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Le roi des nuits lausannoises préfère le matin

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Jeudi, 29 Septembre, 2016 - 05:52

Portrait. Le D! Club, à Lausanne, fête ses 20 ans. A deux reprises, il a été sacré meilleur club du pays. Rencontre avec son patron depuis 2003, Thierry Wegmüller.

C’est le monde à l’envers. Le patron du D! Club n’est pas un noctambule. Il est «du matin» et se lève vers 5 heures tous les jours pour travailler. «Je n’ai fait la fermeture du club que 3 fois», s’amuse l’intéressé.

Il est 23 heures, ce samedi soir, l’établissement de 550 m2 se remplit rapidement. Le D!, ce sont deux espaces, séparés par un mur amovible. Le dancefloor principal et un balcon plus intimiste, le Bar Club ABC. Là, une citation de la série Grey’s Anatomy accueille le visiteur: «Je pense que l’on pourrait être extraordinaire ensemble, plutôt qu’ordinaire séparément.» Cela pourrait être l’adage du maître des lieux, depuis. «On est parti de rien! Mais j’ai eu la chance de travailler avec les bonnes personnes. Le D!, c’est un travail d’équipe», explique Thierry Wegmüller en présentant son programmateur musical depuis douze ans, Thierry Collado, et l’architecte Pierre Winthrop, qui a œuvré au récent et habile réaménagement du club.

Ne lui parlez pas de «discothèque». Le D!, c’est autre chose. Ici, les DJ ne se contentent pas de changer de disques dans l’ombre mais font face au public, dans une communion musicale. La salle programme aussi des artistes. Après vingt ans, la liste se révèle longue: Laurent Garnier, IAM, Keziah Jones, Sophie Hunger, Paolo Nutini, Justice, Camille, Louis Bertignac… «Je tiens à continuer à faire des concerts, même si c’est un suicide financier!»

La marque du lieu, c’est le rouge des lumières, qui se marie au noir des murs. Stendhalien. Ce soir, le dancefloor s’est rempli avant minuit. Comment créer la bonne ambiance? Tout y concourt: l’architecture, l’éclairage, la musique… Tout est fait pour favoriser l’alchimie des corps, pour que les visiteurs se mettent à danser le plus tôt possible. Et, bien évidemment, la sécurité est primordiale, à une époque où les nuits sont devenues parfois plus agressives, où l’image de Lausanne a été écornée. «Ce problème me tient particulièrement à cœur. A l’époque, pour une soirée hip-hop avec 800 personnes, j’engageais 6 agents de sécurité. Maintenant, pour une jauge de 950 personnes, ils sont 20 par soirée.»

A chaque soirée son style et sa musique. Jeune et urbain le jeudi. Plus mature, électro et house le vendredi. Le week-end, 50% de la clientèle vient d’autres cantons. «Toute société a besoin d’un défouloir. Nous avons, en tant que club, un rôle social très important. Je pense sincèrement que nous devrions être subventionnés par la santé publique.»

Traumatisé par Godard

Le D! se situe dans un ancien cinéma. Début 1911, c’est ici qu’ouvrit le Lumen, 1000 places, plus grand cinéma-théâtre de la ville. Il fut rebaptisé Cinéma ABC en 1935. Enfant, Thierry Wegmüller était déjà un habitué. Et c’est sur ses fauteuils qu’ils ont vu leur premier film, avec Yasmine Char, celle qui allait devenir sa femme (directrice du théâtre de l’Octogone, à Pully, et écrivaine): Le petit diable de et avec Roberto Benigni. Depuis, la salle est devenue le D! Club en 1996, grâce à Stéphane Bezançon. Et quand Thierry Wegmüller est arrivé en 2003, le matériel de projection avait été démonté. Il s’en désole. Il aurait bien gardé un peu de l’âme de l’ancien temple du 7e art.

Après l’école hôtelière, Thierry Wegmüller a voulu devenir acteur. Il a tourné dans un film, un seul, Hélas pour moi, de Jean-Luc Godard, sorti en 1993. Hélas pour lui. «Se retrouver dirigé par Godard, c’était traumatisant.» Le novice donnait la réplique à Depardieu. «Je devais dire: «Je m’appelle Wegmüller.» C’était ridicule, je n’ai jamais revu le film et ne sais pas s’ils ont coupé la scène…» Il a eu plus de succès en musique, avec son complice le musicien Pierre Audétat. En 2001, son remix de Highway to Hell, tube de AC/DC, a figuré sur la compilation Paris Dernière, de Béatrice Ardisson, écoulée à plus de 80 000 exemplaires.

Du Couscous au Bleu Lézard

L’homme né en 1963 se décrit comme «50% Allemand, 25% Suisse et 25% Tunisien». Dès 1958, son père crée le restaurant lausannois Au Couscous. Mais ce cuisinier, gravement malade, doit rester alité près de dix ans. Il décède lorsque Thierry Wegmüller a 16 ans. Le restaurant est repris par sa veuve, aidée de ses trois enfants, Thierry, Gilles et Jasmina. «J’ai commencé à travailler à l’âge de 10 ans, c’était tout à fait illégal», sourit celui qui est devenu aujourd’hui le roi des nuits lausannoises.

Son histoire familiale vaut bien un film, elle. Sa grand-mère paternelle, une Bernoise, partit comme jeune fille au pair en Tunisie. Là-bas, elle tomba amoureuse du facteur. Ce dernier, polygame, avait déjà deux épouses? Qu’importe, ils se marièrent. Tout ce petit monde vivait en bonne intelligence, à chaque épouse sa chambre. Jusqu’à ce que ce grand-père tunisien meure à la guerre et que sa grand-mère rentre en Suisse avec sa descendance.

La mère de Thierry Wegmüller, elle, a fui l’Allemagne de l’Est au moment de la construction du mur. Pendant dix ans, elle n’a pas pu revoir sa propre mère.

Thierry Wegmüller a beaucoup voyagé lui aussi. Il a travaillé dans l’hôtellerie et la production d’émissions de télévision en Afrique, en Allemagne, étudié la finance aux Etats-Unis. De retour en Suisse, il hésitait entre carrière artistique et hôtellerie, commençant à comprendre qu’il pourrait allier ces deux passions. La rencontre avec sa future femme est décisive. Un soir, Yasmine est venue manger au Couscous. Elle était accompagnée de son époux d’alors, mais il a osé lui offrir une rose. A la même époque, en 1992, son frère Gilles lui propose de créer le Bleu Lézard.

Le défenseur des nuits

Après la fin du mythique club lausannois la Dolce Vita, en 1999, la Cave du Bleu Lézard est la seule à organiser des concerts. Les Wegmüller créent d’autres établissements, notamment le Java, puis plus tard Les Arches et le Café Enning. Ces dernières années, Thierry Wegmüller est monté au front pour défendre la réputation des nuits lausannoises en présidant le Pool Lausanne La Nuit. Depuis 2015, il est à la tête de GastroLausanne, l’association des cafetiers et restaurateurs de la ville. Ses détracteurs l’accusent de «slalomer» pour protéger ses intérêts. D’entretenir de bons rapports avec la ville pour favoriser son club. Dans le milieu, la concurrence est féroce…

Grégoire Junod, syndic de Lausanne, voit en lui un acteur important de la vie culturelle lausannoise, qui a permis à la capitale vaudoise d’être à la pointe en termes de musique actuelle: «Il a collaboré avec nous dans le dossier de la pacification des nuits. Il a compris qu’il fallait pacifier, sans mettre sous cloche. Que la bonne image d’une ville la rendait plus attractive.» Et il a développé un music club romand de qualité. Ainsi, le D! a été élu meilleur club suisse lors des Swiss Nightlife Awards en 2014 et en 2015, à Zurich. Pas mal, pour un couche-tôt.

Du côté des Wegmüller, on chercherait en vain d’autres noctambules. Jasmina s’occupe de l’administration des établissements familiaux. C’est la plus introvertie de la fratrie, à la différence de Thierry. «On est très complémentaires, sinon on ne serait pas encore là, à travailler ensemble depuis vingt-quatre ans!» explique-t-elle, attablée au Bleu. Gilles, lui, a pris en charge le Bleu Lézard et la programmation de sa cave, le Java et le Café Enning. Tous deux sortent peu et passent leurs soirées à la campagne…

Yasmine Char, épouse de Thierry Wegmüller depuis 1997, préfère, elle aussi, sa solitude aux nuits lausannoises. Dans le foyer du théâtre de l’Octogone, elle éclate de rire: «Avec Thierry, nous sommes opposés en tout! Il est du matin et je suis du soir…» Pourtant, elle se dit ravie de vivre avec cet homme «très généreux, qui a mille idées à la fois». «Il comprend mon humour décalé et acide. On rit beaucoup ensemble, par plaisir du jeu de mots. Pour rien, comme ça.» Mieux que dans un Godard, donc. Tant mieux pour eux.

Le D! Club organise un mois de concerts et d’événements, qui culmineront lors de la soirée d’anniversaire du 20 octobre.
www.dclub.ch

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François Wavre / Lundi13
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Point final: 100 000 fr. de gratitude

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Jeudi, 29 Septembre, 2016 - 05:53

La culture nécessite bien sûr d’être soutenue, subventionnée, sponsorisée. Les récompenses ont cette fonction: donner de l’argent pour aller de l’avant, créer avec plus de liberté. Mais ces reconnaissances sont parfois problématiques. Les 100 000 francs décernés par l’Office fédéral de la culture à Sophie Hunger, musicienne confirmée, ont suscité l’incompréhension en Suisse alémanique. La même somme accordée par la Fondation vaudoise pour la culture au photographe Christian Coigny, à titre de Grand Prix 2016, mérite aussi d’être questionnée.

Il ne s’agit pas ici d’ergoter sur la photographie de Christian Coigny, sur son éventuelle importance, sur son possible rayonnement. Mais il a 70 ans et il n’est pas dans le besoin. Il y a quelque chose d’inconvenant dans ces 100 000 francs – cent mille balles, bon sang! – accordés à titre d’«admiration» et de «gratitude», pour utiliser les termes de la fondation. Une telle reconnaissance pourrait se contenter de la moitié de cette somme considérable pour atteindre son plein effet. L’argent épargné pourrait alors prendre le risque d’aller dans la poche vide d’un jeune créateur. Or, l’officialité n’aime pas le risque. Elle préfère distribuer ses largesses aux talents confirmés plutôt qu’à ceux qui ne demandent qu’à prouver leur valeur.

La vraie indécence tient dans cet archaïsme patriarcal, cette gratitude confite dans ses certitudes, cette inadéquation entre un geste princier et une époque dure, extrêmement compétitive, où l’Etat pourrait servir de levier plutôt que d’encensoir. 

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Meapasculpa: Brangelina. What else?

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Jeudi, 29 Septembre, 2016 - 05:54

Parmi les mille histoires qui émaillent l’hystérie collective post-Brangelina, il y en a une particulièrement savoureuse. La chanteuse Adele, lors d’un concert new-yorkais qui suivait l’annonce de leur séparation, a lancé en début de soirée qu’elle le dédiait à Brad et à Angelina. Las, devant les réactions torrentielles provoquées par sa remarque, elle a dû faire une mise au point: c’était une plaisanterie, elle n’était pas sérieuse et, non, elle n’est pas triste pour eux.

Nous ne sommes pas tous des Brangelina. Trop beaux, trop riches, trop célèbres, trop tout. Mais nous sommes tous des Adele. Ne nous mentons pas. Nous ne sommes pas tristes: nous sommes ravis de pouvoir ricaner. Nous avons enfin l’autorisation de nous lâcher.

Dans ce monde dominé moralement par les valeurs bobos, la compassion version dalaï-lama, l’écologie bien-pensante, la bonne humeur obligatoire, la gentillesse et la serviabilité érigées en commandements dès l’enfance, lorsqu’un vent de méchanceté, de joie mauvaise, de mesquinerie – oh, bien déguisée sous une fausse compassion sentimentale – souffle sur le village mondial, c’est un peu comme si l’on libérait d’un coup tout un camp Weight Watchers devant un McDonald’s.

Il y a quelques années, nous avions titré «L’enfant tue le couple» en couverture de L’Hebdo. Ce numéro avait été une vente exceptionnelle, restée inégalée depuis. Le succès de cette couverture prouvait que tout le monde se sentait ou était concerné. Lorsque la chose arrive enfin aux autres – et pas à n’importe quels autres, des autres qui accueillaient un bébé de plus tous les deux ans depuis douze ans tout en continuant de manière surréaliste à sourire et s’embrasser sur les tapis rouges –, on se fait un gros shoot bienvenu de Schadenfreude.

C’est très intéressant, la Schadenfreude, ce terme intraduisible qui indique la jouissance vaguement sadique que nous ressentons devant le malheur des autres. C’est un sentiment surexploité mais pourtant honteux, et universellement condamné. Autant on se vante d’avoir été excité, heureux ou ému, autant on avoue facilement avoir eu peur, été angoissé ou désespéré, autant, en revanche, on dissimule soigneusement tout sentiment de Schadenfreude.

Alors même que les heures de vidéogags que nous infligent les télévisions ou le web ne fonctionnent que sur ce sentiment, tout comme les piles de journaux people dans les kiosques. Les photos des bourrelets des starlettes, leurs cernes au réveil, leurs sorties au restaurant qui se terminent en dispute sous l’objectif des paparazzis ne visent que cet effet cathartique: se délecter d’une mauvaise nouvelle qui, pour une fois, ne concerne pas notre propre vie mais celle des autres. Pour que, pour une fois, ne pas être Brad Pitt ni Angelina Jolie, ne pas être marié à Brad Pitt ou à Angelina Jolie, soit une bonne nouvelle.

isabelle.falconnier@hebdo.ch

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La chronique de Peter Bodenmann: des voix pour les ingénieurs de l’EPFL

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Jeudi, 29 Septembre, 2016 - 05:56

Les centrales nucléaires sont construites par ceux qui misent sur les bombes atomiques. Car les centrales nucléaires sont les mères des bombes A. Des éléments constitutifs des complexes militaro-industriels. Sans quoi, nul n’aurait rien contre la construction de centrales en Iran.

Les centrales nucléaires ne sont pas rentables. Au lieu de tirer enfin la prise, Christoph Blocher veut les subventionner. En novembre, le peuple suisse dira si nous voulons fermer un parc atomique dangereux, parce que le plus vieux du monde, ou si nous le laissons proliférer. Continuer d’exploiter signifie vivre avec des risques élevés que personne n’entend assurer. Les deux termes de l’alternative ne sont pas gratuits. Car les actionnaires des centrales nucléaires sont en majorité, directement ou indirectement, des communes, des cantons et la Confédération. Reste que mieux vaut une fin effrayante qu’un effroi sans fin.

Pour sortir du nucléaire, il faut des solutions de rechange. Dans les pays voisins, les BKW, Axpo, Alpiq et compagnie produisent à partir du soleil et du vent la moitié du courant produit par toutes les centrales nucléaires actuelles réunies. Tout simplement parce que les conditions-cadres y sont meilleures. A l’inverse, la Suisse a les meilleures hautes écoles du continent. Pas grâce à moins d’Etat mais grâce à beaucoup d’Etat. L’énergie solaire fait des progrès. En la matière, la Suisse romande figure aux premiers rangs.

A l’enseigne d’Insolight, Laurent Coulot, Mathieu Ackermann, Florian Gerlich – issus de l’EPFL – ont développé le prototype d’un nouveau panneau solaire qui produit près de deux fois plus de courant que les panneaux actuels: un rendement de 36,5% au lieu de 20%. Indépendamment de la position du soleil, des concentrateurs optiques guident la lumière sur un nombre réduit de cellules solaires, à haute performance et par conséquent coûteuses.

Résultat? Le courant solaire deviendrait encore meilleur marché qu’aujourd’hui. La production de courant d’origine solaire ne nécessiterait que la moitié des surfaces actuelles.

Nos ingénieurs de l’EPFL en promettent-ils trop? D’autres seront-ils plus rapides? Ou réussiront-ils à s’imposer?

Chaque voix en faveur de la sortie du nucléaire est une voix pour les ingénieurs de l’EPFL. 

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Sarah Marquis raconte l’Australie

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Jeudi, 29 Septembre, 2016 - 05:57

«Instincts» raconte les trois mois de survie extrême l’an dernier dans le Kimberley australien de notre héroïne-voyageuse jurassienne.

L’aventurière de l’année 2014 selon le National Geographic avait pourtant parcouru l’Anatolie à cheval, la cordillère des Andes à pied, fait le tour de l’Australie ou relié la Sibérie à l’Australie, elle disait qu’elle devait encore «sortir de ma zone de confort». Sarah Marquis l’a fait du 5 juin au 5 septembre 2015, passant trois mois dans le nord-ouest de l’Australie, dans une des zones les plus inhospitalières du monde, le Kimberley. Le tout en mode survie, soit avec pour seule subsistance ce que lui offrait la nature et pour seuls compagnons les crocodiles, les serpents ou encore les dingos. Et la faim au ventre…

Instincts (Michel Lafon), en librairie cette semaine, narre avec vista, sagesse et précision ces trois mois hors du commun vécus par l’aventurière née à Delémont il y a quarante-trois ans et pour qui la terre est une «gigantesque carte aux trésors». On reste ébahi et admiratif devant la volonté qu’elle met à accomplir cet exploit sportif, physique et psychologique. L’aventure? «Découvrir chaque jour ce que je suis capable de comprendre, évaluer, ressentir, vivre.» Marcher? «Je pense que je suis partie seule, il y a plus de vingt-trois ans maintenant, parce que je voulais savoir de quoi j’étais faite. […] La vie est magique et c’est pour la sentir en moi au plus pur de ses fondations que je marche.»

Rencontres avec Sarah Marquis le 3 octobre à 19 h au Théâtre du Grütli, à Genève, et le 10 à 19 h au Théâtre de Vidy, à Lausanne.
Dédicace le 8 de 15 h à 16 h 30 à Payot Lausanne.

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Sarah Marquis
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La guerre des lanceurs de satellites

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Jeudi, 29 Septembre, 2016 - 05:58

Surfer dans un avion ne va pas encore de soi, mais ce n’est plus une rareté. Pour quelques francs, euros ou dollars, l’accro aux mails ou aux réseaux sociaux peut rester connecté. Pourquoi? Parce que c’est la révolution dans les satellites. Il fut un temps où ce business, lequel concernait avant tout l’exploitation de réémetteurs de télévision, était dominé par quatre géants, qui se partageaient le marché et réalisaient des marges plus que confortables, allant jusqu’à 70%.

Mais les temps de la domination absolue d’Intelsat, un consortium intergouvernemental coté à Wall Street, du luxembourgeois SES, du français Eutelsat et du belge Telesat se termine. Pour preuve, cet aveu, lâché en juillet par le patron de Telesat, l’Américain Daniel Goldberg: «Il y a assurément un excès de capacité dans certains marchés depuis bien une année», rapporte l’agence Bloomberg. A cause de qui? De trois nouveaux venus: le britannique Avanti Communications, le californien ViaSat et le thaïlandais Thaicom.

Résultat de cette nouvelle concurrence: les prix baissent, les rentabilités chutent (et les cours boursiers aussi)… pour le bien des utilisateurs, comme les amateurs de surf dans les avions.

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Etre payé pour aller au fitness? Il y a une «app» pour ça

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Jeudi, 29 Septembre, 2016 - 05:59

Eclairage. Des applications aident les membres de clubs de gym à surmonter leur principal défi: ne pas abandonner.

Si l’industrie du fitness n’a pas encore changé de modèle d’affaires, toujours basé sur le principe de l’abonnement d’un an payable à l’avance, elle subit l’influence toujours plus forte du monde numérique.

«Le mode de consommation a changé, explique Jean-Pierre Sacco, patron et fondateur de la chaîne Let’s Go Fitness. Les gens viennent avec leurs propres programmes d’entraînement. Le client type établit son programme sur l’internet et suit ses progrès en direct sur une, voire plusieurs applications en même temps.» Bienvenue dans le monde du quantified self, où chaque calorie dépensée est répertoriée.

Certains de ces outils numériques visent à relever le principal défi auquel font face tous les membres de clubs de fitness: éviter d’abandonner. Ces applications se basent sur les travaux de l’économiste américain T. C. Schelling. Ses recherches sur le contrôle des armes l’avaient conduit à formuler la théorie du «préengagement», dans laquelle une partie à un conflit promet de respecter certaines conditions si les négociations avec son adversaire échouent. Aussi curieux que cela puisse paraître, ce principe s’applique parfaitement à la pratique du fitness.

L’application GymPact, par exemple, verse des primes aux utilisateurs qui respectent leurs engagements, comme pratiquer un sport ou manger des légumes. Ces montants sont versés par les utilisateurs qui échouent, et qui se sont engagés à payer une pénalité fixée d’avance.

GymPact dispose d’une base de données des centres de fitness dans le monde entier et localise le téléphone de l’utilisateur pour vérifier que celui-ci a bien respecté son «pacte». Ceux qui promettent de manger des légumes une fois par jour doivent prendre leur assiette en photo. Le système semble fonctionner: rien qu’en Suisse, les utilisateurs de l’application ont enregistré plus de 4000 pactes, et le taux de succès serait de 92%, selon le site.

Dans un autre registre, stickk.com vise à «fournir les outils nécessaires pour contrer la nature humaine». Son fonctionnement se base sur des «contrats d’engagement réciproques» et s’applique à tous les objectifs imaginables, qu’il s’agisse d’arrêter de fumer, de respecter un délai ou de se rendre régulièrement au fitness.

Cette promesse consiste par exemple à déposer une somme qui sera restituée à l’utilisateur s’il atteint son but. Dans le cas contraire, l’argent sera versé à une organisation caritative. Le site permet de désigner un ami qui sera chargé de confirmer que l’engagement a été respecté.

Stickk.com a été fondé par Dean Karlan, professeur d’économie comportementale à l’université Yale, qui s’est lui-même inspiré des travaux de T. C. Schelling. Selon Dean Karlan, le recours à la stratégie du préengagement triplerait les chances de succès, quel que soit le type d’objectif. 

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A genoux plutôt que les mains en l’air

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Jeudi, 29 Septembre, 2016 - 05:59

Colin Kaepernick est un quarterback de football américain. Mais si toute l’Amérique en parle depuis un mois, c’est pas pour ses prouesses sur le terrain, c’est parce qu’il a décidé de protester contre les violences policières aux Etats-Unis et les inégalités raciales. Son action est symbolique et non violente, il s’agenouille pendant l’hymne national. Un peu comme Shaqiri et Valbuena.

Il a été progressivement suivi par d’autres sportifs à travers les USA. Des sportifs qui s’engagent, ça nous rappelle Mohamed Ali ou le Black Power de Tommie Smith et John Carlos à Mexico, et ça nous change de ceux qui s’engagent surtout pour leur porte-monnaie comme Messi, contre la grammaire comme Ribéry, ou contre le véganisme comme Luis Suárez.

Mais au lieu de relancer le débat, l’Amérique s’est déchirée sur l’action de Kaepernick. Quand le sage montre la lune, l’idiot regarde le doigt. De quel droit ose-t-il manquer de respect à sa patrie, à son drapeau et à l’armée en ne se mettant pas debout pendant l’hymne?

Vous voyez pas le rapport avec l’armée? Moi non plus mais c’est les Etats-Unis, tout a un rapport avec l’armée, et on a pas le droit de la critiquer. Ils ont même le cynisme d’appeler leur armée «le Département de la défense», alors que la dernière fois qu’ils se sont défendus c’était Pearl Harbor. Moi, si j’achète un chien pour défendre ma maison, je le lâche pas sur les enfants des voisins.

Aux Etats-Unis, tu n’as pas le droit de pas être patriote. C’est pas le seul pays, y a aussi la Corée du Nord et le Valais. Parce que forcer les gens à aimer quelque chose, ça marche. Y a qu’à voir les enfants avec les épinards.

Aux USA, t’as uniquement le droit de te mettre à genoux si c’est pour prier. D’ailleurs c’est un Noir aux Etats-Unis, c’est peut-être ce qu’il faisait.

Selon le Ministère de la justice lui-même, les Noirs comme les Hispaniques ont trois fois plus de risques d’être fouillés et quatre fois plus de risques d’être confrontés à la violence lors de contrôles routiers que les Blancs. 23% des personnes abattues par la police sont des Afro-Américains, alors qu’ils ne représentent que 13% de la population. Enfin bientôt moins que 13%, au rythme où ils se font dégommer. Faut regarder les choses du bon côté, y a bientôt le WWF qui va se mettre à les défendre.

Les violentes manifestations et représailles sur les policiers sont à condamner, la spirale de la violence ne mène nulle part. Mais ce mouvement n’est pas contre les flics, mais contre les bavures. La plupart défilent pacifiquement et avec des slogans comme: Black lives matter, Hands up don’t shoot, ou Stop killing us. Arrêtez de nous tuer. Ça fait partie de ces phrases qu’on ne devrait jamais avoir à dire, comme «Ne mets pas ces piles dans ta bouche» ou «Arrête de coucher avec ta sœur».

Aux Etats-Unis, plus ta peau est foncée, moins t’as de chances d’attraper un coup de soleil, plus t’as de chances d’attraper des coups de feu.

C’est évidemment pas tous les flics, mais y en a trop. Si y avait un petit pourcentage d’orthodontistes qui paniquent dès qu’ils voient un Asiatique et qui lui arrachent la mâchoire sans conséquence aucune, ça fait longtemps qu’on aurait remis en cause la formation, et la loi.

On pensait que ça allait changer après Michael Brown à Ferguson, après Freddie Gray à Baltimore, Tamir Rice à Cleveland, mais non! BuzzFeed publie sa liste des «15 Afro-Américains non armés tués par la police cette année». Vous ne devinerez jamais le numéro 6!

Puis le débat passe à autre chose, Trump a dit une connerie, Clinton a toussé, et y a un match de football américain à la télé. Mais grâce à Kaepernick et les autres, si tu veux voir du foot, tu dois aussi voir ces jeunes Noirs dire qu’ils en ont marre que leurs semblables se fassent descendre parce qu’ils grillent un feu rouge. Toucher au football, au drapeau, et à l’hymne, c’est peut-être finalement la façon la plus américaine de faire avancer les choses.

Après huit ans d’une présidence d’Obama, tout reste à faire pour l’égalité raciale. C’est d’ailleurs un miracle qu’avec le nombre de policiers qui l’entourent constamment, Barack soit encore en vie. 

Retrouvez la version vidéo sur le blog Les Vidéos de Thomas Wiesel

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M. Chat risque la prison ferme

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Jeudi, 29 Septembre, 2016 - 05:59

Originaire de Boudry (NE), Thoma Vuille est dans de sales draps. A Paris, le procureur de la République a requis trois mois ferme à l’encontre du graffeur de 39 ans, établi de longue date en France. Le tribunal correctionnel lui reproche d’avoir peint l’an dernier son fameux M. Chat, un félin aussi jaune que souriant, sur un support provisoire de la gare du Nord.

Il faut dire que Thoma Vuille est un multirécidiviste du graff dans le métro parisien. La SNCF lui avait intenté un procès en 2014 avant que la procédure, qui avait amené de nombreux soutiens au street artiste, ne soit abandonnée pour vice de forme. Thoma Vuille avait auparavant eu des ennuis dans sa ville d’Orléans.

Il plaide la bonne foi dans le cas du dessin de la gare du Nord, le support devant être rapidement recouvert par une paroi, ce qui annulerait le délit de dégradation. Son avocate juge que la réquisition est «d’une dureté incroyable». Le tribunal rendra sa décision le 13 octobre. M. Chat, qui se veut bienveillant et pas du tout subversif, s’est également montré à Genève, à Lisbonne, à Sarajevo ou à Séoul, ainsi que dans le film Chats perchés, de Chris Marker.

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Georges Robert / Citizenside
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Industrie du fitness: L’envers du décor

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Jeudi, 29 Septembre, 2016 - 06:00

Il est presque 10 heures du matin, c’est un jeudi et Sven traîne encore au lit. Quand on lui demande ce qu’il fait dans la vie, cet électricien valaisan de 29 ans se dit en «ré­orientation professionnelle». En clair: il est au chômage et passe un peu trop de temps à la maison.

L’an dernier, Sven s’était offert un abonnement de fitness à plus de 1000 francs. «J’étais avec un groupe d’amis, on s’est inscrits tous ensemble, raconte-t-il. Je me disais qu’avec eux, j’irais faire de l’exercice chaque semaine. C’était un coup de tête.» Sven s’est rendu au club plus ou moins régulièrement pendant deux mois, avant de laisser tomber.

Il n’y pensait plus, mais, fin août dernier, l’électricien en reconversion se rend compte que son abonnement vient d’être renouvelé automatiquement. C’était à lui de le résilier, ce qu’il avait bien entendu oublié de faire. La chaîne Let’s Go Fitness a défendu mordicus les petites lettres de son contrat. Pas de pitié: le voilà bon pour verser de nouveau près de 1000 francs pour un abonnement qu’il continuera de ne pas utiliser.

Sven est loin de s’en douter, mais la mésaventure si typique de son abonnement de fitness intrigue depuis très longtemps une poignée d’économistes. Leur champ d’étude: l’économie comportementale.

Des choix «pas toujours rationnels»

En théorie, les consommateurs ont une attitude rationnelle et dépensent leur argent de la manière la plus efficace possible. Mais si tel est le cas, pourquoi des millions de personnes à travers le monde souscrivent-elles de coûteux abonnements de fitness, le plus souvent pour une durée d’un an, alors qu’une grande partie d’entre elles cessera de s’y rendre en moyenne après trois mois?

«L’observation tend à montrer que les choix économiques des clients de fitness ne sont pas toujours rationnels», expliquent Stefano DellaVigna et Ulrike Malmendier, un couple de professeurs d’économie de l’Université de Californie, à Berkeley. Ils ont écrit l’un des très rares articles scientifiques sur la question. Son titre: «Payer pour ne pas aller à la gym».

La Suisse est un terrain idéal pour observer ce phénomène. L’industrie du fitness y est en plein essor. A en croire les statistiques, les Helvètes figureraient même parmi les pratiquants de fitness les plus avides du monde. Selon la dernière étude de l’Office fédéral du sport, qui date de 2014, 16% des Suisses auraient souscrit un abonnement dans un club de gym. Ce chiffre place le pays dans les premiers rangs au niveau mondial, entre la Suède et le Danemark.

Selon la Fédération suisse des clubs de fitness et de santé (SFGV), qui se base sur des calculs différents et dont les résultats sont légèrement inférieurs, plus de 750 000 personnes seraient abonnées à des clubs de fitness dans le pays. Cette clientèle, au pouvoir d’achat généralement élevé, assure à la branche un chiffre d’affaires annuel de plus de 800 millions de francs.

Concurrence pour attirer de nouveaux clients

Le marché est si lucratif qu’il attire une concurrence toujours plus vive. De nouvelles vitrines ouvrent pratiquement chaque mois. Les deux leaders du secteur, les chaînes Activ Fitness de la Migros et le romand Let’s Go Fitness, sont au coude-à-coude. Le premier compte 36 sites et 70 000 membres, le second 40 clubs pour 43 000 abonnés. En avril dernier, Coop a mis la main sur les 19 enseignes de la chaîne alémanique Update.

«Le potentiel de croissance du marché du fitness est considérable», se réjouissait alors le distributeur dans un communiqué, expliquant qu’«un nombre croissant de personnes reconnaissent les effets positifs sur la santé de la musculation et de l’entraînement cardio». Les investisseurs applaudissent, les nouveaux concepts fleurissent et, dans les villes suisses, les passants sont bombardés de publicités alléchantes, promettant de regonfler fessiers et pectoraux à petit prix et avec peu d’efforts.

Les clubs rivalisent de créativité pour attirer sans cesse de nouveaux clients. A chaque année sa nouvelle mode: la grande tendance du moment est au functional training. Il consiste à faire des exercices de groupe avec des cordes, des ballons ou, pour les plus ambitieux, à soulever des pneus de tracteur. Peu importent les gestes: la biomécanique du corps humain n’a pas changé ces derniers millénaires, et gonfler un biceps requiert toujours les mêmes mouvements, quel que soit le concept marketing qui va autour.

«L’important est d’éviter la monotonie et que le client ne s’ennuie», explique Jean-Pierre Sacco, patron et fondateur de la chaîne Let’s Go Fitness, qui vient de lancer le concept Immersive avec écrans géants à 180 degrés et une ambiance sonore développés sous licence par Reebok et Les Mills, la marque du grand gourou du fitness Leslie Roy.

Faible taux de renouvellement

L’industrie du fitness aime les chiffres, que la SFGV compile tous les deux ans dans un rapport d’une cinquantaine de pages. Salaire des employés, surface moyenne, investissements par mètre carré, nombre d’abonnés par club: tout y passe. A croire que les propriétaires de fitness passent leur temps assis derrière leur guichet à comparer leurs statistiques sur des tableurs Excel.

Il est pourtant un chiffre dont la branche ne se vante pas: le taux de renouvellement des abonnements. Cette proportion est étonnamment faible: en moyenne, un client sur deux ne reconduit pas son contrat à l’échéance.

Parlez-en à un patron de fitness – prenez par exemple Jean-Pierre Sacco – et vous verrez le résultat: il gonflera ses biscoteaux et vous promettra sourire aux lèvres que, en ce qui le concerne, son taux de renouvellement est «bien supérieur» aux 50% de la branche. Si la moyenne plonge autant, ce serait la faute des chaînes low cost qui braderaient les prix en rognant sur la qualité du service, ce qui découragerait les clients.

Reste qu’un taux de renouvellement moyen aussi faible prouve au moins une chose: Sven n’est pas seul dans son cas. Loin de là. Comme lui, près de 90 000 Romands abandonnent le fitness chaque année. La plupart d’entre eux renoncent à pratiquer bien avant l’échéance de leur contrat, et paient donc pour un service qu’ils n’utilisent plus.

Ces déçus du fitness n’ont probablement jamais entendu parler de Thomas Crombie Schelling. C’est tout à fait regrettable. Cet économiste américain, aujourd’hui âgé de 95 ans, avait posé les bases de l’explication du phénomène en 1978 dans un article intitulé «L’égonomique, ou l’art de l’autogestion».

Rien ne prédisposait T. C. Schelling à décrire le comportement des consommateurs de fitness à une époque où le terme n’existait même pas. Le scientifique, lauréat du prix Nobel 2005 pour sa contribution à la théorie des jeux, était avant tout un spécialiste de la dissuasion nucléaire et du contrôle des armes. Dans son article sur l’«égonomique», resté célèbre, il décrit l’être humain comme scindé par une dualité permanente, le soi d’aujourd’hui coexistant avec le soi futur. Le premier doit prendre nombre de décisions que le second aura pour tâche de réaliser.

La plupart du temps, nous gérons cette dualité sans même nous en rendre compte, expliquait T. C. Schelling dans son article précurseur: «Beaucoup d’entre nous utilisent des petits trucs pour nous contraindre à faire les choses que nous devons faire, ou au contraire pour nous empêcher de nous livrer à celles que nous devons éviter: jeter un paquet de cigarettes pour arrêter de fumer, ou prendre un ami comme témoin de nos propres promesses. Placer le réveil à l’autre bout de la pièce le soir, par exemple, obligera notre soi futur à se lever pour l’éteindre.»

Tirer profit de la faiblesse humaine

Toutes les compétences d’un expert en dissuasion nucléaire étaient nécessaires pour éclairer ce conflit entre les deux faces de l’être intérieur. La difficulté vient du fait que chacun de nous se comporte comme deux personnes, observait T. C. Schelling, mais que leurs intérêts sont parfois opposés:

«Celle qui veut garder des poumons propres et une longue vie, et celle qui adore le tabac; celle qui souhaite un corps musclé et mince, et celle qui voudrait reprendre du dessert. Les deux se battent en permanence pour le contrôle.» Le problème, résumait l’économiste, est que le soi présent tend à surestimer la force et la détermination du soi de demain, qui se montre généralement plus faible et lâche que prévu.

Le modèle économique des clubs de fitness est justement conçu pour tirer profit de cette faiblesse, que T. C. Schelling appelle le «conflit intrapersonnel». En reprenant cette théorie, Stefano Della­Vigna et Ulrike Malmendier ont analysé les statistiques de fréquentation de 8000 clubs de fitness américains pendant trois ans.

Leur étude montre que, dans la majorité des cas, les clients surestiment systématiquement leur assiduité future à pratiquer le fitness. A cela s’ajoute la politique tarifaire des clubs, qui incite les consommateurs à souscrire des abonnements annuels plutôt que mensuels. Résultat: les clients paient presque toujours pour des offres qui ne leur sont pas favorables.

Selon les deux chercheurs, au vu de leur consommation effective, la plupart des clients s’en tireraient mieux en renonçant à prendre un abonnement annuel, alors que c’est ce type d’offre qu’ils souscrivent en majorité. En Suisse, 68% des abonnés, soit environ 465 000 personnes, ont acheté ce type d’abonnement (voir le graphique ci-dessous).

L’étude américaine recèle une autre surprise: 80% des détenteurs d’un abonnement mensuel auraient économisé de l’argent s’ils s’étaient contentés de payer à la visite. «Nos recherches montrent que les consommateurs dévient systématiquement du choix contractuel optimal», concluent les deux scientifiques.

Le phénomène a des conséquences sur l’ensemble de la société. Les sommes versées en trop représentent une perte économique pour les clients, et un gain indu par les clubs de fitness. «En termes de magnitude financière et de population concernée, le comportement irrationnel des clients représente un impact économique significatif», affirment Stefano DellaVigna et Ulrike Malmendier.

En Suisse, plus de 370 000 personnes abandonnent la pratique du fitness chaque année. La plupart d’entre elles renoncent à fréquenter les clubs sans utiliser jusqu’au bout les abonnements qu’elles ont payés d’avance, le plus souvent pour un an, et qui leur ont coûté 906 francs en moyenne. Sur la base d’une estimation très conservatrice, les Suisses verseraient ainsi environ 50 millions de francs chaque année à des clubs de fitness où ils ne mettent plus les pieds.

Ce manque d’assiduité collectif a des répercussions sur les politiques de santé. En effet, les clubs de fitness opèrent un lobbying intense pour que leurs services soient au moins partiellement pris en charge par les assurances maladie. Mais là encore, attention aux idées préconçues. Selon Stefano DellaVigna et Ulrike Malmendier, le taux de fréquentation réel des clients de fitness serait si bas que le subventionnement des abonnements par la sécurité sociale n’aurait probablement aucun effet mesurable sur la santé publique.

Fidéliser le client «dans les trois premiers mois»

Dans une certaine mesure, les clubs ont intérêt à recruter des clients qui ne viendront pas utiliser leurs services. Pour eux, le manque d’assiduité de leurs abonnés est à la fois une opportunité et un danger. Jean-Pierre Sacco reconnaît du bout des lèvres que «quand le client ne vient pas, c’est plus rentable». Mais le phénomène est à double tranchant: «Un client qui ne pratique plus, c’est un client qui va résilier», poursuit le fondateur de Let’s Go Fitness.

Gagner chaque année de nouveaux abonnés pour compenser les défections coûte cher en publicité. «Nous cherchons en permanence à communiquer et à augmenter les prestations pour fidéliser la clientèle, assure Jean-Pierre Sacco. C’est une préoccupation constante. Je ne cherche pas à gagner de l’argent sur le dos d’un client qui ne vient pas.»

S’ils en profitent globalement, le comportement irrationnel de la clientèle peut aussi donner des sueurs froides aux patrons de clubs. Les nouveaux clients s’inscrivent en masse fin décembre et début janvier, au plus haut des Fêtes et des résolutions de fin d’année. Ils ont ensuite tendance à abandonner dès le printemps.

«La fidélisation se fait dans les trois premiers mois, explique Alain Amherd, parton du club Leader Top Fitness, à Givisier (FR). Les gens ont des agendas très chargés. Ils ne réalisent pas toujours que l’exercice est un investissement important au niveau temps. S’ils ne prennent pas rapidement l’habitude, ils lâchent.»

Chez Alain Amherd, le système informatique fait apparaître une ligne jaune sur le fichier clients lorsque l’un d’entre eux ne s’est pas présenté depuis plus de vingt et un jours. Lorsqu’il faisait défiler sa liste de clients, fin août, son écran était tout jaune. «Durant l’été, la moitié de la clientèle ne vient plus, déplore le patron. Les gens ne reviennent vraiment qu’au passage à l’heure d’hiver.»

Un modèle pas près de changer

Les clubs de fitness devraient-ils changer de modèle économique pour mieux s’adapter aux besoins de leur clientèle? De nouveaux services se sont lancés ces dernières années, qui prennent mieux en compte la psychologie des consommateurs. La plupart fonctionnent sur la base de récompenses ou de la théorie du «préengagement» développée par T. C. Schelling (lire ci-contre).
La chaîne Let’s Go Fitness se distingue en offrant la possibilité de suspendre sans frais son abonnement pour une durée maximale de 90 jours. Selon Jean-Pierre Sacco, les clients en font un grand usage, notamment durant l’été. La plupart des autres clubs exigent un certificat médical ou font payer un supplément pour cette option. Le patron de Let’s Go ne s’en cache pas: cette offre est un coup marketing, qui correspond en réalité à un rabais de 25% sur l’abonnement annuel.

«Cela fait longtemps que je me creuse la tête pour trouver d’autres systèmes de facturation», admet Alain Amherd. Le patron de Leader Top Fitness avait envisagé de rendre ses offres à la carte plus attrayantes. Il y a finalement renoncé. «Ce sont les jeunes qui sont les plus assidus, précise-t-il. Si je devais les facturer à l’usage, ils payeraient plus que la clientèle plus âgée, qui a davantage de moyens, mais qui vient moins souvent. Ce ne serait pas juste.»

Finalement, Alain Amherd a abandonné l’idée de changer de modèle. «Le monde du fitness tourne ainsi depuis tellement longtemps, ça ne va pas changer du jour au lendemain.»

Sven espère encore se débarrasser de son coûteux abonnement annuel. Il a passé une petite annonce sur l’internet pour le revendre. Mais rien que sur le site où il a publié la sienne, une bonne centaine de personnes tentent en permanence de faire de même, parfois avec de gros rabais. Pour l’instant, personne ne l’a appelé.
 


Chiffres clés du marché du fitness en Suisse en 2015

Prix moyen d’un abonnement
75,50 francs par mois
906 francs par an

Part de la population qui détient un abonnement de fitness
12-16% selon les estimations

Nombre d’abonnés à un club de fitness en Suisse
750 000

Hommes  49,7%
Femmes 50,3%

Nombre de membres par centre de fitness, en moyenne
857

Age moyen
42 ans (2013: 40 ans)

Chiffre d’affaires de la branche
800 millions de francs par an

Source: Fédération suisse des centres de fitness et de santé

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Europe: cette union désincarnée, quel roman!

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Jeudi, 29 Septembre, 2016 - 06:00

Les habitants de l’UE ont de la peine à se réclamer d’une véritable appartenance commune, l’Europe ne produisant aucun mythe, malgré de réels progrès. Le problème: l’Union est une communauté de sujets, pas une communauté de citoyens.

Tous, en Europe, nous nous sentons citoyens d’une nation; cette citoyenneté est inscrite dans nos fibres. Certains croient qu’elle est inscrite dans nos gènes, ce qui, biologiquement, est impossible, mais on y croit tout de même. Si nous adhérons à l’Union européenne, la relation est évidemment moins charnelle, plus cérébrale. Cette Europe, qui souffre de notre détachement, serait-elle plus artificielle, moins naturelle que la nation? Les deux, en vérité, sont des constructions nées de l’histoire, les deux sont des communautés imaginaires.

On croit naître Français ou Espagnol, alors qu’on le devient par un mélange d’éducation, de pression sociale et d’absorption de mythes. Certes, la nation est plus ancienne que l’Europe, mais à un ou deux siècles près, pas tant que cela. Et la création de l’Europe n’obéit pas à une logique essentiellement différente de celle de la nation.

La nation, au départ, n’est qu’une fédération de tribus réunies de gré ou de force par quelque chef autoritaire: les sujets qui furent initialement asservis se sont métamorphosés en notre temps, et grâce à la démocratie, en des citoyens consentants.

Si nous sommes tous devenus des «nationaux», c’est parce que nous y trouvons des avantages: l’Etat, qui coïncide en gros avec la nation, nous procure la paix civile et une certaine solidarité sociale. La nation nous confère aussi, c’est important, un certain confort moral: en participant à cette communauté imaginaire, nous nous sentons moins seuls, nous partageons une histoire, des rites et des mythes collectifs. La nation est avant tout un mythe partagé mais, comme le dit Edgar Morin, les mythes sont des objets réels:

«Notre cerveau crée des mythes qui s’emparent de notre cerveau.»

Ce n’est pas le cas avec l’Europe, ou pas encore: l’Europe est faible, paradoxalement, parce qu’elle ne produit que des progrès réels mais aucun mythe. Si, au moins, les progrès réels que procure cette Europe étaient connus, mais ils le sont peu. La paix sur le continent, qui était l’objectif premier et qui est atteint, la liberté de voyager, d’étudier, de travailler, d’échanger au travers de tout ce continent, cela est considéré comme allant de soi, un acquis définitif: ça ne l’est pas. C’est le résultat de négociations minutieuses, ennuyeuses, sur lesquelles on sait peu.

Les acteurs de cette mécanique européenne ne sont pas des héros, parce qu’ils ne parlent pas à notre cœur, ils ne produisent que du concret, ils ne nous font pas rêver. Et ils n’ont pas de visage. Ne s’expriment au nom de l’Europe qu’un banquier à Francfort et un commissaire à Bruxelles: leur légitimité laisse sceptique, leur vocabulaire est hermétique.

Où donc est passé le président de l’Europe, le Polonais Donald Tusk? Quand il fut désigné par les chefs d’Etat et de gouvernement des Etats membres de l’Union européenne en 2014, Tusk semblait réunir toutes les qualités nécessaires pour incarner l’Europe: ancien combattant du mouvement Solidarité en Pologne, premier ministre libéral, il avait contribué à la grande transformation de son pays, d’une dictature pauvre en une démocratie relativement prospère, grâce à son entrée en Europe et au soutien massif que celle-ci a octroyé aux Polonais.

Mais Tusk est inaudible, invisible, moins de son fait, je crois, qu’en raison de son manque de piédestal démocratique. Qui l’a fait roi et pourquoi?

On parvient là au cœur du malaise européen: l’Europe est une communauté de sujets, pas une communauté de citoyens. La seule élection européenne à laquelle nous participons, celle du Parlement, tous les cinq ans, est à peine exemplaire: on vote sur une base nationale pour déléguer des représentants de partis nationaux dans un Parlement supposé européen. Ces candidats sont parfois antieuropéens ou se présentent rarement pour défendre des positions claires sur l’Europe.

Pareillement, comme nous ne prenons pas part à la désignation du président du Conseil européen, nul ne considère qu’il représente quoi que ce soit ni qui que ce soit. Le malaise européen n’est donc pas technique mais institutionnel, ce que les chefs de gouvernement réunis de sommet en sommet, le tout dernier à Bratislava, n’évoquent pas.

Les modifications à apporter – plus faciles sans les Britanniques – pour créer une Europe de citoyens ne seraient pourtant pas bouleversantes: il suffirait que le Parlement européen soit élu dans une seule circonscription, l’Europe, avec des listes européennes et des candidats européens: ceux-ci ne seraient donc élus qu’en obtenant suffisamment de voix dans tous les pays membres simultanément. Ce Parlement aurait alors vocation à élire à son tour un gouvernement européen.

Evitons le présidentialisme, qui pousse à la démagogie et à l’autoritarisme. L’Europe commencerait, en empruntant cette voie, à devenir une épopée collective. Quand cette Europe-là aura engendré son Victor Hugo, son Cervantès, elle deviendra une réelle communauté imaginaire. 

Retrouvez les billets de Guy Sorman dans son blog Le futur, c’est tout de suite

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Dans les couloirs de la mort, épisode 2

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Jeudi, 6 Octobre, 2016 - 05:38

Épisode 2: Comment ne pas devenir fou à l’isolement

«La peine de mort, c’est le miroir grossissant des problèmes non résolus aux Etats-Unis.» Le dessinateur Patrick Chappatte a réalisé avec sa femme, Anne-Frédérique Widmann, un reportage BD à la fois terrible et sensible sur le sujet. Publié en mai dans le New York Times, il éclaire une situation carcérale intolérable.

L’Hebdo le publie à son tour en trois épisodes, à l’heure où deux candidats aux vues divergentes sur la peine de mort se battent pour accéder à la Maison Blanche.

En guise d’introduction, la première partie relatait une conversation téléphonique surréaliste dans un hôtel de Davos entre Chappatte et Arnold Prieto, un homme dont il admire les dessins*, qui sera exécuté le soir même.

La semaine prochaine "Episode 3: Souvenirs du jour de mon exécution"
 
* windowsondeathrow.com

www.heb.do/chappatte

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Patrick Chappatte
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A grand chef, grand tournant

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Jeudi, 6 Octobre, 2016 - 05:39

Décodage. Le chef genevois Claude Legras, 17/20 au GaultMillau et deux étoiles au Michelin, annonce qu’il réduit la voilure pour survivre. La pointe de l’iceberg d’une grande gastronomie en mutation.

L’été 2016 aurait été particulièrement difficile si Claude Legras n’avait pas temporairement proposé une carte bistrotière dans son élégant restaurant panoramique, Le Floris, à Anières (GE). Doublement étoilé Michelin, Clé d’Or du GaultMillau en 1985 et coté 17/20 depuis bientôt vingt ans, ce MOF (Meilleur ouvrier de France) en tire les leçons: il va progressivement redéfinir ses priorités.

«Avec des menus moins complexes et moins chers, cela me permet de toucher une plus large clientèle.» Il ne s’agit donc pas de renoncer à la qualité, mais de simplifier l’offre et le service. Pour la survie de son entreprise, c’est le choix qui s’impose.

Alors que le GaultMillau et le Michelin sortent de presse et continuent d’encenser son travail, le talentueux chef a pris cette décision car, en deux ans, il a enregistré 12% de chiffre d’affaires en moins. Il n’est pas le seul. Nombre d’autres enseignes prestigieuses sont dans le même cas. «Le monde a changé», constate Claude Legras.

Les week-ends, la clientèle aisée s’envole low cost direction Nice, Copenhague ou Barcelone. Or, ce qui est dépensé là-bas ne l’est plus ici. Un énorme manque à gagner alors que la densité d’excellentes tables reste unique au monde en Suisse romande.

La crise est aussi passée par là. Les entreprises qui licencient ne peuvent décemment plus inviter leurs clients dans des restaurants de luxe. Et nombre de grandes sociétés optent pour des restaurants privés, intra-muros, plus discrets. Quant aux ménages, ils n’en finissent plus de voir leur budget s’éroder. Comme personne n’est certain de garder son emploi, l’heure n’est pas aux folies au restaurant.

Et puis il y a le changement de génération. Les jeunes adultes ont pleinement intégré le slogan «Boire ou conduire, il faut choisir». Ils privilégient les tables faciles d’accès en transports publics, ou des auberges permettant de dormir sur place. S’ajoute à cela une explosion d’offres de restauration de qualité allant du food truck – comme celui du Floris! – à la brasserie urbaine qui répond aux attentes d’une clientèle moins fidèle et plus spontanée, qui zappe sans complexes du sandwich au gastro.

De quoi plomber le moral dans la grande restauration de luxe, un segment où l’hôtellerie se profile depuis dix ans en acteur prédominant: même à perte, une table toquée ou étoilée est désormais un élément de prestige essentiel pour ancrer l’image d’un hôtel de luxe. Du coup, les palaces se livrent à une véritable surenchère gastronomique.

Il y a dix ans, le GaultMillau recensait neuf tables d’hôtels de luxe à Genève. Dans l’édition 2017, il y en aura douze. A Lausanne, les trois palaces (Beau-Rivage, Palace, Royal Savoy) et leurs satellites totalisent cette année dix tables de qualité!

Suppression de postes

«Les cuisiniers indépendants ne disposent pas des mêmes moyens ni de la même infrastructure», explique Claude Legras, qui cumule les postes de chef de cuisine, chef du personnel, chef du marketing, chef comptable… au cours de journées de travail de quatorze heures. Il l’avoue: «Arrivé à 60 ans, j’aimerais avoir un peu de temps pour moi, je demande à sortir des guides afin de trouver une nouvelle sérénité.»

L’heure est alors à la réorganisation. «Je vais devoir me séparer de quatre collaborateurs pour diminuer la masse salariale de 10 à 15%. Puis je vais redéfinir mes cartes et proposer des menus à 80 francs plutôt qu’à 130.» Comment? «Par exemple en proposant du cabillaud, du maquereau ou de l’omble du lac, plutôt que de la sole. Le coût des marchandises sera ainsi réduit de 25 à 30%.»

Le Floris nouveau sera donc plus axé sur les produits de proximité et les plats canailles interprétés avec talent. Sur les after work relax, aussi. Le chiffre d’affaires devrait ainsi regagner de 10 à 15%, estime le chef. «Ce n’était pas ce que j’avais imaginé en reprenant l’affaire il y a vingt ans, mais c’est un beau projet.» Un projet gourmand, pertinent et prémonitoire, qui amorce un tournant dans l’histoire de la gastronomie helvétique. 

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Désirée Koenig, l’éloquence et les poissons-zèbres

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Jeudi, 6 Octobre, 2016 - 05:40

Boris Bertoli

Portrait. En évoquant un petit poisson capable de se régénérer, la jeune Bernoise a remporté au Maroc la finale de Ma thèse en 180 secondes. Un concours international de vulgarisation.

Désirée Koenig paraît presque soulagée de retrouver son microscope après deux entretiens téléphoniques accordés à une matinale marocaine puis à une grande station de radio française, un exercice qu’elle a trouvé plus ardu que de s’exprimer en public. La jeune femme rentre tout juste de Rabat, où elle a remporté la finale du concours international francophone Ma thèse en 180 secondes (MT 180, lire ci-contre).

Son exposé lui a permis de battre des universitaires venus de France, du Canada, de plusieurs pays d’Afrique et même d’Indonésie. Une performance d’autant plus remarquable que le sujet de sa thèse, «La régénération des organes chez le poisson-zèbre», ne se laisse pas résumer facilement.

Le poisson-zèbre, petit vertébré aquatique bien connu des aquariophiles débutants, possède la faculté surprenante de régénérer son cœur, sa moelle épinière ou ses nageoires. Cette particularité en fait un organisme très utilisé par les biologistes, qui sont parvenus à rendre fluorescentes les cellules du poisson afin d’observer leur rôle spécifique dans la régénération des tissus.

Expérience dans le théâtre

Née dans le Jura bernois en 1990, Désirée Koenig a d’abord parlé l’allemand avec ses parents, une langue dans laquelle elle se sent désormais moins à l’aise qu’en français. Elle s’est intéressée à la neuro-immunologie et a consacré son mémoire à l’effet de la maladie d’Alzheimer sur les cellules immunitaires du cerveau avant de trouver un poste de doctorante à l’Université de Fribourg.

A l’âge de 15 ans, alors qu’elle travaillait pendant l’été dans une fabrique de chocolat, l’une de ses collègues a eu la main happée par une machine, qui lui a broyé un doigt. Un accident qui est d’ailleurs évoqué dans la présentation que Désirée Koenig a donnée à Rabat. «J’y ai repensé par la suite, en commençant à travailler sur le poisson-zèbre. Il est possible que les recherches qu’on lui consacre permettent à l’avenir d’importantes avancées scientifiques dans le domaine de la médecine régénérative.»

Bien avant de s’inscrire au concours MT 180, Désirée Koenig s’était déjà essayée au théâtre. C’est surtout l’exercice oratoire qui lui avait plu. «J’ai compris à cette occasion que j’étais moins douée pour incarner des personnages du répertoire que pour expliquer et vulgariser les sujets qui m’intéressent. J’ai besoin d’authenticité pour bien m’exprimer en public.» C’est cette authenticité qu’a particulièrement appréciée le jury de la finale internationale, composé à la fois de membres du monde académique et de personnalités issues des médias ou de la société civile.

La jeune femme aimerait maintenant travailler dans le domaine de la communication scientifique. Cet intérêt pour la vulgarisation transparaît aussi dans ses passe-temps. Elle confie ainsi s’adonner régulièrement à l’écriture de textes de fiction, en anglais surtout.

«Cela peut sembler paradoxal, mais écrire dans une langue que je maîtrise un peu moins bien que le français me permet de ne pas trop penser aux exigences du style.» C’est aussi en anglais que Désirée suit les événements liés à la vulgarisation scientifique, un domaine peu relayé en français. Elle regarde volontiers les conférences de la franchise américaine TED (Technology, Entertainment and Design). En attendant peut-être d’y participer un jour. 

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Eddy Mottaz
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Le confesseur de fonctionnaires

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Jeudi, 6 Octobre, 2016 - 05:44

Rencontre. Coauteur d’un ouvrage sur l’administration publique contemporaine, le professeur David Giauque s’est entretenu avec des centaines d’agents publics. Alors, planqués ou bosseurs, les fonctionnaires?

«Ils ne fichent pas grand-chose. Ils ont la sécurité de l’emploi. Ils ne sont pas flexibles. Ils se cachent derrière le règlement. Ils résistent au changement. Ils seraient incapables de travailler dans le secteur privé.» La réputation des fonctionnaires, ces éternels planqués, a la vie dure. A tort ou à raison?

Professeur à l’Institut d’études politiques, historiques et internationales de l’Université de Lausanne et coauteur d’un ouvrage sur l’administration publique et ses acteurs au XXIe siècle 1, David Giauque, étudie depuis quinze ans l’administration suisse au côté du professeur Yves Emery.

Sa réponse est catégorique: «Tous ces clichés sont faux. Mais je suis persuadé que c’est encore l’image que certains citoyens ont d’eux. Ils les voient comme des gens qui leur cherchent des noises ou veulent les contrôler, et non comme des partenaires aidants. En publiant cet ouvrage, nous voulions réhabiliter le métier d’agent public.» 

C’est ainsi que le chercheur nomme les fonctionnaires en Suisse. «Alors qu’en France, l’administration publique est un milieu fermé auquel on accède par concours et en suivant une formation spécifique, en Suisse et au Canada, c’est un milieu ouvert à tous, et le statut n’est plus ce qu’il était.»

Assis devant un renversé, à la table d’un tea-room au cœur de Lausanne, le politologue évoque ces centaines de fonctionnaires rencontrés à l’occasion de ses multiples études. «Mon activité est passionnante. Les agents publics sont dans des secteurs stratégiques de nos vies à tous. Ils les influencent. Qu’on le veuille ou non, ils nous accompagnent.»

Fils de travailleur social, fonctionnaire lui-même, David Giauque est né et a grandi au Plateau de Diesse (Jura bernois), avant de s’établir à Lausanne puis à Martigny avec son épouse et leurs trois enfants. Lunettes, chemise à carreaux, jean, air sympathique et décontracté, le quadragénaire inspire confiance. Une qualité essentielle pour le type d’études et d’entretiens qu’il mène dans tous les cantons romands.

«C’est l’élément central. La totalité des données ne sortent jamais de nos bureaux et les réponses des gens qui ont accepté de participer sont chargées sur nos serveurs.»

Questionnaires ou entretiens

Avant de pouvoir s’entretenir avec les collaborateurs d’un service ou d’une entité, il s’agit de montrer patte blanche. «Tisser des liens de confiance avec l’administration, c’est très compliqué et très politique. Il s’agit d’obtenir l’autorisation du responsable politique, en passant par son conseiller personnel, un chef de département ou les ressources humaines.»

Comment fait-il pour les convaincre? «Nous leur disons que nos recherches peuvent avoir un impact positif, par exemple, en prenant connaissance des facteurs importants aux yeux des collaborateurs et des pratiques de gestion des ressources humaines qui peuvent les motiver et favoriser leur implication.»

A partir de là, les fonctionnaires ne se font pas prier pour participer, puisqu’ils sont bien souvent plus de 70% à répondre par écrit ou oralement, lors d’entretiens de groupe ou individuels, qui prennent jusqu’à deux heures. «Ils sont contents de parler. Ils ont besoin d’exprimer ce qu’ils ressentent et n’ont pas envie de cacher les choses. Lors d’entrevues de groupe, il y a toujours un moment glacial au début, puis les langues se délient et les gens se lâchent. Les femmes ont moins de pudeur à confier des sentiments plus personnels.»

Le mépris qui fait mal

Que pensent-ils des clichés qui circulent sur eux? «Ils sont à la fois malheureux, désabusés et fâchés. Leur colère est liée à certains politiciens qui utilisent cette image négative pour se profiler politiquement. Rappelez-vous Christoph Blocher qui, en arrivant au Conseil fédéral, avait traité ses services d’ateliers protégés.»

Pourtant, selon le chercheur, aucune étude n’a jamais prouvé que l’administration publique est moins compétente que le secteur privé. «De nombreux chefs de service, qui sont très compétents – beaucoup ont des doctorats – reçoivent d’ailleurs des offres d’employeurs privés, pour un salaire plus élevé. Mais ils n’y vont pas. Une grande partie des agents publics sont altruistes. Et il est plus facile de vivre de telles valeurs dans le secteur public.»

Le constat général de David Giauque? La pénibilité du travail est en augmentation. «Dans le milieu hospitalier, par exemple, beaucoup de collaborateurs souffrent. Depuis quinze ans, il y a changements sur changements qui, comme dans d’autres secteurs, sont imposés par le haut. Les règles et les structures sont modifiées, sans compter les innovations.»

A cela s’ajoute une pression toujours plus grande sur le personnel pour remettre les gens sur pied le plus rapidement possible pour qu’ils quittent l’hôpital, financement des coûts oblige. «Il y a trop de patients, toujours moins de personnel et toujours plus de paperasserie pour justifier les coûts. Les soignants sont à flux tendu. Ils bâclent leur travail, le constatent et en souffrent.

Certains en arrivent à être dégoûtés par les malades ou se mettent à les détester. Ils changent alors de travail. On demande toujours plus aux collaborateurs. On veut des gens motivés, qui mouillent leur maillot, et on passe son temps à leur compliquer la vie. Bien sûr, les expériences personnelles sont toujours uniques et contrastées.»

Du côté des enseignants, même fatigue et même accablement. David Giauque constate que leur domaine est réformé tous les deux ans. La pression est de plus en plus forte pour obtenir de bons résultats. A cela s’ajoutent des parents de plus en plus interventionnistes, la présence d’enfants avec des problèmes spécifiques qui sont intégrés dans les classes «normales».

Tout de même, treize semaines de vacances par année, il y a de quoi se détendre, non? «Enseignant est un métier très pénible. S’il n’y avait pas ces plages de décompression, c’est une profession qui serait désaffectée. Il serait dommage que seuls les résignés et les moins compétents finissent dans l’enseignement.»

De fait, lorsqu’un fonctionnaire n’a plus les ressources pour se dire qu’il fait du bon travail, c’est le début de la fin. «Le jugement sur son propre travail est quelque chose de central. S’il est négatif, cela engendre une très grande souffrance et les personnes démissionnent.»

Au dire du chercheur, les fonctionnaires qui sont très motivés et qui ont le plus de difficultés sont les «bureaucrates de terrain ou de guichet», à l’instar des collaborateurs des offices régionaux de placement (ORP).

«Ils sont souvent dans des exigences très contradictoires. Ils considèrent qu’ils sont là pour aider les usagers mais, en même temps, on leur demande de les contraindre, de faire pression pour qu’ils retrouvent un emploi. De plus, ils ont le droit et le devoir de les pénaliser. Certains prennent les problèmes des gens qu’ils rencontrent avec eux à la maison, alors que d’autres, les plus anciens ou expérimentés, arrivent à ne plus y penser une fois qu’ils quittent leur bureau.»

Besoin de parler

Si David Giauque n’a jamais dû faire face à des crises de larmes lors d’entretiens personnels, des fonctionnaires se disent profondément touchés par certaines situations vécues. «Ils expliquent pourquoi ils n’ont pas eu les capacités suffisantes pour résoudre les problèmes des usagers.»

Très souvent, les collaborateurs de l’administration publique remercient l’interlocuteur universitaire de les avoir écoutés. «Nous sommes le réceptacle de gros ressentiments et de grosses frustrations, parfois.» En revanche, certains sont très fâchés contre le chercheur et son confrère, leur reprochant d’être trop silencieux et de ne pas prendre la défense de leur profession. «Ils attendent que l’on développe des outils qui aient un impact sur leur réalité. Mais est-ce notre job d’aller plus loin que la description et l’analyse de situations, en proposant des recommandations aux administrations?»

Toujours plus de pression, de moins en moins de temps pour réaliser leur travail, des changements incessants auxquels il s’agit de s’adapter, des coupes budgétaires qui ont une influence sur leur salaire, ces conditions de travail ne sont pas l’apanage des seuls services publics, mais touchent aussi les employés du secteur privé. Trop douillets, les fonctionnaires?

«Au lieu d’opposer salariés privés et agents publics, il faudrait que les employés du privé se battent un peu plus souvent au côté des agents publics pour réclamer des conditions de travail décentes pour toutes et tous. Les travailleurs peu organisés rendent les choses plus faciles aux patrons.»

1 «L’acteur et la bureaucratie au XXIe siècle». Sous la direction de David Giauque et Yves Emery. Presses de l’Université Laval.

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Sedrik Nemeth
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Le passé trouble de Monsieur Pokémon Go

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Jeudi, 6 Octobre, 2016 - 05:47

Enquête. John Hanke est l’homme derrière le succès historique du jeu de réalité virtuelle. A 49 ans, le patron de la société Niantic Labs, père fondateur des services Google Maps, Earth et Street View, expert dans la cartographie et la géolocalisation, s’est retrouvé au cœur du plus grand scandale d’atteinte à la vie privée de l’ère internet.

John Hanke ressemble à Jim Carrey. La coupe de cheveux, l’œil rieur et un sens commun pour l’entertainment y sont pour beaucoup. Mais derrière la mèche rebelle et le style décontracté si caractéristique des grands patrons de la Silicon Valley se cache un redoutable entrepreneur dans l’industrie de la réalité augmentée et de la géolocalisation. Le nom de John Hanke ne vous dit rien? C’est pourtant l’homme derrière le succès historique de Pokémon Go.

Lancé au début de l’été dernier, le jeu a pulvérisé les records de téléchargements. L’application rapporterait plus de 10 millions de dollars par jour, selon le cabinet d’analyse américain App Annie. De quoi encore grossir le compte en banque de son propriétaire déjà très riche. Sa société, Niantic Labs, qui a développé Pokémon Go, pèserait 3,65 milliards de dollars d’après Citibank. Et l’exploitation des données personnelles des utilisateurs de ce jeu promet de rapporter toujours plus à John Hanke, qui a bâti sa fortune sur le data. Il est en effet un boulimique de la donnée.

Avec Pokémon Go, l’Américain de 49 ans a construit un produit à son image. Ce jeu de réalité augmentée aspire et gloutonne les informations personnelles de ses utilisateurs. Car la chasse aux Pokémon n’est pas gratuite. Elle exige un accès ininterrompu à la caméra ainsi qu’à la localisation du téléphone portable. Toutes ces informations privées viennent ensuite irriguer les poches de John Hanke. Un homme passé maître dans l’exploitation et la monétisation de ces données, qui s’est retrouvé au cœur d’une des plus graves controverses depuis les débuts de l’internet: le scandale Wi-Spy.

Soutien de la CIA

Nous sommes au tournant de l’an 2000. John Hanke fonde alors la société Keyhole, spécialisée dans l’imagerie satellitaire. L’entreprise bénéficie du soutien financier de la CIA qui utilise ce service cartographique en 2003 pour préparer l’invasion de l’Irak. Keyhole aiguise surtout les appétits des futurs géants de la Silicon Valley. A l’instar de Google, qui la rachète en 2004 pour 35 millions de dollars. La technologie de Keyhole doit servir de base pour bâtir Google Earth, le fameux logiciel de visualisation de la Terre.

Au sein de la firme de Mountain View, John Hanke dirige le département géo. Cette unité regroupe les services Google Earth, Maps et Street View. L’Américain règne ainsi sur l’ensemble des projets liés à la géolocalisation. A l’époque, l’entrepreneur est perçu comme un véritable pionnier dans la cartographie. Ses services deviennent très vite incontournables. Manque encore le modèle d’affaires pour monétiser ces informations cartographiques. Pour imposer ses outils dans le monde entier, Google va devoir le numériser. Le service Google Street View est né.

Avec ses Google Cars, John Hanke et son équipe arpentent chaque recoin de la planète pour photographier le moindre immeuble, poteau ou arbre qui s’offre à l’objectif de cette flotte équipée de capteurs. Ils ajoutent ensuite des photos à leurs cartes via une interface de programmation applicative (API).

Cette précieuse base de données sert de socle à de multiples applications, dont le jeu Pokémon Go. C’était compter sans le zèle de John Hanke. Car, dans son road trip planétaire pour alimenter le service Google Street View, l’entrepreneur a fait bien plus que cartographier le monde.

En 2010, sous la pression d’une autorité allemande chargée de la protection des données, Google révèle qu’elle a secrètement enregistré les mots de passe, les e-mails, les dossiers médicaux, les données financières mais aussi audio et vidéo d’individus qui se sont, malgré eux, retrouvés dans le sillage des Google Cars. La firme californienne a aspiré ces données privées via les réseaux wifi non sécurisés. Le scandale baptisé Wi-Spy éclate et éclabousse le mode opératoire de Google dans sa collecte de données.

Plusieurs pays comme la France, le Royaume-Uni, la Corée du Sud et le Canada, où la récolte des données sur des réseaux wifi est illégale, s’emparent du dossier et condamnent Google à plusieurs dizaines de milliers de dollars d’amende. Aux Etats-Unis, le Ministère de la justice ouvre une enquête. Trois ans après ces révélations, Google accepte finalement de verser 7 millions de dollars pour mettre un terme au litige. En 2015, le groupe de Mountain View a généré un chiffre d’affaires de 75 milliards de dollars.

Le brevet aux milliards de dollars

L’affaire Wi-Spy accable particulièrement John Hanke. A l’époque, par la voix de son porte-parole, le Texan dément toute implication et rejette la faute sur le département mobile de Google. Pourtant, c’est bel et bien l’une des entités de son département qui est au cœur de l’enquête ouverte par les autorités américaines. Deux mois plus tard, un des collaborateurs de John Hanke admet d’ailleurs dans un billet de blog que «de graves erreurs ont été commises dans la collecte de données wifi. Nous nous sommes efforcés de les corriger rapidement.»

Le rapport d’enquête de la Commission fédérale des communications américaine (FCC) identifie un certain Marius Milner. Ce spécialiste des systèmes de sécurité, figure bien connue de la communauté des hackeurs, officie chez Google. Il aurait rédigé le code permettant aux Google Cars d’aspirer les données privées de centaines de milliers d’internautes. Il se trouve que Marius Milner est l’un des coauteurs – avec John Hanke – d’un brevet détenu par la société Niantic Labs.

Au cœur de la tempête, John Hanke décide de prendre ses distances avec Google. Il fonde, en 2010, Niantic Labs. La start-up spécialisée dans la réalité virtuelle sur mobile est une entité autonome au sein de Google. Elle vise à appliquer les technologies de géolocalisation au monde du jeu vidéo. Il s’ensuivra la publication de plusieurs jeux jusqu’à l’indépendance.

En 2015, l’entreprise quitte définitivement le giron de Google pour favoriser des collaborations commerciales avec d’autres acteurs. John Hanke a fait le grand saut, sans oublier d’emporter avec lui le fameux brevet.

Ce document confère explicitement de larges pouvoirs à Niantic Labs et détaille comment un jeu comme Pokémon Go peut collecter des informations sur les joueurs. «L’objectif du jeu peut être directement lié à une activité de collecte de données, par exemple lorsqu’une tâche implique que l’utilisateur récupère des informations relatives au monde réel et les transmette pour atteindre l’objectif», peut-on lire dans le brevet cité par le site de journalisme d’investigation américain The Intercept.

En octobre 2015, Nintendo injecte 20 millions de dollars dans Niantic Labs. Le géant nippon du jeu vidéo cherche à développer sa présence sur le mobile.

L’année suivante, Niantic Labs sort Pokémon Go, dont la franchise de jeu vidéo créée en 1996 par Satoshi Tajiri est un modèle de réussite. Dès la sortie officielle de l’application, c’est l’engouement planétaire.

Les millions d’utilisateurs de Pokémon Go en oublieraient presque la politique de confidentialité du jeu, pourtant très claire: «Nous recueillons et stockons des informations sur votre localisation (ou celle de votre enfant autorisé). […] Vous comprenez et acceptez qu’en utilisant notre application vous (ou votre enfant autorisé) nous transmettez la localisation de votre appareil et que certaines de ces informations de localisation, notamment votre nom d’utilisateur (ou celui de votre enfant autorisé), peuvent être partagées via l’application.»

Mais avec qui?

Réactions de méfiance

Niantic Labs se réserve le droit de partager avec des tiers des informations qui ne permettent pas d’identifier l’utilisateur de Pokémon Go. Parmi elles, les données qui relèvent «de la recherche et de l’analyse, du profilage démographique, et à d’autres fins similaires».

Ce partage n’inclurait «en aucun cas vos données à caractère personnel (ou celles de votre enfant autorisé)», peut-on lire dans le long document relatif à la politique de confidentialité de Niantic Labs pour les joueurs de Pokémon Go. Cependant, en juillet dernier, une semaine après le lancement de l’application, plusieurs joueurs ont pris peur en constatant que Pokémon Go exigeait une permission d’accès intégral à leur compte Google.

La société de John Hanke les a rassurés. Il n’empêche, ces données privées sont là, quelque part dans les serveurs de Niantic Labs ou de Google. Et finalement, à quoi bon s’en offusquer? A constater la frénésie pour ce jeu de réalité virtuelle, rien n’est trop bon pour chasser le «Poké».

Tout au long de l’été, le patron de la firme multimilliardaire Niantic Labs s’est affiché dans la presse internationale pour commenter ce surprenant engouement planétaire sans se départir de son sourire Pepsodent. A le regarder, c’est fou ce que John Hanke ressemble à Jim Carrey dans Batman Forever. 

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Les grands châteaux font de l'ombre aux petits domaines

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Jeudi, 6 Octobre, 2016 - 05:49

Boris Mabillard

Enquête. Un vent nouveau souffle sur les vins du Bordelais. La jeune génération veut rompre avec l'image traditionnelle: des crus trop chers et contaminés par les pesticides.

L’Intendant offre au chaland quatre étages de grands bordeaux, de premiers crus, des châteaux en veux-tu en voilà, classés par appellation (voir carte en page 8). Cette vinothèque située en face de l’opéra, au cœur du plus huppé de Bordeaux, est une adresse presque incontournable pour les touristes qui veulent débourser une centaine d’euros pour une bouteille prestigieuse.

Un voyageur espagnol demande, en glissant sur les syllabes, «oune bouteille dé Châteauneuf-dou-Pape», le caviste, ironique et cassant, répond: «Nous n’avons que de grands bordeaux, ici.» C’est l’image d’Epinal avec son cortège de malentendus qui reflètent plus ou moins la réalité: vins chers, snobs, faits par des investisseurs ou des châtelains pour d’autres privilégiés. Pour couronner le tout, les vignerons girondins sont accusés d’abuser des pesticides et de provoquer un désastre écologique.

Pourtant, le monde de la vigne bouge. Et si le virage est tardif, il ne date pas d’hier non plus. A côté des vieux châteaux que se disputent les investisseurs, de petites propriétés proposent des vins bien faits dont le rapport qualité-prix est excellent. Alors que le Bordelais rechignait à s’orienter vers le bio, des viticulteurs de plus en plus nombreux se sont convertis à des pratiques respectueuses de l’environnement.

Un marché en reprise

Presque en face de L’Intendant, la Maison du Vin abrite le Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB) et, au rez-de-chaussée, une vinothèque – le Bar à Vin – qui propose une très belle carte dans un cadre agréable. C’est auprès du CIVB que tous ceux qui s’intéressent au vin et qui veulent avoir des informations détaillées se rendent. Les crus de Bordeaux souffrent-ils d’une image négative?

Pour Christophe Chateau, qui dirige le département de communication du CIVB, «on se focalise à tort sur les grands crus qui ne représentent pourtant que 3% de la production de Bordeaux. Dans les 97% restants, on trouve une immense diversité. Par exemple, de petites propriétés qui façonnent des vins admirables mais non classés ou de grands producteurs qui font des vins à destination de la grande distribution.»

Chiffres à l’appui, Christophe Chateau démontre que depuis 2010 le marché s’est repris: «Notre mesure est la valeur du tonneau, c’est-à-dire 900 litres. Après un plus bas historique en 2009 – il est tombé alors à 800 euros – il est remonté jusqu’à atteindre 1320 euros aujourd’hui.» La Chine est le premier marché d’exportation, la Suisse le huitième.

Mais ces statistiques sur l’ensemble de la production ne disent rien de la qualité du vin. «Nos viticulteurs évoluent. Tous ont à cœur de faire du bon vin et de respecter leur vignoble, car c’est leur richesse. Le Bordelais a changé.» Alors, les critiques sont-elles totalement infondées?

Historiquement, les négociants en vins sont les véritables patrons de la Gironde. Des marchands anglais, irlandais et flamands font main basse sur le commerce du vin dès le XVIIe siècle. Leurs maisons avaient pignon sur rue sur les quais de la Garonne et elles éclipsaient en puissance et en renom les propriétaires-encaveurs qui, pour des siècles, ont presque compté pour beurre.

Ce quartier – les Chartrons – abritait les hangars et les résidences de la première aristocratie du vin. Mais pas la peine d’y chercher les vieux chais qui ont contribué à la renommée de Bordeaux et à sa richesse, car le quartier fait peau neuve. Les familles de négociants – les Barton, les Lynch ou les Rothschild – perdurent, mais elles ont déménagé leur entreprise ailleurs dans la ville ou le département.

Roland Quancard perpétue une tradition de négoce commencée par ses aïeux en 1844. Sa maison, Cheval Quancard, se trouve à Carbon-Blanc, dans la périphérie de Bordeaux. «Le quartier des Chartrons représentait le conservatisme. Je préfère être ici, c’est plus moderne, à l’image de ce que je veux faire.»

Il a un pied dans la viticulture avec sa production de vin – ses domaines – et un autre dans le négoce: «Je commercialise toute une gamme, qui va des vins d’assemblage jusqu’aux grands crus, mais, d’un bout à l’autre de cette vaste palette, je mets l’accent sur la qualité.» Il décrit son métier comme celui d’un sélectionneur qui assemble et commercialise sous sa marque ce qu’il estime dans sa ligne. «Dans une grande surface, je choisis le vin d’un négociant qui par sa signature cautionne la qualité plutôt qu’un petit château dont j’ignore tout. Ce faisant, je suis rarement déçu.»

L’attaque d’un système

La plupart des vins que vend Roland Quancard sous son nom se situent dans une fourchette de prix entre 4 et 20 euros. De quoi balayer une partie des critiques: «On dit des bordeaux qu’ils sont chers, qu’ils doivent vieillir et sont réservés aux grandes occasions. Les vins que je propose prouvent le contraire.»

En 2014, Isabelle Saporta sort un brûlot, Vino business, publié chez Albin Michel, sur les magouilles à Saint-Emilion qui président au fameux classement de 1855. Cette liste des meilleurs grands crus de l’appellation Saint-Emilion a été actualisée six fois depuis son avènement, le plus récemment en 2012. Isabelle Saporta décrit un monde de propriétaires sans scrupule et corrompus. Surtout, elle avance l’idée que le fameux classement n’aurait rien à voir avec des critères de qualité et qu’il serait fondé sur des critères commerciaux absurdes.

Au CIVB, Isabelle Saporta ne s’est pas fait des amis. Pour Christophe Chateau, «son livre est orienté. Je ne doute pas qu’il y ait comme partout une ou deux brebis galeuses. Mais cela ne reflète pas l’ensemble.» Parmi les personnes incriminées dans Vino business, Hubert de Boüard de Laforest. Le copropriétaire du Château Angélus, grand cru classé A en 2012, a porté plainte contre l’auteure pour propos diffamatoires. Hubert de Boüard de Laforest réclamait 50 000 euros, plus 10 000 euros au titre de frais de justice. Mais, le 22 septembre, la justice l’a débouté.

L’autre grande polémique est liée aux pesticides. Le magazine Cash investigation sur France 2 a révélé, en février dernier, l’ampleur de l’utilisation des produits phytosanitaires dans la Gironde. Surprise, à lui seul le département en consomme 2700 tonnes chaque année. Des toxiques qui se retrouvent dans les sols, les eaux et par conséquent dans l’alimentation.

Les plus touchés seraient les riverains des exploitations viticoles: des échantillons de cheveux prélevés sur des habitants qui vivent à côté de zones d’épandage ont montré des concentrations inhabituellement élevées en métaux lourds. Et toutes ces toxines se retrouvent à moindre échelle dans le vin.

7% des vignes bio 

Christophe Chateau consent que l’émission a fait mal: «Elle est à charge, elle ne montre qu’une partie de la réalité. Il faudrait commencer par énoncer quelques vérités: à ce stade, il n’est pas possible de faire du vin sans traiter la vigne. Même en bio, les producteurs utilisent ce qu’on appelle la bouillie bordelaise, du soufre et du cuivre. Alors, par conséquent, plus le vignoble est grand, plus on traite, en chiffres absolus.»

Avec 115 000 hectares, le Bordelais fait 4 fois la taille du vignoble bourguignon. Mais à Bordeaux, la viticulture bio ne représente que 7% des vignes, moins que la moyenne nationale. «Quelques hectares de bio en plus ou en moins, cela ne change pas grand-chose.

En revanche, lorsque tous les viticulteurs essaient de se montrer plus mesurés dans leur utilisation des produits chimiques, cela fait la différence», argumente Christophe Chateau. Selon les données du CIVB, 40% des vignes sont cultivées dans le respect de la charte SME (Système de management environnemental du vin de Bordeaux). «Allez voir les propriétaires, vous y verrez du bio et plus encore des viticulteurs attachés à travailler le plus proprement possible.»

L’émergence de nouveaux talents

Bordeaux Oxygène est l’une des vitrines de ce vent nouveau qui souffle sur la Gironde. Benoît Trocard a créé cette association en 2005 avec des compagnons d’études: «Nous voulions casser l’image ancienne des grands châteaux et promouvoir la jeune génération. Notre objectif était de donner un visage aux noms de propriétés, les incarner pour montrer que, dans les domaines, il y a des vignerons qui travaillent avec passion la vigne.»

Il dirige le Clos Dubreuil en appellation Saint-Emilion et est convaincu de la nécessité de traiter le moins possible. Il privilégie la lutte raisonnée contre les parasites mais n’est cependant pas passé au bio: «Ce n’est pas la panacée et cette année, très humide, j’ai vu des vignerons bios de la région être contraints de traiter beaucoup plus que je ne l’ai fait. Tout est question d’équilibre: le plus de bio possible, oui, mais pas à n’importe quel prix.»

Le Clos Dubreuil n’est pas classé, bien qu’excellent. Benoît Trocard ne s’en émeut pas: «Aujourd’hui, la présence de places de parking devant le caveau de dégustation, les langues parlées au domaine et la gravité des cuviers sont autant de conditions prises en compte. Tant que la qualité ne sera pas un critère déterminant pour élaborer le classement, je ne m’y intéresserai pas.»

Nicole Tapon a choisi de cultiver ses vignes de manière strictement biologique. Elle est l’une des rares à Saint-Emilion qui ne tire pas à boulets rouges contre Isabelle Saporta et contre Cash investigation: «Le classement semble avoir été truqué pour favoriser certains intérêts, ceux d’Hubert de Boüard de Laforest notamment. D’ailleurs, il fait partie de ceux qui tentent de racheter des propriétés plus petites à n’importe quel moyen. Mes vignes aussi ont été ciblées dans cette guerre des châteaux. Mais tout n’est pas noir, il y a une prise de conscience du danger des pesticides et un ras-le-bol face aux magouilles.» 

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Pierre-Emmanuel Rastoin
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Urgence de la lenteur

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Jeudi, 6 Octobre, 2016 - 05:56

Être lent, est-ce forcément signe de maladresse ou de paresse?
 

En rencontrant l’acteur Michael Lonsdale pour les pages culture de L’Hebdo cette semaine, j’ai découvert qu’on lui avait, au début de sa carrière, reproché d’avoir l’air «suisse». D’avoir un phrasé chantant et lent. Ce même phrasé a fait, depuis, sa force. La lenteur l’a rendu inoubliable.

Il est urgent de décélérer, comme le disent les adeptes du slow food. La lenteur est l’originalité. Je ne parle pas de celle qui est imposée ou de l’immobilisme. Ralentir la cadence permet à la pensée d’aller plus loin, plus vite. Peut-être qu’un jour la course du monde et le flux des échanges seront trop rapides pour permettre à nos émotions de s’inscrire dans nos corps.

Kundera a formulé cet axiome dans son roman La lenteur: «Le degré de la lenteur est directement proportionnel à l’intensité de la mémoire; le degré de la vitesse est directement proportionnel à l’intensité de l’oubli.»

L’avant-garde du XXe siècle, je pense aux futuristes italiens, était fascinée par la vitesse. L’avant-garde aujourd’hui prône la lenteur (c’est le cas des cinéastes Lav Diaz ou Béla Tarr). C’est elle qui est devenue révolutionnaire, anticonformiste et libertaire. Un retour à la souveraineté du corps.

Gustave Roud, grand marcheur, écrivait dans Campagne perdue: «Peut-être la route sera-t-elle rouverte vers un monde qui était encore celui de la lenteur et des pas, du pas humain? Le vôtre, laboureurs et semeurs anciens, ô mes amis, faucheurs de froment mûr et d’herbages, oui, votre pas.» 

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Brian Faenger: «J’avais peur des serpents. C’est devenu une passion»

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Jeudi, 6 Octobre, 2016 - 05:58

«Je me sens bien. Je suis marié et heureux en famille. Je passe beaucoup de temps au travail, mais j’en ai encore assez pour ma passion. Quand on a des serpents, on est pris pour un marginal. J’ai l’habitude de ce genre de jugement, mais je me fiche de l’image que je donne. Pour prendre ces animaux, il faut être stable et surtout faire un énorme travail de documentation.

Je suis directeur des systèmes d’information dans une entreprise, à Montreux. Je suis né en Allemagne, d’une mère germano-suisse et d’un père américain. A 6 ans, on a déménagé à Yverdon. J’ai fait un apprentissage de dessinateur en bâtiments. Lorsque j’ai terminé, en 1998, c’était la crise du bâtiment. On m’a proposé une réorientation. J’ai suivi une école d’informatique à Lausanne. J’ai ensuite fait l’école d’ingénieurs à Yverdon, section gestion d’entreprise, puis, l’année dernière, j’ai terminé un master en sécurité de l’information, en cours d’emploi, à l’Université de Genève.

Les premiers pas

Ma femme et moi, on a toujours aimé les animaux. On a eu jusqu’à trois chiens en même temps, dont un pitbull. Le regard des gens quand je le promenais… Aujourd’hui, il ne nous reste qu’un bull-terrier miniature. Pour les serpents, tout a commencé avec mon fils. Lorsqu’il avait 5 ou 6 ans, il voulait un pogona. On s’est renseigné. Il faut leur donner des insectes vivants et je n’affectionne pas trop ce genre de bêtes.

Comme je suis allergique aux rongeurs et aux chats, on a cherché dans une autre direction. Ma femme a dit: «Tiens, on pourrait prendre un serpent.» J’ai dit non, j’avais peur. Mais c’est trop bête de rester sur une appréhension.

Notre premier reptile était un serpent des blés, un animal pour débutants. Notre fils était aux anges. On a commencé comme tout le monde: tout faux, en appliquant les conseils qu’on avait trouvés sur internet.

Dans le terrarium, on avait créé un environnement stérile, avec des copeaux de pin, une décoration en plastique et un tapis chauffant. Vu le nombre d’avis sur internet, j’ai décidé d’appeler le vivarium de Lausanne et je suis tombé sur le directeur, Michel Ansermet. Il m’a dit qu’il fallait reproduire la nature au mieux. Dans ce genre d’environnement, les bêtes sont beaucoup plus calmes.

En avril 2014, j’ai craqué pour un boa de Guyane. Il se cache très peu et se nourrit différemment. Après le boa est arrivée une couleuvre africaine qui mange des œufs. Puis j’ai commencé à m’intéresser aux venimeux. L’attrait ne vient pas du fait que ces animaux sont venimeux et dangereux. C’est un attrait visuel et un intérêt pour leurs différents modes de vie. Quelques mois après avoir terminé des cours de manipulation, en 2015, on a pris le premier serpent venimeux: une vipère à fossette.

Le vétérinaire cantonal est venu chez nous, pour faire son inspection. On a dit adieu au bureau qu’on a transformé en chambre à serpents et qu’on peut fermer à clé. Par la suite, on a fait une deuxième formation. Cette fois, c’était pour la manipulation des élapidés, c’est-à-dire les cobras, les taïpans, les serpents corail.

Des rêves reptiliens

Actuellement, on a douze serpents venimeux. On s’en occupe tous les jours. Est-ce que je les aime? Ce n’est pas le même contact qu’avec un chien, mais oui, je les aime. En février dernier, on est parti en vacances en Afrique du Sud. Alors que tout le monde regardait les paysages, nous, on regardait dans les buissons pour voir s’il y avait des serpents.

C’est dans un cercle de détenteurs de reptiles que j’ai rencontré un ami qui s’occupe de nos serpents lorsqu’on part en vacances. On se coordonne pour ne pas partir en même temps. Récemment, un serpent très rare est né chez lui, un aspidelaps albinos. Des gens lui ont offert plusieurs milliers de francs pour l’acheter. Il a refusé. Je me suis occupé de lui quelques semaines, «pour démarrer la bête», comme on dit. Je lui donnais du cœur de poulet avec une pincette.

Dans mon sommeil, il m’arrive de rêver qu’un serpent me mord. Une morsure de serpent, c’est un soigneur qui a fait une erreur. Et pas un serpent qui est méchant.»

sabine.pirolt@hebdo.ch
Blog Et vous, comment ça va?

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François Wavre / Lundi13
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Bordeaux, la métropole réinventée

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Jeudi, 6 Octobre, 2016 - 05:59

Richard Werly 

Reportage. La cité affiche une attractivité économique et touristique inédite. Enviée par les Parisiens, qui s’y installent de plus en plus, jalousée par Toulouse plongée dans l’ombre, prisée des Suisses qui remplissent les vols low cost, Bordeaux est aujourd’hui symbole d’un dynamisme et d’une convivialité urbaine rares dans l’Hexagone.

Rien de tel, pour comprendre les changements survenus à Bordeaux, que de regarder les vues des quais de la Garonne prises au fil des années 70-80. La cité girondine est alors loin d’être oubliée. Les vignobles du Médoc, qui l’ont rendue célèbre, sont de longue date mondialisés, attirant en masse investisseurs américains ou japonais. Les Girondins, son club de foot, alignent les titres de champions de France, propulsant son tonitruant président d’alors, le célèbre moustachu Claude Bez, sur l’avant-scène médiatique française.

Son maire, le gaulliste historique Jacques Chaban-Delmas, élu pour la première fois en 1947, demeure l’une des figures de proue du pouvoir hexagonal. Bref, le Bordeaux d’il y a trente ans est bien cette «belle et grosse ville de marchands, riche et imposante» saluée un siècle auparavant par l’écrivain américain Henry James dans son Voyage en France (Ed. Robert Laffont).

Et pourtant, quelle différence, à trois décennies d’intervalle! «Bordeaux était riche et grise. Pire: presque noire. La voiture y était reine. Personne, malgré les façades classées du fameux quai des Chartrons, n’aurait pensé qu’un jour des touristes chinois s’y baladeraient le long des quais, photographiant des yachts de milliardaires accostés pour une journée d’excursion viticole», sourit Constance Leman, conseillère municipale et épouse du libraire incontournable de la ville, Denis Mollat. Les clichés d’hier et d’aujourd’hui attestent cette mutation.

1970: les quais de la Garonne sont séparés du reste de la ville par de hauts grillages, bordant les entrepôts du port, pour la plupart détruits depuis. Les parkings pour véhicules squattent le bitume au bord du fleuve. La rive droite, de l’autre côté de ce majestueux ruban d’eaux boueuses, est à peine visible.

D’ailleurs, personne n’y va. Sauf obligation: «Le pont de pierre – commandé par Napoléon en 1807, livré sous la Restauration en 1822 – était plus une frontière qu’un passage, se souvient Pascal Gerasimo, l’un des principaux responsables des grands chantiers immobiliers de la ville. Bordeaux n’a pas changé. Cette métropole s’est réinventée.»

Une phrase revient souvent pour résumer cette «réinvention»: le réveil de «la belle endormie». Un réveil parachevé par l’arrivée de la LGV, la ligne à grande vitesse qui mettra Bordeaux à deux heures de Paris en juillet 2017. Avec, irrémédiablement accolée à ce virage esthétique, urbain et économique, l’évocation du rôle clé joué par Alain Juppé, successeur de Chaban, élu maire sans discontinuer depuis 1995.

Sauf qu’à bien y regarder, la réinvention bordelaise est avant tout un chantier collectif. Ville, communauté urbaine et région Aquitaine (présidée depuis longtemps par les socialistes) se sont mobilisées ensemble. Mieux: le succès touristique de Bordeaux, classée au patrimoine de l’Unesco depuis 2007, est indissociable de sa vitalité économique.
«Un pôle d’excellence»

Vous pensez vin? Logique. Mais la carafe bordelaise est aujourd’hui remplie d’autres nectars. L’industrie aéronautique de défense, traditionnellement implantée autour de l’aéroport de Mérignac – où le groupe Dassault a de longue date ses quartiers (il y produit son chasseur-bombardier Rafale) –, a accouché d’un véritable complexe militaro-industriel, dont Toulouse, avec Airbus, est l’alter ego civil.

Longtemps journaliste à Sud Ouest, l’incontournable quotidien régional (dont le siège a déménagé du centre-ville historique pour s’installer lui aussi sur la rive droite), Bernard Broustet le raconte dans son livre Juppé de Bordeaux (Ed. Sud Ouest). Tissu de PME innovantes, start-up liées à l’aéronautique, sous-traitants et… centre d’essais nucléaires doté du laser Mégajoule pour tester en laboratoire l’arme de dissuasion.

«A la ville de négoce a succédé un pôle d’excellence, explique l’auteur dans une brasserie proche du palais Rohan, la superbe mairie XVIIIe construite pour l’archevêque Ferdinand-Maximilien Mériadec de Rohan, puis transformée en préfecture avant de devenir l’Hôtel de Ville. Bordeaux s’est transformée. La ville est devenue productive, compétitive, attractive.»

Retour sur le quai des Chartrons. L’ancien directeur de la rédaction de Sud Ouest, Henri de Grandmaison, a élu domicile derrière l’une de ces sublimes façades. Il sourit: «Le Bordeaux manucuré d’aujourd’hui, qui fait un peu penser à la Suisse, en dit long sur ces transformations. Mais il ne faut jamais oublier que la ville était belle, hier. Son atout majeur reste son formidable patrimoine.» De fait: le Bordeaux cru 2016, celui que les touristes helvétiques découvrent en débarquant des vols low cost au départ de Genève, demeure un superbe écrin architectural.

Oubliées, les noires façades d’antan et les ruelles pavées suintant la crasse et l’humidité, décor des polars du romancier bordelais Hervé Le Corre. La première prouesse du maire Juppé a été de ravaler les façades de Bordeaux. La belle pierre girondine a repris sa couleur de sable, nettoyée de la suie, des vapeurs d’essence et des décennies de négligence. Les fers forgés des balcons et les boiseries des huisseries ont retrouvé leur patine.

Résultat? Une place de la Bourse embrasée, le soir, par les ricochets dorés du soleil tombé sur la Garonne. Le miroir d’eau, symbole des années Juppé, y reflète le ciel bleu-gris qui dit l’océan proche, entaillé par le cap Ferret, tamisé par le bassin d’Arcachon.

Il faut surtout, pour réaliser l’ampleur des chantiers bordelais, passer d’un monde à l’autre. Au cœur de ville: les Chartrons, et leur prolongement commercial de la rue Sainte-Catherine. Opulence. Foule de promeneurs. Balcons ouvragés. Le Grand Théâtre et ses opéras de classe mondiale y toisent le tramway qui, serpent d’acier apprivoisé, a bouté voitures et camions hors du centre. La place des Quinconces, encadrée de ses cours boisés, rappelle combien la très réservée bourgeoisie bordelaise, celle que François Mauriac conta dans Préséances, maintient sa férule sur les lieux. Mais l’essentiel n’est pas là.

Hambourg-sur-Garonne

Direction les Bassins à flot et ce qu’il reste du quartier Bacalan, à l’ombre de la Cité du vin. Un chantier hérissé de grues. Des immeubles au design moderne, tout en vitres. La base sous-marine construite par les nazis durant l’occupation, impressionnant cercueil de béton armé, n’est même plus un fantôme. Elle revit.

Le Bordeaux des Bassins à flot, l’un des grands projets de l’ère Juppé, est Hambourg-sur-Garonne, ou Copenhague-sur-Gironde. Culture. Le vent du large y souffle par bourrasques, descendu le long de l’estuaire, puis dompté par le pont d’Aquitaine, qui relie Bacalan à Lormont, le faubourg populaire de la rive droite.

Seule une partie des entrepôts commerciaux de jadis, réhabilités, restent posés sur la rive gauche, transformée en «quai des Marques», au pied du pont Chaban-Delmas, dont le tablier levant de 117 mètres permet le passage des paquebots de croisière. C’est au Hangar 14, entrepôt de béton arrimé au fleuve transformé en salle de spectacle et d’événements, que Nicolas Sarkozy tint, fin 2014, l’un des premiers meetings de son retour en politique.

Les «Sarko-fans» sifflèrent Juppé. Avant de se fondre parmi les promeneurs, les étudiants imbibés et bruyants, les joggeurs… «Le long de ces quais tout neufs, de Bacalan aux anciens abattoirs (proches de la gare Saint-Jean, à l’autre extrémité de la ville), s’est développé un circuit de la fête qui écorne l’image du Bordeaux froid et fermé. […] Un doux glissement se fait le soir entre les touristes du jour et les fêtards de la nuit», écrit Hubert Prolongeau, dans Bordeaux: au-delà des Chartrons (Ed. Nevicata).

Peu de tensions sociales

François Dubet est coauteur d’une Sociologie de Bordeaux (Ed. La Découverte). Il complète: «Bordeaux a vécu deux virages. Un virage économique et esthétique, engendré par les opérations de réhabilitation urbaine. Mais aussi un virage social. La ville cherche désormais à attirer les créateurs, des jeunes diplômés qualifiés, ce qui n’est pas sans risque pour la cohésion de son territoire. Le défi, pour l’avenir, est que la greffe prenne entre ce bassin bordelais et cette nouvelle population plus cosmopolite.»

Séquence métissage et identité. Bordeaux n’est pas pour rien dirigée par un maire désireux de promouvoir «l’identité heureuse». Ses nouveaux quartiers, par exemple du côté de La Bastide sur la rive droite, autour des anciennes casernes Niel transformées en espace social et culturel, se sont jusque-là développés sans heurts ni fractures. Mais pour combien de temps? «Il y a une partie d’apparence dans la réinvention de Bordeaux, poursuit François Dubet.

La ville comporte des quartiers très pauvres, notamment dans sa partie sud. La grande différence, la clé de cette aventure apaisée, tient au fait qu’elle n’est pas ceinturée de banlieues-cités. La circulation entre le centre et la périphérie y est fluide. L’extrême droite n’y progresse guère. L’insécurité est contenue. Ce n’est ni Marseille avec les quartiers nord, ni Toulouse avec le Mirail.»

Un observateur suit cette mutation bordelaise de très près. L’actuel consul honoraire de Suisse, André Frey, a longtemps dirigé le marché de gros de Bordeaux, successeur du fameux marché des Capucins, au centre de la ville. Il connaît la métropole de l’intérieur: «Cette absence de tensions sociales et communautaires fortes est un élément décisif dans l’intérêt que les Suisses, touristes, investisseurs ou particuliers, portent aujourd’hui à la ville. Bordeaux est la France qu’on aime: douce, créative, ouverte sur le monde.»

Autre témoin engagé: le libraire Denis Mollat, qui vient juste d’ouvrir une salle culturelle, la Station Ausone, du nom du poète latin (309-394) de Burdigala, l’ancêtre de la métropole girondine. Il revenait du Livre sur les quais, à Morges (VD), lorsque L’Hebdo l’a rencontré: «On retrouve ici, à Bordeaux, la cohésion et la force identitaire des villes de Suisse que la mondialisation n’a pas déstructurées.»

L’écueil de la ville-musée

Les opposants à Alain Juppé – dont «l’héritière» Virginie Calmels est contestée – ont bien sûr des griefs à faire valoir. Voir Bordeaux devenir la ville préférée des bobos parisiens, assister à l’explosion des prix immobiliers (+60% sur dix ans), risquer de voir tomber la ville dans l’ornière du «décor historique pour touristes», selon l’expression de François Dubet… tout cela alimente le débat.

«Pour un couple suisse désireux de prendre sa retraite en France, Bordeaux est la destination parfaite. Villégiature, plaisir, investissement… Où trouver une telle combinaison ailleurs?» interroge le consul André Frey.

La «belle endormie», dopée par l’arrivée prochaine du train à grande vitesse et par le succès de son aéroport, se prend donc à rêver. Forte d’environ 700 000 habitants, sa communauté urbaine vise le million de résidents et dispute le leadership atlantique à Nantes. Même réputation d’attractivité. Même passé de négoce. Même héritage commercial ambigu (les deux villes furent des ports esclavagistes enrichis grâce à la traite des Noirs). Même ouverture sur le monde. Bordeaux, ville-aimant?

Sur la terrasse arrière du Viking Forsetti, beau navire de croisière fluviale immatriculé à Bâle, un couple déguste un verre de vin face aux Quinconces. Le A, yacht du banquier Russe Andreï Melnitchenko (dessiné par Philippe Starck), était encore la semaine dernière amarré dans le port de la Lune, pile devant la Bourse. Les visites guidées de la ville affichent complet. La réinvention de Bordeaux a le charme d’une passion française. 

À LIRE

Essais:

«Sociologie de Bordeaux». Sous la direction d’Emile Victoire. Editions La Découverte.

«Bordeaux: au-delà des Chartrons». D’Hubert Prolongeau. Editions Nevicata.

«Juppé de Bordeaux: conquête et métamorphoses». De Bernard Broustet. Editions Sud Ouest.

Romans:

«Préséances». De François Mauriac. Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard.

«Après la guerre». D’Hervé Le Corre. Editions Rivages.

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