoxalement, je communique assez peu avec les chauffeurs lorsque je suis en course. Souvent, les trajets s’enchaînent et lorsque le travail est fini, je n’ai plus envie de discuter de taxis.

Pourtant, les partenaires Uber sont facilement reconnaissables. Ils n’arborent aucun macaron mais ils ont un certain style: nerveux, pressés, en principe jeunes et dynamiques, les yeux vissés sur leur smartphone accroché au tableau de bord. J’échange parfois quelques regards complices à travers la vitre de ma voiture, quelques mots sur le trottoir entre deux courses.

Je discute régulièrement avec un Albanais d’une trentaine d’années qui se gare souvent dans la même zone que moi. Il me dit être actuellement sans emploi et roule pour Uber depuis presque une année. Il m’avoue que c’était très dur au début, qu’il ne gagne pas tant que ça. Il ne sait pas combien de temps il pourra encore tenir. Pourtant, nous sommes des centaines de fourmis à sillonner les rues à la recherche de passagers. Difficile d’en connaître le nombre exact. Un porte-parole d’Uber Suisse parle de «quelque 1000 chauffeurs actifs en Suisse romande et environ 40 000 utilisateurs qui effectuent chaque mois des courses sur la plateforme».

Certains chauffeurs rencontrés sont Ethiopiens, Somaliens, d’autres Albanais, mais il y a aussi beaucoup de Portugais et de Suisses. La plupart cherchent à survivre en arrondissant leurs fins de mois tandis que d’autres rêvent de devenir des Uber X ou Black, des taxis professionnels qui pourront prendre des passagers à l’aéroport de Genève et décrocher le jackpot.

Comme ce quinquagénaire dynamique, d’origine portugaise et père de trois enfants qui était autrefois restaurateur et s’est lancé comme chauffeur dès l’arrivée d’Uber à Lausanne au début 2015: «Uber me permet de rester jeune et ouvert d’esprit, d’être en contact avec l’innovation. J’ai l’esprit entrepreneur et je suis convaincu qu’Uber a une utilité sociale. J’ai pris un jour une femme enceinte qui perdait ses eaux. Après cette course, je me suis senti bien. Je viens d’ailleurs de terminer mon permis professionnel de taxi.»

Devenir partenaire Uber, c’est d’abord un état d’esprit, accepter d’entrer dans un univers aux valeurs fortes, presque religieuses, sous peine d’en être rapidement exclu: les dix règles, la notation sous forme d’étoiles, l’attitude correcte exigée en toutes circonstances. Uber, c’est aussi un monde à l’américaine où tout devient possible pour les esprits entrepreneurs. Certains chauffeurs que j’ai rencontrés ont d’ailleurs décidé de monter leur propre business: un pool de plusieurs voitures et de chauffeurs salariés (à 50% du chiffre d’affaires). Grâce aux mois passés en UberPop, ils ont pu se constituer une clientèle privée.

Clients étudiants

Près de 80% des passagers rencontrés pendant mon enquête sont des étudiants de l’Ecole hôtelière de Lausanne (EHL) et des divers campus universitaires de la ville. La plupart me disent qu’Uber leur «sauve la vie». Ils ne pourraient pas se permettre de prendre les taxis traditionnels qui sont trop chers et considèrent pour la plupart que leur service n’est pas à la hauteur du prix demandé. Ils trouvent également les chauffeurs Uber beaucoup plus sympathiques que ceux des taxis traditionnels.

De nombreux étudiants utilisent Uber pour rentrer d’une soirée arrosée, après la fermeture de la bibliothèque du Rolex Learning Center ou lorsque les transports publics s’arrêtent pour la nuit. Une part non négligeable de la clientèle est aussi constituée d’hommes d’affaires pressés qui apprécient le service pour sa rapidité et sa facilité d’utilisation: pas d’argent liquide à donner au chauffeur et une application efficace. Les touristes étrangers qui connaissent Uber dans leur pays d’origine font également partie de ma clientèle régulière.

De nombreux passagers ne sont pas au courant qu’Uber prélève une commission de 30% sur les courses UberPop. D’ailleurs, les clients s’intéressent peu aux conditions de travail des chauffeurs. Leur but premier est d’arriver le plus vite possible à destination et à moindre coût. J’ai remarqué que les jeunes femmes sont souvent angoissées lorsqu’elles entrent dans la voiture. Elles hésitent à se mettre sur le siège avant et suivent scrupuleusement le trajet de la course sur l’application pour vérifier si le chauffeur prend la bonne route et ne tente pas de les arnaquer. D’autres passagers plus décomplexés se livrent facilement.

La proximité entre le chauffeur et le passager dans les taxis Uber est souvent propice aux confidences, notamment parce que le passager monte en principe à l’avant du véhicule pour ne pas éveiller les soupçons de la police des taxis. Comme cette quadragénaire, les cheveux en bataille, qui sort visiblement d’une nuit d’insomnie et rentre chez elle de bon matin en survêtement de sport. Avant de sortir de la voiture, elle se tourne vers moi et me raconte alors toute sa vie mouvementée. J’arrête la course et l’écoute poliment pendant près d’une heure.

Elle m’envoie ensuite un SMS: «Je ne sais pas pourquoi je vous ai raconté toute ma vie. C’est la première fois que ça m’arrive.» Une autre cliente, la trentaine, bon chic, bon genre, m’avoue un matin avant de se rendre au travail qu’un chauffeur lui a confié être à l’assurance invalidité et rouler pour Uber sans être déclaré. Les confidences vont dans les deux sens.

D’autres passagers sont des personnages connus, comme ce multimillionnaire romand aficionado d’Uber que je prends dans la zone industrielle de Crissier. Quand il entre dans ma voiture, je le reconnais immédiatement. J’essaie de briser la glace, il s’intéresse beaucoup à ma démarche journalistique et me parle de ses investissements dans la nouvelle économie du partage. Je suis justement en train de lire le nouvel ouvrage de Luc Ferry sur le transhumanisme, une discussion très philosophique s’engage et l’homme d’affaires note la référence du livre sur son smartphone tout en me remerciant de ce moment «sympathique» passé en ma compagnie.

Avec d’autres clientes en revanche, comme certaines étudiantes fortunées de l’EHL, le contact est difficile à nouer. Je me sens totalement déshumanisé, un individu-fonction, un être vide et invisible au service de la bonne volonté de la passagère. Elles prennent d’ailleurs souvent possession de mon espace en écoutant leur musique, discutant bruyamment avec leurs collègues. Certaines poussent même le snobisme jusqu’à laisser la porte ouverte en sortant de la voiture pour bien marquer leur supériorité sociale.

D’ailleurs, en surfant par hasard sur l’internet, je tombe sur une analyse sociologique des chauffeurs de taxis lausannois réalisée en 2011 pour un séminaire à l’Université de Lausanne. Il en ressort notamment que le métier de taxi ne bénéficie pas d’une grande reconnaissance sociale: c’est souvent «un métier de repli exercé par des hommes de plus de 35 ans, d’origine étrangère et sans diplôme ou socialement déclassés».

L’illégalité d’UberPop

Les chauffeurs UberPop subissent d’ailleurs un double déclassement social, car leur activité est actuellement considérée comme illégale par les autorités municipales lausannoises. Et si ce parfum d’illégalité motive paradoxalement certains jeunes passagers à essayer l’application, les chauffeurs sont effectivement régulièrement amendés par la police lausannoise des taxis. J’en ai fait l’expérience.

Il est 3 h 40 du matin, c’est une nuit d’été animée à Lausanne. La géolocalisation de l’application Uber s’est encore trompée d’emplacement, je me retrouve malgré moi au Flon, le quartier branché de la ville. J’évite en principe de prendre des courses dans cette zone la nuit, les clients sont souvent désagréables et avinés. Je m’approche du passager, un jeune homme en t-shirt blanc et sweat à capuche grise. Il pianote nerveusement sur son téléphone portable en attendant sur le trottoir en face de l’arrêt des taxis. J’hésite à garer ma voiture, j’ai un mauvais pressentiment. Soudain, une plaque de police se colle à ma vitre. Un homme bedonnant en civil avec une veste bleu nuit me demande avec insistance d’arrêter le véhicule.

«Police des taxis de Lausanne, contrôle d’identité! Vous savez qu’Uber est illégal à Lausanne?» Mon passager a été pris en flagrant délit de commande sur son téléphone, rien ne sert de nier. Je lui réponds qu’Uber n’est pas illégal, à ma connaissance. Je lui demande s’il n’a pas mieux à faire que racketter les chauffeurs Uber, alors que des dealeurs vendent leurs doses à quelques mètres de nous. Le ton du policier est un peu hésitant lorsque je lui apprends que je suis journaliste. Après dix minutes de discussion, le passager grimpe quand même dans ma voiture et je repars pour finir ma nuit.

Quelques semaines plus tard, une amende de 500 francs tombe dans ma boîte aux lettres. Je ne me fais pas trop de souci, de toute façon, c’est Uber qui assume le paiement de ces amendes. Cet incident montre tout le paradoxe d’Uber qui ne se considère pas comme une compagnie de taxis tout en proposant les mêmes services. Alors comment classer l’entreprise Uber dans la législation actuelle sur les taxis? Il n’existe que peu de jurisprudence en la matière.

Le Tribunal cantonal vaudois a rejeté, en avril 2016, la demande d’Uber de faire modifier le règlement intercommunal des taxis (RIT). Il a considéré que l’entreprise américaine n’était pas une compagnie de taxis mais que son application pouvait quand même être considérée comme une centrale d’appel.

A Genève, une révision de la loi sera d’ailleurs en discussion fin septembre au Grand Conseil. A Lausanne, le municipal Pierre-Antoine Hildbrand a repris les rênes du département qui surveille les taxis. Libéral-radical, il se dit partiellement favorable au nouveau modèle économique proposé par Uber mais, en tant que municipal, il est obligé de faire respecter le règlement actuel par des contrôles. Il concède que la situation actuelle n’est satisfaisante pour personne et dit réfléchir à une solution qui irait dans le même sens qu’à Genève.

En Suisse alémanique, la mentalité semble différente, UberPop et UberX circulant sans grand problème, notamment à Bâle et à Zurich.

Nouveaux acteurs

Profitant de la zone grise d’une législation qui n’a pas encore pu suivre les récentes évolutions de la technique, Uber entre avec force et de gros moyens sur le marché monopolistique et très réglementé des taxis. Il casse les prix en proposant un service deux à trois fois moins cher. Uber ne se considère pas comme une compagnie de taxis mais uniquement comme un prestataire de services technologiques.

Comme d’autres plateformes de l’économie collaborative du genre BlaBlaCar ou Airbnb, la motivation principale avancée par ces nouveaux acteurs est le souci de faire des économies en ayant accès à des services de qualité sans passer par des intermédiaires inutiles et coûteux. Uber remplace les centrales téléphoniques d’appel et les compagnies de taxis par une application. Par sa communication d’entreprise, il tente de donner une image d’altruisme et de désintéressement en se positionnant comme un acteur incontournable de la mobilité urbaine 2.0.

Il veut servir au mieux les intérêts tant des passagers que des partenaires et des autorités. Il y a pourtant dans les faits un transfert de charges et de responsabilités en direction du travailleur. Un particulier utilise sa propriété personnelle (voiture ou logement) pour fournir un service payant à un autre particulier qui n’est donc pas soumis aux charges sociales.

Le chauffeur: grand perdant?

Le grand perdant de ce modèle d’affaires, c’est du coup le partenaire qui doit assumer tous les frais et les risques de son activité. C’est le principe d’extrême flexibilité du travailleur et de faible rémunération, qui permet à Uber de casser les prix. Pas de bureaucratie ni de contrats à signer, mais le chauffeur, en utilisant l’application, doit tout de même accepter un contrat qui fixe les limites de son activité. Dans ce contrat, le chauffeur doit par exemple reconnaître et accepter que la «société est un prestataire de services technologiques qui ne fournit pas de service de transport». De plus, Uber se dégage de toute responsabilité en cas d’accident, de maladie ou tout incident qui pourrait survenir pendant l’activité.

C’est au partenaire de veiller à sa couverture d’assurance adéquate, au bon état de son véhicule, au respect des règles de la circulation et à sa bonne condition physique. «Le conducteur est responsable de lire et comprendre ce qu’il accepte et signe, nous répondons bien sûr à toute question qu’il aurait à ce sujet.» De plus, le chauffeur doit respecter certaines directives d’Uber: accepter le maximum de courses, avoir une note ne descendant pas sensiblement en dessous de la note moyenne des conducteurs sur le réseau (actuellement 4,7) sous peine d’exclusion de la plateforme.

Selon le professeur Kurt Pärli, spécialiste de droit du travail à l’Université de Bâle, qui a réalisé la première étude juridique de fond sur les rapports de travail chez Uber, ces conditions posées par l’entreprise entraîneraient un rapport de subordination et feraient du chauffeur un salarié. Uber ne prend pas très au sérieux le travail du professeur, qui a été mandaté par le syndicat Unia, et considère l’étude comme une série d’hypothèses inexactes sur la question du statut d’indépendant. Pour l’entreprise, il revient aux juges de se prononcer sur cette question, non pas à un seul professeur ou à Unia.

Ce que le syndicat pointe, c’est le transfert de charges: il précarise le travail des chauffeurs Uber, qui doivent turbiner sans protection sociale pour un bénéfice infime, au péril de leur santé, souvent en plus d’une autre activité professionnelle. Selon ma propre expérience, en UberPop, en travaillant neuf heures par jour, on ne peut guère espérer gagner plus de 4000 francs par mois, sans compter les dépenses et les frais du véhicule.

Si l’on en croit le TCS, les frais d’utilisation d’un véhicule se montent à 75 centimes par kilomètre pour un véhicule ou socialement déclassés 35 000 francs (le prix de ma voiture). Pour 15 000 kilomètres parcourus en trois mois, cela représente 11 250 francs, tout compris. Il ne reste donc quasiment rien après trois mois de travail. C’est ce qui pousse les chauffeurs UberPop à travailler plus que de raison pour espérer un gain.

Uber insiste d’ailleurs sur le fait qu’UberPop n’est pas conçu pour gagner de l’argent mais pour acquérir un revenu accessoire. Pour respecter l’ordonnance OTR2 qui régit le transport professionnel de personnes en Suisse, la variante UberPop doit en effet uniquement couvrir les dépenses du chauffeur et les coûts du véhicule. Mais alors, qui voudrait travailler pour des cacahuètes?

Dans les faits, le vide juridique qui entoure les nouvelles plateformes technologiques en Suisse pousse certains chauffeurs à travailler trop, au mépris des règles de sécurité et de respect du temps de repos. Comme les chauffeurs UberPop n’ont pas de tachygraphe, ils peuvent, s’ils le veulent, travailler 24 heures sur 24. Pour tester les limites du système, j’ai travaillé durant une semaine plus de 50 heures tout en compensant sur les semaines suivantes. Résultat: pas d’alerte de la part d’Uber me signalant que je travaillais trop, un peu moins de 1200 francs sur la semaine et un état proche de la transe où l’on sursaute à chaque vibration du téléphone.

A ces doutes concernant la sécurité, Uber répond: «Une équipe dédiée est chargée de répondre à l’ensemble des demandes des utilisateurs du réseau, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. En cas d’infraction avérée ou suspectée aux Règles fondamentales Uber et autres obligations stipulées dans le contrat de partenariat avec la plateforme, l’équipe en charge de la qualité et de la sécurité peut prendre la décision de suspendre temporairement ou définitivement le compte du partenaire chauffeur.» Pour contourner cette situation, Uber pousse les chauffeurs à passer leur permis professionnel et à exercer en tant que chauffeurs UberX.

Le fait qu’un utilisateur lambda puisse utiliser sa voiture privée sans formation de taxi révolte les chauffeurs traditionnels, dont la profession est très réglementée. Ils se plaignent souvent que leurs bénéfices ont fondu depuis l’introduction d’UberPop à Lausanne. Difficile de le vérifier, d’autant plus que les compagnies de taxis contactées n’ont pas souhaité s’exprimer. A la gare de Lausanne, certains chauffeurs ont tout de même accepté de parler.

Mario, d’origine portugaise, trente ans de taxi: «Que puis-je faire d’autre? J’ai perdu 50% de mon chiffre d’affaires par rapport aux bonnes années. Ce n’est pas seulement à cause d’Uber, mais pourquoi la municipalité nous laisse tomber après tant d’années de bons et loyaux services? Uber nous fait de la concurrence déloyale. Nous devons payer 1000 francs par mois de taxes sans compter les charges sociales. Voulez-vous que l’on aille tous à l’aide sociale?» Certains chauffeurs de taxis indépendants utilisent quand même l’application UberX en complément de leur activité traditionnelle.

Tensions avec les professionnels

J’ai d’ailleurs vécu une altercation assez violente avec des chauffeurs de taxi un samedi soir de juin à Lausanne. Elle prouve que les relations entre taxis traditionnels et partenaires Uber ne sont pas encore totalement pacifiées. Je m’arrête devant la pizzeria Da Carlo, située rue Caroline, non loin de la cathédrale. Trois jeunes femmes de l’Ecole hôtelière de Lausanne entrent dans ma voiture. Sur le trottoir d’en face, trois chauffeurs de taxi d’origine étrangère sortent en furie de leur voiture. Ils se dirigent vers moi d’un pas décidé, photographient mes plaques d’immatriculation et tentent d’entrer dans ma voiture.

Concentré sur le chargement des passagères, j’actionne à la dernière minute la fermeture des portes. Ils frappent à la vitre et sont visiblement très énervés. Interloqué par leur attitude déplacée, je les dévisage et démarre en trombe avec mes trois passagères. Un des chauffeurs frappe violemment avec son poing l’arrière gauche de ma voiture. Un peu bouleversé par cet incident qui n’émeut visiblement pas vraiment mes passagères rivées sur leur smartphone, je décide d’appeler la police.

Quelques minutes plus tard, deux agents de la municipale sont sur les lieux de l’incident. Alors qu’ils prennent l’identité des chauffeurs de taxi, ces derniers ne décolèrent pas en voyant les chauffeurs Uber de l’autre côté de la rue qui chargent des passagers. Ils interpellent les agents en leur disant: «Regardez, ils prennent des clients sans autorisation!» Les policiers consignent leur déposition et ne prêtent pas vraiment attention à leurs récriminations.

Combattre un monopole

Uber dit proposer un service sûr, fiable et économique. Il explique les réactions violentes des taxis par une situation de monopole des compagnies traditionnelles, peu habituées à la concurrence. Cela est peut-être vrai, mais Uber a aussi écarté toute concurrence par la puissance de sa marque. La société lausannoise Tooxme a, par exemple, suspendu son offre en avril 2015. Pour l’instant, Uber se retrouve de fait dans une situation de monopole. A quand l’entrée des concurrents Lyft (USA), Karhoo (Royaume-Uni), Cabify (Espagne et Amérique latine) ou Taxi Budget (Maroc) sur le marché suisse?

Au final, après l’euphorie des débuts, mon expérience me laisse dans un état avancé de fatigue physique. Une lassitude aussi nourrie par la frustration d’avoir gagné si peu (lire encadré en page 11). La station assise prolongée et la nourriture prise sur le pouce entre deux courses m’ont fait prendre 8 kilos, mon rythme de sommeil a été chamboulé et mes maux de dos ont empiré.
Mais cette expérience m’a fasciné. Je me suis pris au jeu d’une application hypnotique et très addictive.

J’ai appris la patience et le self-control en toutes circonstances. J’ai souvent dû ravaler ma fierté mal placée. J’ai rendu service et satisfait de nombreux passagers. J’ai partagé la vie et le destin de chauffeurs qui survivent tant bien que mal en saisissant l’occasion que leur offre Uber.

De cette plongée dans la disruption technologique, on ne ressort pas indemne. Dans ma voiture, je pensais aussi souvent au chauffeur de taxi traditionnel qui attend toutes les nuits, depuis des années, dans son bahut avec une photo de sa famille accrochée au tableau de bord pour lui donner du courage. Suis-je en train de lui enlever le pain de la bouche ou seulement l’acteur d’un monde qui change? Difficile de trancher. 

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Zygmunt Bauman: «La panique que nous vivons se traduit par l’indifférence face aux appels au secours de ceux qui souffrent.»

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Jeudi, 15 Septembre, 2016 - 05:51

Propose recueillis par Romain Leick

Interview. Plus que nonagénaire, Zygmunt Bauman est un des plus grands penseurs de notre temps. En ce moment, c’est la crise des migrants qui l’occupe. Il explique son nouveau projet, «Retrotopia», variante expressive de l’utopie.

Zygmunt Bauman a dû quitter deux fois sa patrie, la Pologne. Né à Poznan en 1925, il a fui avec sa famille vers l’Union soviétique quand l’Allemagne a envahi son pays. Devenu commissaire politique, il y est revenu après la guerre. Après ses études, il a enseigné la sociologie à l’Université de Varsovie. En 1967, il quitte le Parti communiste, perd sa chaire et émigre en Israël.

Quatre ans plus tard, il rejoint l’Université de Leeds, en Grande-Bretagne. Dans ses multiples essais, il a notamment analysé la précarisation des conditions de vie dans un présent globalisé, inventant la métaphore de «société liquide», où l’individu est intégré par ses actes de consommation. Son dernier essai, Strangers at Our Door, paru ce printemps, a pour thème la peur des autres et la migration.

Vous avez été un réfugié. Que suscitent, chez vous, les titres de journaux sur la crise des migrants qui menacent d’envahir l’Europe?

Je crains que nous ne soyons au début d’un énorme déséquilibre. La hausse brutale du nombre de migrants qui frappent aux portes de l’Europe, résultat d’un nombre croissant d’Etats défaillants ou déjà faillis, exacerbe la peur profonde que notre bien-être et même notre survie ne soient menacés. Cette panique crée une situation émotionnelle explosive, d’autant que les politiques désorientés hésitent entre deux aspirations inconciliables: l’intégration et le repli sur soi.

L’immigration de masse ne va pas se tarir. L’Europe est-elle condamnée à l’impuissance? Est-il inutile de fixer des contingents et des limites supérieures?

Les causes de l’immigration de masse ne vont pas disparaître et l’ingéniosité des efforts visant à la contenir n’y fera pas grand-chose.

Mais les politiques ne peuvent se permettre d’être fatalistes.

La situation est fâcheusement équivoque. La panique que nous vivons en ce moment se traduit par une débâcle morale, par l’indifférence face à la tragédie et aux appels au secours de ceux qui souffrent. Des événements choquants deviennent routine, normalité. La crise est moralement neutralisée: les migrants et ce qu’il leur arrive ou ce qu’on en fait ne sont plus considérés d’un point de vue éthique. Dès que l’opinion publique comprend les réfugiés comme un risque, ils sortent du domaine de la responsabilité morale, sont déshumanisés, exclus de l’espace dans lequel la compassion et la solidarité sont jugées licites.

L’obsession sécuritaire, l’islamophobie et l’exclusion sociétale des migrants n’encouragent-elles pas justement une radicalisation de part et d’autre?

La peur, la haine, le ressentiment et l’exclusion génèrent une prophétie autoréalisatrice. L’inclusion et l’intégration seraient les meilleures armes de l’Occident. Il n’y a pas d’autre remède que la solidarité face à la crise dans laquelle se trouve l’humanité. La barrière entre nous et les autres doit être surmontée. Le premier pas consiste à entamer le dialogue. Les étrangers doivent devenir des voisins.

La peur de l’étranger, de l’inconnu est instinctive et le refus du contact en est la conséquence. Les autochtones et les immigrés vivent côte à côte, pas ensemble.

Il y a entre eux la frontière invisible du silence. Dans l’histoire de l’humanité, la proximité physique et sociale a longtemps été étroitement liée. Aujourd’hui, l’altérité est devenue la règle. Le problème des sociétés modernes ne doit pas être la manière d’éliminer les étrangers mais le moyen de vivre en voisinage avec eux. On est face à une situation entièrement nouvelle: l’altérité de l’étranger n’est plus une crise d’urticaire passagère, les étrangers restent et refusent de partir, quand bien même on espère dans son for intérieur qu’ils finiront par disparaître.

Ils ne sont ni des hôtes ni des visiteurs, ils ne sont pas de vrais ennemis mais pas non plus des voisins identifiés. Ils restent étrangers parce qu’ils se soustraient au moins partiellement à la législation locale, au mode de vie local et tiennent à leur spécificité.

Ils demeurent visibles car ils affichent leur altérité, notamment avec le foulard des femmes. Comment surmonter la contradiction de cet étranger qui est chez nous mais pas l’un d’entre nous?

Il faut se représenter la situation – ou plutôt le porte-à-faux – que vit le réfugié. Il perd sa patrie parce qu’il doit la fuir, mais n’en gagne pas une nouvelle parce qu’il n’est pas un immigré. Les réfugiés sont dans un espace hors du temps, ils ne sont ni résidents ni nomades. Ils se prêtent admirablement à la stigmatisation, au rôle de ces mannequins de paille que l’on brûle symboliquement en place publique pour éliminer les forces du mal.

L’immigration incontrôlée incarne l’effondrement de l’ordre. Ces nouveaux venus, dont le déracinement n’est pas notre affaire, nous rappellent notre propre vulnérabilité, la fragilité de notre bien-être.

Comme l’écrivait Bertolt Brecht dans Paysages de l’exil, le réfugié est le messager du malheur. Il apporte devant notre porte les mauvaises nouvelles, les guerres et les tempêtes lointaines. Il nous fait voir qu’il existe des forces globales, difficiles à se représenter, qui agissent au loin mais sont assez puissantes pour affecter notre existence.

Dans la xénophobie, rend-on le messager responsable du contenu du message? Après tout, nous ne pouvons pas grand-chose contre les forces insaisissables de la globalisation?

C’est une colère détournée qui atteint le réfugié. Le bouc émissaire soulage le sentiment dérangeant et humiliant de notre impuissance et de notre insécurité existentielle. Pour les ratisseurs de voix, exploiter les peurs que déclenche l’afflux d’étrangers est une opportunité. La peur a besoin d’exutoires. La promesse de maintenir l’indésirable étranger hors des frontières est une sorte d’exorcisme: il faut chasser le fantôme horrifiant de l’incertitude.

Le politicien populiste est-il un charlatan et un chamane?

La politique s’agite dans une incertitude endémique. Ses possibilités d’action sont locales, tandis que les problèmes qu’elle doit affronter sont globaux. Dans cette transition entre phase solide et phase liquide, fugitive de la modernité, on constate un hiatus accru entre politique et pouvoir. Les forces libérées de la globalisation se soustraient au contrôle des nations. Les institutions politiques s’avèrent toujours plus inappropriées pour maîtriser les nouveaux défis. La société fragmentée n’est plus une communauté. La souveraineté territoriale de l’Etat-nation s’érode, il perd de sa compétence à résoudre les problèmes et, par là, sa fonction protectrice.

La démocratie, qui a besoin du cadre de l’Etat-nation, échoue-t-elle face à la divergence croissante entre les objectifs et les moyens d’une action efficace?

Aux yeux des citoyens, la crise de la démocratie résulte de son incapacité, effective ou supposée, à agir. L’impuissance des politiciens, leur excuse selon laquelle il n’y a pas d’alternative et qu’ils ne peuvent pas faire autrement, sont vues comme une capitulation. La séduction de l’homme fort ou de la femme forte – Donald Trump aux Etats-Unis, Marine Le Pen en France – se fonde sur leur affirmation et la promesse invérifiable qu’eux sauraient agir autrement, qu’ils incarnent l’alternative.

Annoncer qu’on va remettre de l’ordre à coups de murs, d’interdictions d’entrée et de refoulements a un indiscutable attrait…

Le nationalisme et l’affirmation de l’uniformité ethnique servent à masquer l’absence de facteurs d’intégration dans une société qui se désagrège. L’Etat-nation ne retrouvera pas son panache. Les grandes villes de la planète sont depuis longtemps les laboratoires de nouvelles sociétés mixtes. Les tensions entre mixophilie et mixophobie y sont gérées dans le pluralisme des cultures. Le repli sur soi est une échappatoire trompeuse. Les portes sont brisées, on ne peut plus les fermer. La légitimité de l’Etat-nation reposait sur trois piliers: sécurité militaire contre l’extérieur, bien-être à l’intérieur, partage d’une langue et d’une culture. Ce socle est en miettes.

Que faire pour que l’humanité ne se retrouve pas dans une guerre de tous contre tous?

Umberto Eco, un des derniers grands érudits universels, insistait sur la différence fondamentale entre migration et immigration. En politique, on mélange sans cesse les deux notions. Un gouvernement peut régler et piloter l’immigration par des lois. Les migrations, en revanche, sont un phénomène naturel incontrôlable. Elles se produisent à la manière d’un séisme ou d’un tsunami. Point. Dans les grandes villes se rassemblent des groupes issus de la diaspora sans que quiconque n’ait jamais planifié un tel processus.

Une septantaine de communautés ethniques, religieuses, idéologiques vivent à Londres. Elles ne s’assimilent pas, ou alors superficiellement, à la différence des immigrés du XIXe siècle. Les Turcs d’Allemagne veulent être des citoyens loyaux mais ils veulent aussi rester Turcs. Pourquoi? Parce qu’ils sont le produit de migrations, pas d’une immigration. Or nous faisons comme si, à l’instar de l’immigration, les migrations étaient planifiables, réglables, contrôlables par les gouvernements de Berlin, de Berne ou de Londres.

Ils échoueront donc à maîtriser ce problème global avec une politique locale. L’intégration est-elle une chimère?

Il faut l’admettre: ceux que l’on nomme avec gêne et de façon mensongère les pays en développement sont à la porte de l’Occident et vont se ménager une entrée. Comme le disait le sociologue allemand Ulrich Beck: que cela nous plaise ou non, nous vivons depuis longtemps une situation cosmopolite, avec des frontières poreuses et une interdépendance universelle. Mais ce qui nous manque, c’est la conscience cosmopolite.

Avec le Brexit, la Grande-Bretagne n’en prend pas le chemin. L’«Alleingang» paraît toujours séduire.

La fixation d’un référendum par David Cameron fut une sottise politique capitale. Cela dit, dans l’histoire de l’humanité, l’intégration et la ségrégation vont toujours ensemble: nous et les autres. Intègre-toi ou on te fiche dehors. Mais ça, c’est le passé: les «autres» sont parmi nous, où est l’ennemi? Nous devons réapprendre le b. a.-ba de l’art de l’intégration si nous entendons être à la hauteur de la situation.

Les réfugiés qui n’obtiennent pas l’asile sont parqués dans des camps miséreux.

Ils sont traités comme des déchets d’humanité. Ils ont perdu le droit de décider, de s’affirmer. Ils sont hors la loi. Ce sont des gens sans identité, sans spécificités. Pour nous, ils sont inimaginables, impensables.

En cette ère d’universalité, le besoin de se tapir dans la communauté de ceux qui nous ressemblent se renforce?

Avez-vous déjà entendu la notion de «rétrotopie»? Retrotopia sera le titre de mon prochain livre. Il y a cinq cents ans, Thomas More écrivait Utopia, «le pays de nulle part» qui n’a pas encore vu le jour. Retrotopia est également un lieu qui n’existe pas. Pas parce qu’il n’existe pas encore mais parce qu’il a existé naguère.

A la différence de l’utopie, il symbolise la nostalgie d’un passé idéalisé qu’on ne peut retrouver.

Nous rêvons d’un monde sur lequel on peut compter, un monde de la conformité. Depuis Thomas More, on a vu se former un monde moderne, optimiste, sur le chemin d’Utopia. Lorsque j’étais clairement un fan du progrès, j’étais convaincu qu’une société sans utopie serait insupportable. L’utopie est l’espérance d’une vie meilleure à l’avenir.

Et aujourd’hui, c’est l’espérance d’une vie meilleure dans le passé?

Nous vivons sans doute un immense revirement. En Europe, les jeunes n’attendent plus de bénéfices de l’avenir mais des pertes. Ils forment la première génération depuis la Seconde Guerre mondiale qui redoute de ne pas conserver ni même atteindre le niveau et la qualité de vie de leurs parents. Visiblement, la France est le pays le plus pessimiste du continent: ils sont une majorité à craindre que l’avenir ne soit pire que le passé. La fin des utopies marque aussi la fin de la modernité. Nous vivons un désastre après l’autre: crise financière, chômage, précarité, terrorisme.

L’idée de progrès promet aujourd’hui moins l’espoir de voir sa situation personnelle progresser que la peur d’être largué. C’est pourquoi nous nous tournons vers le passé tout en avançant comme des aveugles.

A quoi ressemblent vos prévisions pour l’avenir?

Malgré tous les conflits, guerres et luttes de classes durant le capitalisme précoce, nos aïeux avaient un atout: le vivre-ensemble exigeait de la solidarité. Henry Ford savait qu’il devait payer ses ouvriers convenablement pour s’assurer la réussite. Le néolibéralisme a mis unilatéralement fin à cette réciprocité. La solidarité sociale a été évincée au profit de la responsabilité individuelle. C’est désormais l’affaire de chacun de veiller à sa survie dans un monde imprévisible, même lorsqu’on n’en a pas les ressources.

Le sentiment général de précarité qui a accompagné le processus de dérégulation économique avive la méfiance de tous contre tous. Parce qu’il entraîne des changements continus, le progrès représente une menace. Chacun est pour l’autre un adversaire ou un concurrent potentiel. C’est très inquiétant.

© Der Spiegel 
Traduction et adaptation gian pozzy

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«John Galliano» de retour dans le quartier du scandale

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Jeudi, 15 Septembre, 2016 - 05:52

Zoom. Une boutique dans le Marais, à Paris, ouvre au nom du couturier britannique qui y avait «flingué» sa carrière, il y a cinq ans, à la terrasse d’un café. John, vraiment?

L’éminent New York Times était revenu sur cette affaire qui avait le goût du scandale. Un long papier d’Elaine Sciolino, à l’époque cheffe du bureau parisien du quotidien américain. Un sujet pareil changeait du train-train politique. Sept mois plus tôt, en février 2011, le tabloïd anglais The Sun, autre style, publiait sur son site internet une vidéo montrant le couturier John Galliano, en état d’ivresse, agonissant d’injures antisémites une cliente du café La Perle. On l’entendait déclarer son amour pour Hitler, entre autres saillies autoflingueuses. C’était un jeudi soir à la terrasse de ce bar du Marais, l’un des plus branchés de la capitale, noire de bobos décompressant de leurs projets professionnels en cours.

Le Britannique, directeur artistique métissé anglo-espagnol de Dior, déclinant depuis plusieurs années un look corsaire dont il semblait avoir tout dit, venait de toucher le fond et de perdre son poste. A l’en croire, c’était là son but: «Je suis content d’avoir été licencié par Dior. Si cela n’était pas arrivé, je serais probablement mort aujourd’hui. Chaque année, je devais faire 32 collections: personne ne peut tenir ce rythme», déclarait-il en 2014 dans une émission de Canal+.

La provoc, dont il avait fait son masque, avait fini par sécher telle une vieille peau. Il s’est retapé physiquement et moralement, excusé auprès des juifs dans une synagogue de Londres, ne touche plus ni à la drogue ni à l’alcool, peut compter sur le soutien sans faille de son compagnon, confiait-il à la chaîne française. Un homme sinon neuf, du moins changé.

Signe de gentrification

Voilà qu’aujourd’hui, son nom réapparaît dans le Marais même: une typo chic et nouvelle, d’inspiration anglaise, en lettres d’or majuscules, toutefois un peu canaille, un peu western. On est à la fois chez Harrods et au saloon. Le logo, légèrement tassé, luit dans le bois de la devanture, noire et fumée comme du thé. L’ouverture dans le IVe arrondissement de Paris de la boutique John Galliano, du prêt-à-porter de luxe homme et femme, est prévue pour le jeudi 15 septembre.

C’est d’ores et déjà un événement qui fait parler. «Je trouve ça culotté de sa part, réagit un employé de l’Open, l’un des derniers cafés gays du Marais, pile face à la future boutique. Venir s’installer ici, dans un endroit gay, à deux pas du quartier juif, vu ce qu’il a dit…» Au début de l’année encore, il y avait en lieu et place un coiffeur, «avec waterbike au sous-sol», précise le serveur, une activité sportive qui consiste à pédaler dans l’eau. Le jeune homme n’est pas mécontent de l’arrivée de John Galliano rue des Archives, où se sont récemment installées d’autres marques haut de gamme, comme Givenchy, Fendi et Gucci, gentrifiant à fond un territoire qui a perdu de son côté terre d’accueil pour homos de province.

John Galliano, juste un nom

Le roi déchu de Dior n’est manifestement plus client de La Perle. Il venait y boire son café le matin et des gin tonics en fin d’après-midi, raconte un employé qui tient à rester anonyme. C’était avant la chute, l’esclandre du 24 février 2011. «Ça a été une mauvaise période. On s’est fait traiter d’antisémites, on a reçu des appels anonymes – c’est ici, Marine? –, pourtant, moi, je suis juif», continue notre interlocuteur en rangeant des verres propres sur une étagère. «Il avait besoin d’une désintoxication», conclut-il à propos du British, alors en mode autodestruction.

John Galliano revient? En fait, oui et non. La boutique toute neuve qui ouvre rue des Archives, dans le Marais, et qui s’ajoute à celle de la rue Saint-Honoré, porte son nom, mais ce nom-là n’est plus qu’une marque, dont Dior est resté propriétaire. John Galliano, le vrai, «s’est reconstruit» chez Maison Margiela, une enseigne haute couture. Il en est devenu le directeur artistique en octobre 2014. L’illusion fonctionne. 

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Point final: l’image- talisman

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Jeudi, 15 Septembre, 2016 - 05:52

Avec ses formats géants exposés en plein air ou ses installations interactives, le festival Images de Vevey explore à merveille les limites de la photographie. Le thème de cette édition 2016 est l’immersion, au propre comme figuré, qu’il s’agisse de plonger dans le lac pour découvrir une exposition ou d’entrer dans le monde d’un créateur. Cela pourrait n’être qu’amusant, mais les projets sont porteurs de sens. Comme celui de Laurence Aëgerter.

Cette artiste multidisciplinaire a travaillé avec des médecins et des résidents d’un EMS veveysan pour évaluer l’effet des photographies sur des personnes atteintes de démence sénile. Selon des études récentes, regarder et manipuler des photos stimulerait les fonctions cognitives et aurait ainsi un impact positif sur les malades. Dans le festival, les images de Laurence Aëgerter sont en plus couvertes par des odeurs familières qui se dégagent au toucher, renforçant les capacités cérébrales.

L’expérience, elle aussi immersive, tire parti d’une autre capacité, presque magique, qui appartient à la photographie. Cette incroyable faculté à faire revivre le passé, à montrer ce qui n’est plus, en particulier les êtres chers. C’est une qualité d’émotion unique, à la fois mélancolique et bienfaisante, proche et lointaine. A condition bien sûr d’empoigner une photo sur papier, analogique, bref, un objet réel. L’image numérique, froide et calculée, intangible et pressée, ne procure pas le même effet. Qui voudrait d’un talisman qui vous glisse entre les doigts? 

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Meapasculpa: Darbellay dindon de la farce

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Jeudi, 15 Septembre, 2016 - 05:53

«Queue qui bande n’a pas de conscience», disait un proverbe cro-magnon. Du coup, Dieu, dans son infinie sagesse, a donné aux humains la sagacité d’inventer l’avortement. Chaque année en Suisse, 10 000 femmes avortent à la satisfaction de leur amant, de leur mari, de leur famille et d’elles-mêmes, qui n’avaient pas l’intention de mettre au monde un enfant non désiré par les deux géniteurs.

Mais pas Madame X, qui a préféré suivre à la lettre la publicité du ministre de la Santé italien qui incite ses concitoyennes à faire des bébés via une campagne d’affiches anxiogène: «La beauté n’a pas d’âge, la fertilité, si.»

Nous sommes, à ce stade de l’affaire Darbellay, dans ce moment jouissif où, ne sachant rien, nous pouvons tout imaginer. Coup d’un soir, vraiment? Soirée d’adieu d’une relation suivie qui, Darbellay rapatriant son destin politique en Valais, devait trouver un terme? Qui est Madame X? Lobbyiste du Palais fédéral, femme de chambre, journaliste, élue, professionnelle? Ecart unique ou pointe de l’iceberg des frasques amoureuses d’un joli cœur à qui sa carrière bernoise permettait une double vie à moindre effort?

Une seule certitude: le bébé, qui se résume officiellement à une «faute», n’était ni prévu ni souhaité. Alors faut-il blâmer l’indécrottable naïveté mâle, cette candeur déroutante doublée de la fameuse absence de conscience au moment fatal dont on a une nouvelle preuve? Faut-il accuser le pape, qui continue à pervertir les esprits PDC en leur faisant croire que la capote est un rituel vaudou maléfique? Ou faut-il blâmer Madame X, puisqu’il faut être deux pour croquer le fruit défendu?

Le test du «qui perd qui gagne» est imparable. Elle a tout à gagner: un enfant que sans nul doute elle voulait à n’importe quel prix, avec ou sans père, et une pension alimentaire, soit un revenu régulier assuré pendant vingt ans, qu’elle a eus. Lui a tout à perdre: carrière, argent, crédibilité, réputation, et surtout mariage et vie de famille.

Voilà pourquoi je suis pour ce projet de loi allemand qui entend obliger les femmes à donner le nom du géniteur d’un enfant né d’une relation extraconjugale: les femmes font des enfants aux hommes dans leur dos et c’est une prise de pouvoir intolérable. Ce n’est pas ainsi que je conçois la liberté des femmes durement acquise, ni l’égalité entre hommes et femmes, ni l’amour évidemment.

Qu’ils aient été égoïstes – un enfant à tout prix – ou mal intentionnés – vengeance, cadeau d’adieu empoisonné, tentative mesquine de retenir un amant –, les motifs pour renoncer à l’avortement étaient tous mauvais et le seul dindon de la farce s’appelle Christophe Darbellay. Un enfant non désiré le sait et le paie toute sa vie. Contrairement à ce qu’affirme en mode très PDC le vice-président du parti, un «enfant de plus» n’est pas toujours une bonne nouvelle. 

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